mardi 31 décembre 2013

191 Qu'est-ce que « la propriété » ?

Parlant des études suivies par son père, Marcel Pagnol pose cette question dans « La Gloire de mon père ». Comment a-t-on pu réussir à idéaliser aux yeux des futurs instituteurs les destructeurs de la monarchie en France ? Car à la faveur de la période dite : « de la Révolution française », ceux-ci « après vingt mille assassinats suivis de vol, » se sont entreguillotinés eux-mêmes.

Pagnol touche ici un point fondamental : le vol. Ou plus exactement le pillage à grande échelle des biens des nobles, de l'Église et du roi qui fut organisé durant cette période dite : révolutionnaire.

Dans son « Histoire socialiste de la Révolution française », Jean Jaurès indique que toutes les grandes fortunes bourgeoises qui durent encore un siècle après son assassinat en 1914, sont issues du pillage des biens nationaux à la faveur des combines financières autorisées par les assignats.

Proudhon a écrit : « la propriété, c'est le vol ». Il faut rectifier : « la propriété a pour origine le vol ».

Ceux qui proclamèrent que la propriété est « un droit inviolable et sacré » étaient de très grands voleurs.

Le mécanisme de la propriété, la grande, la riche, celle qui rapporte, est la suivante :

A un moment-donné un pillage à grande échelle est organisé. Les voleurs une fois gavés, deviennent conservateurs des biens qu'ils ont volé. Et décrètent leur propriété sacrée. Ainsi ont procédé les voleurs bourgeois de la fin du dix-huitième siècle en France. Ils ont dérobé les biens volés par la noblesse. Celle-ci avait accaparé (volé) les biens de l'Empire romain au moment de sa chute. A l'origine, les nobles étaient de simples hauts fonctionnaires de l'Empire. Un marquis, par exemple, était le gardien d'une marche, c'est-à-dire d'une zone à la frontière de l'Empire.

Les fonctionnaires romains, eux, géraient les biens volés aux peuples gaulois. Les Gaulois, de leur côté, possédaient ce qu'ils avaient volé à d'autres voleurs, et ainsi de suite.

Chaque fois une période de pillage succède à une période de tranquillité qui succède à une période de pillage. Et durant les périodes de tranquillité on déclare que la propriété qui a été volée est à présent immuable et légitime. Quelle farce !!!

Aujourd'hui, le moindre caillou perdu dans l'océan, le moindre morceau de désert glacé ou brulant appartient officiellement à quelqu'un, ou tout au moins à un état. D'autant plus que cette propriété offre celle du sous-sol. Et, un caillou perdu dans l'océan ouvre des droits aux vastes fonds sous-marins des eaux « territoriales » alentours. D'où les disputes féroces pour des cailloux couverts de guano de par le monde. En dessous, pétrole et autres richesses font baver d'envie les puissants.

Et si au lieu de dire : « la propriété est inviolable et sacrée » (« sacrée », terme religieux) on disait : « La propriété est inviolable et sacrée, exceptée quand celle-ci s'oppose à la santé, la vie des humains. Auquel cas elle est inexistante, indéfendable, ignoble, maudite, nulle et non avenue. » Ça ne serait pas plus chouette, non ? Ainsi, par exemple, même avec des sous on ne pourrait pas acheter un lieu pour, par exemple, commencer à y exploiter le gaz de schiste. Et aussi les latifundios affameurs qui possèdent des milliers d'hectares en friche en Andalousie seraient virés d'office. Il n'y aurait même pas besoin de les « exproprier ». Il suffirait d'aller cultiver leurs terres, en suivant le grand et vieux principe agraire : « la terre n'est à personne, ses fruits cultivés sont au cultivateur ». La police laisserait faire. Et ce serait là le triomphe du bon sens sur la bêtise injuste et l'absurdité.

Basile, philosophe naïf, Paris le 31 décembre 2013

190 Seul l'amour est révolutionnaire

L'injustice, la haine et l'indifférence règnent. Face à ces fléaux, la révolte gagne. Et alors on se surprend à vouloir être « révolutionnaire » : vouloir casser tout, balayer tout, « renverser la table », casser la figure à tous ces bandits, tuer, faire fuir, emprisonner...

Oui, mais : se convaincre qu'on a raison, et que les autres ont tort. Qu'on est les seuls à avoir raison. Et qu'on a pour mission de triompher. Qu'il faut, qu'on va écraser les autres. Ou déjà s'organiser pour y arriver. S'engueuler. Se battre. S'entre-tuer. Et triompher un jour. Pour souvent trahir ensuite.

