Avant notre naissance
nous baignons dans un univers tactile et phonique : l'intérieur
de la femme qui nous porte. Nous partageons sa chaleur et entendons
le bruit régulier et rassurant de son cœur. Si nous avons un jumeau
ou une jumelle c'est encore plus tactile. Les jumeaux ou jumelles se
tiennent étroitement compagnie, nus, se touchant et serrant l'un
contre l'autre, durant des semaines et des mois. Ils ne l'oublieront
jamais complètement.
Petits, nous sommes
hyper-communicants : as de la peinture, de la danse et du
rythme, du chant, de la poésie et surtout du toucher et des câlins.
Toute cette créativité passera au broyeur de la Civilisation vers
l'âge de quatre ans environ. Ce sera le sevrage tactile, la
liquidation de notre créativité poétique, vocale, chorégraphique
et picturale. Quand plus tard nous chercherons à renouer avec le
toucher, nous serons incapables, ignorants, analphabètes tactiles.
Et intoxiqués par le bourrage de crâne sexuel de notre société,
qui prétend abusivement asservir les caresses au coït.
Regardez bien la photo
des grands criminels, qu'ils soient « de droit commun »,
« politiques », « financiers »,
« économiques » ou « militaires ». Ce sont
presque tous des hommes et pas des femmes. Ils manquent tragiquement
de caresses. Alors ils compensent en commettant des crimes.
L'oubli de notre
prospérité tactile intra-utérine et ensuite enfantine, l'oubli du
sevrage tactile et de la liquidation de notre créativité poétique,
vocale, chorégraphique et picturale suscitera en nous un trouble et
une terreur d'origine inconnue. Elle sera « non domiciliée ».
Nous chercherons à lui trouver une domiciliation. Attribuer à cette
terreur une origine claire. Qui ne sera pas la bonne.
Subitement un problème
habituel va vous tarauder. Derrière ce problème devenu envahissant
se cachera en fait la carence tactile, niée, ignorée et bien
présente.
Que de conduites absurdes
cette peur non domiciliée à son véritable domicile, sa véritable
origine, va entraîner ! On verra, par exemple, des gens riches
avoir peur sans raison de devenir pauvres et s'accrocher à leur
argent comme si leur vie en dépendait. Ils deviendront avides et
avares.
Quand j'ai effectué un
stage d'un week-end de massages en 1986, après quelques heures de
massages partagés, j'ai pu observer des changements ou des
révélations de comportements dont le souvenir m'est resté. Notre
groupe était composé de trois hommes dont un gay et six femmes, si
je me souviens bien. On devait dormir sur place. Ça se passait dans
un grand appartement parisien. Le premier soir l'homme qui était
gay, prétextant une obligation, nous a quitté pour dormir ailleurs.
Au moment de son départ, l'un de nous a esquissé le geste de lui
tendre la main. Puis s'est arrêté et tout le monde a rit. Il
apparaissait évident à chacun de nous qu'on ne saurait quitter cet
homme autrement qu'en l'embrassant. Dans notre groupe se trouvait une
très grande et belle jeune fille blonde aux yeux bleus. Elle avait
dix-sept ans. Elle était donc mineure. Ce qui a suscité au début
du stage la grimace de la dame qui l'organisait. J'avais sympathisé
avec cette jeune fille. Et à plusieurs reprises il nous arrivait de
nous rejoindre face à face et puis nous serrer dans les bras l'un
l'autre. Il n'y avait rien de « sexuel » dans notre
geste. Pourtant nous étions nus durant les séances de massages.
C'était juste et spontanément vécu comme des simples câlins très
agréables. De la pure tactilité. Durant les deux semaines qui ont
suivi le stage, j'ai spontanément perdu tout intérêt pour la
pornographie et la masturbation. Bizarrement mes érections étaient
devenues ligneuses, elles n'avaient jamais été aussi dures. On
aurait dit du bois. Ce phénomène a duré aussi deux semaines, puis
a disparu. Je n'ai pas su poursuivre l'expérience de ce stage de
manière pratique à l'extérieur. Car j'avais les préjugés de mon
époque, je croyais à l'existence du « sexuel ». Qu'il
existait une zone de la communication entre humains adultes qui
implique automatiquement la recherche du coït.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 25 juillet 2017
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