Il y a des années j'ai
eu connaissance d'une expérience. Dans un supermarché, sans
prévenir la clientèle, on demanda aux caissières de se diviser en
deux sortes différentes. Les premières, en rendant la monnaie aux
clients devaient s'appliquer à le faire en leur touchant la main.
Les secondes devaient le faire en évitant de toucher la main de leur
client. Des sondeurs interrogeaient les clients à la sortie pour
savoir quelles caissières leur paraissaient les plus sympathiques.
Les caissières du premier groupe furent trouvées très
majoritairement les plus sympathiques, agréables, communicatives...
Ce résultat ne doit pas
nous étonner. La peau est le principal organe de
communication, expression, réception, communion humaines.
Chez les humains adultes,
cet organe de communication, expression, réception, communion est
neutralisé très largement par les vêtements, les règles régissant
« la pudeur » et l'interprétation comme quoi le contact,
le toucher, la caresse, l'étreinte dans les bras, le bisou, le
contact avec la bouche et la langue en général constituent
forcément une invite sexuelle, un « préliminaire » au
coït.
Cette prétention à
laquelle on nous habitue dès très jeune est en fait aussi baroque
et ridicule que celle qui prétendrait que l'expression verbale a
pour seul et unique objet de faire des « avances »
sexuelles.
Il est difficile de
réaliser l'ampleur et le caractère des problèmes causés par la
prohibition du toucher, l'exil des humains adultes au milieu d'une
peau qu'on évite largement de toucher ou utiliser pour toucher. Des
troubles nerveux, comportementaux, voire qualifiés de
« psychiatriques » doivent trouver ici leur source ou la
source de leur aggravation. Que faire alors pour améliorer la
situation ?
Il ne s'agit pas de dire
aux gens d'aller faire des bisous dans le cou à tout le monde. Il
existe un conditionnement et des traditions qu'il ne s'agit pas de
chercher à éliminer, mais plus réalistement de soigner les
conséquences les plus graves de ce silence dermique imposé.
Mettre au point des
protocoles curatifs tactiles qui contournent les obstacles culturels.
Pour traiter des personnes en souffrance, et il y en a ! Par
exemple toutes celles qui à un moment donné de leur vie ont éprouvé
une grande peur, souffrance, déception causée par un autre être
humain. Ou on subit ou eu peur de leur violence, notamment sexuelle,
mais pas seulement.
Aujourd'hui on prétend
soigner nombre de ces problèmes par la parole et l'écoute auditive.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, cette méthode pour
soigner des blessures physiques et – ou – morales, me fait penser
au traitement de la fracture d'un os avec des chansons. Ça peut
faire du bien, mais on passe à côté d'une part essentielle du
geste curatif.
Nous sommes environnés
de personnes plus ou moins blessées à un moment donné de leur vie,
dont on n'a jamais soigné sérieusement la blessure. Sans parler de
la blessure que représente le silence dermique imposé par la
société. Silence dont on n'a le plus souvent même pas conscience.
Un peu comme une personne affamée qui a toujours eu faim et ne
réalise pas qu'il lui manque quelque chose.
Le traitement, ou les
traitements, du silence dermique permettront de mieux connaître et
soigner les humains. Les soignants eux-mêmes devraient y trouver par
force une amélioration personnelle de leur état général. Ils
s'enrichiront en donnant.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 10 juillet 2017
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