Ça n'a rien de révolutionnaire ! C'est ce qui se fait dans la société humaine partout depuis dix mille ans au moins !

Ce qui est révolutionnaire, c'est aimer l'autre. Ne pas chercher à l'exterminer au sens réel ou figuré. Essayer de comprendre comment cet humain comme nous a pu devenir aussi antipathique et dangereux.

Et comment arriver à apprivoiser cette bête féroce. Et pourtant si proche de nous, sans parvenir à devenir comme elle, féroce et dangereuse.

C'est ça, la vraie révolution.

Sinon, regardez comment finissent les révolutionnaires. Et les révolutions qui vont avec.

En Russie, par exemple, il y a eu Lénine et Trotsky. Il y a eu aussi un autre révolutionnaire qui s'appelait Nestor Makhno. Il avait une armée. Il s'est allié avec Lénine et Trotsky. Mais il n'était pas du même parti qu'eux, les bolchéviks.

Un jour, les bolchéviks ont invité l'ensemble des officiers de Makhno a discuter. C'était un guet-apens. Ils les ont tous capturés et fusillés. Sympa, non ?

Et en mars 1921, les marins révolutionnaires de la grande base navale de Cronstadt, en face de Saint-Petersbourg, se sont révoltés contre la dictature des bolchéviks. Ceux-ci tenait leur congrès au même moment. Ils ont armé les délégués. Pris Cronstadt d'assaut et exterminé les marins révolutionnaires. Ce n'était pas des bons révolutionnaires pour leurs vainqueurs.

Et, après 70 ans de pouvoir issu de la Révolution de 1917, la Russie ne paraît pas se porter si bien que ça. Je le regrette.

Car je souhaite le mieux à tous. J'aime mon prochain. Même si je ne suis pas forcément d'accord avec lui.

Aimer, c'est la vraie révolution. Haïr, détruire, être violent, c'est perpétuer le vieux fatras qui ne mène nulle part. Et en tous cas pas là où ça va bien.

J'aime l'exemple de Marinaleda : ils ont conquit bien des choses pour mieux vivre, sans utiliser la violence. C'est un exemple à méditer. « Aimez-vous les uns, les autres ». Ben oui, Jésus avait raison. Pour finir cette réflexion, je souhaite une bonne année à tous, sympas ou non. Vive la vie ! Bisous à tous, et surtout à ceux qui ne m'aiment pas et me veulent du mal. Et comme disait le Grand Bouddha : « Si la haine répond à la haine, quand finira-t-elle ? » Alors, vive l'Amour !

Basile, philosophe naïf, Paris le 31 décembre 2013

lundi 30 décembre 2013

189 Quand est-on « enfant » ? Quand est-on « adulte » ? Le cas Noguès.

Dans la société française on distingue les « enfants » et les « adultes ». La séparation entre les deux groupes se situe aux majorités. La première, la majorité pénale, est fixée aujourd'hui à treize ans. Si on est plus jeune et on commet un délit, on échappe à la justice. La seconde majorité est la majorité sexuelle. Elle est fixée à quinze ans. En dessous de cet âge, on est considéré incapable de consentement responsable, par manque de maturité. Toute promiscuité sexuelle entre un mineur de quinze ans et un adulte, même si le mineur déclare être consentant, est assimilée au viol. Enfin, la troisième et dernière majorité est fixée à dix-huit ans, c'est la majorité civile. On est sensé être, à partir de ce moment-là, pleinement entré dans l'âge « adulte ».

Ces majorités peuvent se discuter. On peut être encore un enfant affectivement et intellectuellement, avoir passé treize ans, commettre un délit et être néanmoins considéré responsable. Un individu majeur qui a un amant ou une amante âgé de quatorze ans, onze mois et vingt-huit jours risque dix ans de prison. Trois jours après, il ne risque plus rien pénalement. Enfin, à dix-huit ans, et même après, on peut être un vrai gosse totalement immature.

Je voudrais illustrer la fragilité des limites avancées entre l'âge enfantin et l'âge adulte en évoquant le souvenir d'un homme extrêmement sympathique, modeste et brillant, le maître mouleur et professeur de moulage à l'École des Beaux-Arts de Paris Robert Noguès.

Les mouleurs sont des dynasties. Mes parents ont connu son père au tout début des années 1950. Quant à Robert, je l'ai rencontré dans les années 1970 quand j'étais son étudiant aux Beaux-Arts.

Voici ce qu'il a eu l'occasion de me raconter :

Durant la seconde guerre mondiale, Hitler avait, c'est connu, son sculpteur officiel, un Allemand du nom d'Arno Breker.

Durant le conflit, celui-ci préparait le monument à la victoire du Troisième Reich. Il consistait en une allée bordée de bas-reliefs monumentaux en bronze. Pour trouver le métal, Arno fit organiser une razzia sur les statues en bronze des pays occupés. C'est ainsi qu'il récupéra et envoya à la fonte une quantité d'œuvres d'arts, notamment à Paris, où elles ornaient des lieux publics.

Il avait le matériau, restait la main d'œuvre. Il fit ramasser dans les camps de prisonniers toutes les personnes qualifiées qu'il trouva et dont il estima avoir besoin. C'est ainsi que le prisonnier de guerre Noguès, père de Robert qui m'a raconté cette histoire, se retrouva à travailler dans l'immense atelier du sculpteur nazi. Des trains de marchandises pouvaient y entrer, tellement c'était grand.

Le père Noguès profita d'une permission ou d'un moment d'inattention de ses gardiens, je ne me rappelle plus cette précision. Toujours est-il qu'il s'évada, rejoignit sa famille restée en France et se cacha.

Or, un jour, quelques vilains miliciens vinrent à la maison pour récupérer le fugitif. Ils ne le trouvèrent pas. Mais prirent à part son fils Robert, jeune enfant alors, lui mirent une mitraillette braquée sous le nez et lui dirent : « tu sais où se cache ton papa, dis-nous où il est ! »

Le fils Noguès connaissait la réponse. Il répondit qu'il l'ignorait. Alors, ce jour-là, s'est-il conduit comme un « enfant » ou un « adulte » ? A mon avis il fut le meilleur adulte responsable possible. Quant au sens des responsabilités supposée de la masse « adulte », à la vue du monde, j'en doute.

Basile, philosophe naïf, Paris le 30 décembre 2013

vendredi 27 décembre 2013

188 La goguette thérapeutique, réponse au problème du confinement des malades hospitalisés – Lettre à un médecin militaire

Cette proposition est issue de deux réflexions, l'une sur l'hôpital, l'autre sur le Carnaval.

D'une part, j'ai fréquenté assidument votre service à l'hôpital Percy durant plusieurs années, suite à l'hospitalisation d'une personne proche à laquelle je rendais visite. J'ai pu constater au cours de ces années le problème suivant : les malades qui sont hospitalisés pour une longue durée ou des hospitalisations brèves à répétition et qui reçoivent des visites, progressivement en reçoivent de moins en moins. Le résultat est qu'ils se tournent naturellement vers la fréquentation d'autres malades. Celle-ci reste encadrée, par exemple par l'interdiction faite à chaque malade d'en recevoir d'autres dans sa chambre. Cependant, le résultat est que le cercle d'amis tend à se résumer à des personnes qui ont des problèmes de santé importants. Et ça n'est pas forcément ce qui se fait de mieux pour le moral. Problème aggravé quand il s'agit de maladies psychiatriques. Et, quand ils quittent l'hôpital, les malades sont confrontés à l'isolement engendré par l'arrêt de leurs activités habituelles. Et de leurs relations qui ont cessé de leur rendre visite durant leur hospitalisation. Ce qui ne peut qu'influer négativement sur leur état de santé ultérieur. En particulier quand il s'agit de problèmes psychiatriques.

Quand j'ai été témoin de cette situation, qui se reproduit certainement dans d'innombrables établissements hospitaliers militaires ou civils de par le monde, je me suis interrogé sur la possibilité d'y remédier.

Ce qui m'a amené à chercher à adapter le résultat d'une autre réflexion pour résoudre ce problème.

Depuis plus de vingt ans j'étudie les formes d'organisation festive du Carnaval. Chose qui à ma connaissance n'avait pas été faite auparavant. Il se trouve que le Carnaval est particulièrement fort et développé dans la ville de Dunkerque et les villes alentours. Pour quelle raison ? J'ai mis dix-huit années pour trouver la réponse.

A Dunkerque et dans les villes alentours existe une forme d'organisation festive jadis courante en France. Et qui s'appelle généralement la goguette. Elle peut aussi porter d'autres noms.

La goguette est quelque chose de très simple qui a des conséquences énormes sur le plan festif et convivial. Il s'agit d'un groupe qui doit absolument rester petit, compter moins de vingt membres. Et ici, pour les groupes de Dunkerque et sa région, le nombre maximum s'établit à douze, excepté pour trois ou quatre sociétés d'ampleur plus importante.

Les goguettes se réunissent ponctuellement dans le but de passer un bon moment ensemble, boire, manger, bavarder, danser, chanter des chansons, créer des chansons.

Jadis en France il existait des milliers de goguettes, dont des centaines à Paris. A l'époque, le Carnaval était très grand et prospère à Paris et dans tout le pays.

Suite à l'augmentation du nombre de leurs membres, les goguettes ont disparu presque partout. Et ont ensuite été oubliées. Cette augmentation est intervenue à partir de 1835, date à laquelle elles furent autorisées à compter plus de dix-neuf membres. Auparavant, c'était formellement interdit en France de regrouper pour quelque motif que ce soit plus de dix-neuf personnes dans une société organisée.

Pour des raisons qui relèvent à mon avis de la nature-même, dès qu'un groupe humain atteint vingt membres, il perd son unité. Et souffre de quantité de soucis qui, à la longue, le font le plus souvent disparaître.

A Dunkerque et dans sa région ceci n'est pas arrivé pour des raisons circonstancielles locales.

Les goguettes étaient des goguettes de marins-pêcheurs. Les marins-pêcheurs de Dunkerque et sa région partaient chaque année à la pêche à la morue au large de l'Islande et de Terre Neuve dans de petits bateaux : les lougres. Les équipages de ceux-ci étaient de douze hommes.

Résultat de cette origine des goguettes, à Dunkerque et dans les villes alentours, elles sont traditionnellement restées petites. Pour un Dunkerquois, une goguette, appelée là-bas « société philanthropique et carnavalesque », doit évidemment rester petite.

Si on observe le Carnaval dans la région de Dunkerque, là où étaient les marins-pêcheurs, il est partout énorme et les goguettes subsistent. Dès qu'on s'éloigne un peu, par exemple jusqu'à Lille, il n'y a plus rien.

Cette forme goguettière m'a inspiré la réponse au problème du confinement des malades hospitalisés que j'ai pu observer à l'hôpital Percy.

Former des groupes de malades qui se réuniraient ponctuellement pour chanter des chansons.

Cette activité serait organisée en telle sorte d'éviter que des malades d'un même service forment la totalité d'une goguette. Ainsi, on éviterait le confinement ensemble pour chanter de malades relevant d'une même pathologie.

Ces groupes seraient encadrés par des bénévoles extérieurs intervenant à l'hôpital ou des membres des équipes médicales.

La pratique goguettière pourrait ainsi rejoindre d'autres activités développées au sein de l'hôpital pour maintenir ou relever le moral des malades.

Elle profiterait de la présence de certains malades plus naturellement animateurs que d'autres.

Reprendre en chœur le refrain de chansons chantées par certains. En créer des nouvelles. C'est possible. Et ne nécessiterait aucun financement particulier.

Cette pratique développée à l'hôpital Percy pourrait être étendue aux autres hôpitaux militaires de France, de l'étranger, aux hôpitaux civils.

La pratique goguettière en hôpital pourra donner aux malades l'envie de la poursuivre à la sortie de l'hospitalisation. Et réduire ainsi les risques d'isolement social qui sont engendrés par les longues hospitalisations.

Ma proposition est simple. Mais elle est le fruit de vingt années de réflexion et d'étude du Carnaval et de son histoire.

Si vous souhaitez que nous en parlions ensemble, je suis à votre disposition pour le faire.

Basile, philosophe naïf, Paris le 27 décembre 2013



samedi 21 décembre 2013

187 Coup d'état cléricale-fasciste en Espagne

Le gouvernement espagnol s'apprête à interdire l'avortement. Quand on cherche la raison de prendre une telle décision on trouve l'affirmation suivante : avorter est contraire à la volonté divine qui veut qu'une grossesse amène forcément une naissance. Cependant, je remarque ceci : toutes les femmes nubiles, non fécondées et non ménopausées pondent un ovule tous les vingt-huit jours. S'il n'est pas fécondé il se désagrège et part avec les menstrues. Ce qui correspond à une sorte d'avortement ou demi-avortement tous les vingt-huit jours. Faut-il l'interdire également ?

Autre remarque : ceux qui condamnent l'avortement condamnent aussi la masturbation. Motif : le gaspillage de semence. Or, il se trouve que l'homme fécond produit en permanence des spermatozoïdes qui, s'ils ne sont pas éjaculés avec du fluide séminal, sont évacués avec l'urine. L'homme donc, à son insu, avorte en allant pisser. Et le fait tous les jours. Faut-il au nom de la défense de la vie interdire à l'homme d'avorter ainsi ?

Au moment de la fécondation d'une femme, un seul spermatozoïde parvient à s'unir à l'ovule. Les centaines d'autres présents dans l'éjaculation sont perdus et vont mourir. Par respect pour le droit à la vie devons-nous créer une maison de retraite pour les spermatozoïdes sans emplois ?

Les femmes fécondées avortent quelquefois spontanément, notamment au tout début de leur grossesse. Devons-nous faire une loi pour interdire à la Nature d'agir ainsi ?

Dieu a voulu les ovules humains fécondés. Il a aussi créé les œufs pour qu'ils deviennent poussins, coqs et poules. Faire une omelette ou un œuf dur c'est s'opposer à la volonté divine. Devons-nous punir de prison le crime d'omelette ou d'œuf dur ? Omeletter et œuf-durer c'est avorter !

Quand on a une crise d'appendicite, la volonté de Dieu est que nous mourions. Devons-nous, au nom du respect de Dieu, interdire d'opérer l'appendicite de malades que Dieu a ainsi choisi de rappeler à lui ?

En fait, la vraie raison première de prohiber l'avortement est de maintenir les femmes dans la terreur et sous la domination machiste. Raison à laquelle s'ajoute l'exaltation des privilèges des riches qui ont toujours grâce à leur argent et relations la possibilité d'avorter dans de bonnes conditions.

L'autre raison principale pour interdire l'avortement légal est la stupidité et le fanatisme.

Les prochaines étapes juridiques en préparation sont l'interdiction de la contraception, du mariage homosexuel, ensuite du divorce, le rétablissement de la peine de mort, des châtiments corporels et de la torture judiciaire avec des tribunaux religieux (Inquisition) à moins que...

En attendant, la Révolution Cro-Magnon est en marche ! Avec Goldman Sachs, Chevron, le pape François, la Troïka et tous les autres. Vinci et Hollande applaudissent.

Les femmes sont invitées à retourner à la cuisine et à l'église. S'ouvre enfin la marche triomphale vers le grand retour de la non pensée. Vous vous sentez libre ? Profitez-en ! Ça ne durera pas. Adieu la vie, adieu l'amour, adieu toutes les femmes, bienvenue dans l'Enfer Européen.

A propos, au cinquième siècle de notre ère, Tertullien, un des pères de l'Église, a condamné la teinture des étoffes. Car selon lui agir ainsi signifie prétendre corriger l'œuvre de Dieu. Si Dieu avait voulu que nous nous habillons en couleurs, il aurait créé des moutons de couleurs. CQFD.

Basile, philosophe naïf, Paris le 21 décembre 2013

jeudi 19 décembre 2013

186 Marinaleda : une ville andalouse à la pointe du progrès social et politique

Ce qui se passe à Marinaleda depuis 1979, soit depuis trente-cinq ans, dépasse très largement en importance cette seule petite ville andalouse de 3000 habitants et sa région l'Andalousie. Cela concerne l'Humanité toute entière. A certains points de vue Marinaleda est aujourd'hui le sommet du progrès de la Civilisation humaine. Un exemple simple, à suivre, enrichir, développer partout dans le monde.

Les grands de ce monde nous claironnent que le problème du jour c'est « la crise ». Significatif de celle-ci est le chômage massif. Et, dans les villes de nos pays qu'on dit « civilisés » et « évolués », les pauvres vagabonds se comptent par dizaines de milles.

En France, pays très riche, il y aurait 150 000 crève-la-faim qui dorment dans la rue et 8 millions de pauvres !

A Marinaleda il y a juste 5 % de chômage contre 30 % dans le reste de l'Andalousie. Et tout le monde a un toit.

A la coopérative qui fait vivre la ville, les ouvrières travaillent dans une atmosphère détendue, en musique et sans chefs ! Elles ont le sentiment de travailler pour elles. Et que leur travail leur appartient. La production est de première qualité. Notamment l'huile d'olive, exportée en Italie, est d'exceptionnellement bonne qualité.

Les élus de la ville pourraient difficilement être corrompus par leur charge : ils ne touchent pas un centime pour l'occuper !

Et ils ont signé par devant notaire l'engagement d'être les premiers à agir pour amener des progrès économiques et sociaux à Marinaleda et les derniers à en bénéficier.

Les loyers de logements spacieux et modernes, de 90 mètres carrés avec tout le confort et un patio de 100 mètres carrés, sont de 15 euros 52 centimes par mois. La crèche, nourriture comprise, coute 12 euros par mois et par enfant. L'abonnement annuel pour la piscine coute 3 euros.

Toutes les décisions municipales sont proposées en assemblées générales où les habitants discutent et votent, enfants compris. Il y a une centaine d'assemblées générales par an.

Il n'y a pas de délinquants, pas de policiers et pas d'amendes... Et pas de capitalistes, de banquiers ou de spéculateurs, qui sont les délinquants légaux du libéralisme économique.

Devant les problèmes du monde, on pourrait penser que tous ceux qui disent chercher des solutions vont clamer haut et fort : « les solutions sont là ! suivons l'exemple de Marinaleda ! »

La plupart du temps tous ces gens qui prétendent vouloir notre bien ne le font pas. Seule une très petite minorité parle de Marinaleda. Pour découvrir Marinaleda, il m'a fallu « tomber dessus » au hasard d'Internet. Autour de moi, personne ne connaissait Marinaleda, y compris des militants politiques d'extrême gauche.

Pourquoi il y a des personnes certainement au courant qui évitent d'en parler ? Par peur de la violence ? Mais, chose prodigieuse à souligner : ce qui se passe à Marinaleda a été obtenu sans violences. Sinon exceptée celle de la « guardia civile » qui vint s'opposer aux habitants durant les années où ils luttaient pacifiquement pour obtenir de pouvoir travailler des terres.

Mais il faut à présent expliquer ce qu'est Marinaleda.

Qu'est-ce que Marinaleda ?

Marinaleda est une petite ville de l'Andalousie, au sud de la péninsule ibérique. Cette région fait officiellement partie du royaume d'Espagne. En 1936, lors du « pronunciamento » soulèvement militaire franquiste, les franquistes assassinèrent le maire républicain Vicente Cejas, son fils et trois dizaines d'habitants de cette petite ville.

Deux mots résument les problèmes andaloux : jornaleros et latifundios.

Les jornaleros sont l'immense masse de travailleurs agricoles sans terre. Les latifundios de gigantesques propriétés, très souvent en friches, appartenant à des propriétaires très riches ou des organismes étatiques, comme l'armée. Le plus gros propriétaire de la région de Marinaleda et de l'Andalousie est le duc de l'Infantado. Il possède 17 000 hectares, le plus souvent en friches. Qui lui rapportent beaucoup d'argent. En tant que propriétaire de terres agricoles il touche de l'Europe une « aide ». Vers 1980-1990 elle se montait à deux millions d'euros par an et a du augmenter depuis.

Après la mort du général Franco, survenue en 1975, la dictature va cesser. En 1977, se fonde à Marinaleda le Sindicato de Obreros del Campo (Syndicat des Travailleurs de la Terre) - SAT. Il compte 55 membres à son début. Bientôt ils seront 600.

Il va lutter pour assurer la subsistance et des conditions de vie décente pour la population. D'abord pour obtenir l'eau, puis pour obtenir la terre.

Comme cela s'avère nécessaire, les militants s'engagent dans le combat politique. Et remportent les premières élections libres depuis la fin du franquisme. En 1979, Juan Manuel Sánchez Gordillo, un enseignant né en 1952, devient à Marinaleda le plus jeune maire d'Espagne. Contrairement à une multitude de politiques de tous pays, il ne trahira pas ses électeurs après avoir été élu.

Dans son bureau, le drapeau républicain remplace le drapeau royal, le portrait de Che Guevara celui du roi. Le maire porte une chemise rouge et un foulard palestinien. Il lui est arrivé d'être frappé par la police. A deux reprises des organisations d'extrême-droite ont cherché à attenter à sa vie.

Il déclare être inspiré par l'exemple du Che, du Christ, de Gandhi et des anarchistes andalous.

Après son élection, la lutte pour la terre se poursuivra durant des années, avec occupations de fermes, blocages de routes, ligne de chemin de fer, aéroport...

L'action se porte en particulier sur les terres du duc de l'Infantado. Elles sont défendues par la guardia civile, la police du régime. Un été on verra même les hommes du duc abattre toute une rangée d'arbres afin de priver d'ombre les protestataires qui se regroupent en plein champs ! Cependant qu'en face, la police conserve l'ombrage des oliviers. D'innombrables actions judiciaires sont intentées contre les protestataires. Qui subiront la violence y compris physique de la répression. Le maire fera de la prison. Et sera et reste constamment réélu depuis sa première élection.

A force de protestations pacifiques, une victoire est remportée. En 1991, le gouvernement espagnol achète au duc 1259 hectares de terres agricoles et les remet à la municipalité de Marinaleda.

Elles vont être cultivées en coopérative. Chaque employé, quel que soit son poste, touche aujourd'hui 47 euros pour 6 heures et demi de travail par jour, de 7 heures à 14 heures. La moyenne du salaire en Andalousie est de 30 à 35 euros par jour.

Le travail est réparti. Si, par exemple, il y a 200 travailleurs et on a besoin de 50, on fait quatre équipes de 50 qui travaillent chacune à tour de rôle durant une semaine. Et tout le monde est payé pour quatre semaines de travail. Quand il y a un surcroît temporaire de travail, on embauche des travailleurs extérieurs. On n'augmente pas l'intensité ou la durée habituelles du travail des habitants de la coopérative de Marinaleda.

Si des bénéfices sont faits, ils ne sont pas distribués, mais servent à créer des emplois nouveaux.

Quand le chômage apparaît avec l'arrivée de la crise économique à partir de 2008, on s'applique à ce que chaque famille de Marinaleda ait au moins un emploi à la coopérative afin qu'elle ne se retrouve pas sans ressources. Le principe suivi est que chacun a droit à manger.

Et aussi à se loger. La municipalité a exproprié une quantité de terrains autour de la mairie. Ils sont ensuite mis gratuitement à la disposition de mal logés de la ville qui souhaitent se loger. Les matériaux de construction sont fournis grâce à une aide de l'État et la région. La mairie paie un architecte et des ouvriers spécialisés. Ils encadrent les mal logés, qui construisent une série de maisons. A l'issue, chaque mal logé dispose d'une habitation confortable avec un grand patio qui pourra servir à agrandir la maison. Aux plans de l'architecte, les futurs habitants de l'ensemble de maisons peuvent proposer des modifications. A l'issue, une fois logés, ils paient juste 15 euros 52 centimes par mois pour rembourser les matériaux de construction. Le résultat de cette politique d'auto-construction est qu'un tiers des habitants de Marinaleda est logé ainsi dans plus de 300 maisons. Et personne ne se retrouve sans abri.

Voilà où on en est aujourd'hui à Marinaleda. Et dont on ne parle pas suffisamment. Ce qui est possible là-bas l'est partout, en l'adaptant bien sûr. Et à condition de le vouloir. Mais les élus qui, de par le monde, n'agissent pas dans ce sens, le veulent-ils ? La question mérite d'être posée. Et je me doute de la réponse. Ou alors qu'ils agissent vite !

Où en est aujourd'hui Marinaleda ?

La municipalité de Marinaleda souhaiterait voir son exemple suivi ailleurs et partout.

Autre action : en août 2012, avec 400 militants syndicaux du SAT, le maire a été exproprier de la nourriture de première nécessité dans deux supermarchés de la région. Elle a été distribué à des sans abri de Séville qui squattent un bloc d'immeubles. Il y a beaucoup de sans abri dans cette ville.

Durant le même été, souhaitant offrir plus de terres à cultiver, le maire de Marinaleda, avec des militants syndicalistes du SAT, a occupé durant dix-huit jours la ferme de Las Turquillas à Osuna. Elle est immense, appartient à l'armée espagnole. En friche, juste une vingtaine de chevaux y vivent. Les occupants ont été chassé par la police. En novembre 2013, le tribunal de la région a condamné pour cette occupation le maire de Marinaleda et le secrétaire général du SAT Diego Cañamero à une très importante amende et sept mois de prison ferme. Après la confiscation de nourriture opérée en août 2012, le ministre de l'Intérieur espagnol a fustigé cette action en disant qu'il y avait certes des problèmes, mais qu'on ne devait pas réagir ainsi, car ce serait « la loi de la jungle ». A ma connaissance, dans la jungle amazonienne, les singes se conduisent plus généreusement que dans la jungle capitaliste, libérale et « européenne ».

On ne voit aucun singe priver un autre singe de nourriture sous prétexte qu'il n'a pas d'argent. Ni accaparer un stock de nourriture en affamant les autres, sous prétexte que c'est « sa propriété ».

Basile, philosophe naïf, Paris le 19 décembre 2013

jeudi 12 décembre 2013

185 Le désespoir des singes

L'être humain, dans son fond d'authenticité simiesque, porte en lui une envie folle de fraternité. Celle-ci explique nombre de ses comportements apparemment absurdes, excessifs, désespérés, irrationnels.

Au nombre de ceux-ci j'analyserais ici plusieurs suicides.

Un homme retraité se suicide. Motif évoqué : il ne lui restait plus comme activité que faire le tour de la cité jardins où il habitait.

Un autre, entré à l'usine à quatorze ans, gravit tous les échelons possible de qualifications. Il fini chef de laminoir. L'usine est rachetée par un concurrent. Qui décide sa liquidation. L'ouvrier qui a passé sa vie dans cet établissement, s'est consacré à lui, se suicide. Il laisse une veuve et un orphelin.

Un jeune cuisinier, passionné par son métier, est engagé dans un très grand parc d'attractions. Il se retrouve dans un pseudo-restaurant où les plats arrivent tout préparés dans des sachets de portions individuelles sous vide. Son travail se résume à les faire réchauffer dans l'eau bouillante, ouvrir et vider dans les assiettes qui sont portées ensuite aux clients. Désespéré, il se suicide.

Pour ces trois cas existent des explications simples. Qui m'apparaissent, réflexion faite, éloignées des motifs réels.

Les explications simples étant : le retraité s'ennuyait. Et n'avait plus de raisons de vivre. L'ouvrier lamineur se retrouvait au chômage. Le cuisinier était déqualifié.

La vraie, seule et unique raison des trois était que la fraternité était bafouée. Dans les trois cas, le suicidé avait réalisé qu'on lui faisait, quelqu'un lui faisait, subir un sort. Qui témoignait de son absolu mépris, absolu ignorance de la fraternité. C'est ce sentiment d'être victime de cette violence, qui les a poussé à mettre fin à leur vie.

Quand ce sentiment de non fraternité n'est pas aussi fort, dans les mêmes conditions matériels et sociales on ne se tue pas. On peut s'ennuyer retraité. Se retrouver au chômage ou dans un emploi largement déqualifié. Et tenir le coup.

Autre exemple des conséquences du refus de fraternité. Un jeune homme apprend par sa petite amie qu'elle le quitte. Il la tue.

L'explication simple est la possessivité. Et le non sens de tuer quelqu'un auquel on tient.

Le motif réel est différent : on est proche d'une personne. Subitement elle vous quitte. Et apparaît satisfaite et contente alors qu'on souffre. Ce refus brutal de la fraternité est ressenti comme une agression insupportable. D'où vient la réaction violente. Qui est bien sûr totalement injustifiée et injustifiable.

Le besoin ardent de fraternité conduit à quantité de comportements aberrants. On pense vivre avec quelqu'un. Dont on partage effectivement une partie de la vie quotidienne. Cette personne vous fait horriblement souffrir. Mais, pour rien au monde on ne veut la quitter. Pourquoi ? Parce que la perspective de quitter, lâcher cette « fraternité » très largement imaginaire vous terrorise.

D'autres situations également insensées : on croit séduire, on est séduit ; on croit protéger, on est dépendant et prisonnier de la personne qu'on croit protéger. A laquelle on croit être indispensable. Et qui, quand elle en aura marre de profiter de vous, vous quittera sans remords ni regrets pour profiter d'un autre.

Les justifications et excuses qu'on trouvera pour justifier d'accepter d'être littéralement « dévoré vif » par quelqu'un sont diverses, innombrables et variées. Au fond, elles recouvrent toutes la même chose : la fringale ardente de fraternité. Le refus, la peur de perdre même rien que l'ombre de celle-ci, la présence imaginaire de celle-ci. Le singe en nous ne peut pas admettre que cette chose indispensable dont il a naturellement besoin, on la lui refuse. Son frère n'est plus son frère, mais un étranger qui, dans le pire des cas, rit de son malheur. Ou qu'il a l'impression d'entendre rire de son malheur.

La difficulté d'analyser les comportements vient du phénomène de la pluralité des mondes. Chacun vit dans le sien. Et le perçoit différemment des autres. A un Anglais rencontré en vacances, je disais : « le prince et la princesse de Galles, avant d'être prince et princesse, sont des êtres humains comme toi et moi ». Il me répondait : « je ne suis pas d'accord. » Et, pour lui, effectivement, dans son monde, le prince et la princesse de Galles n'étaient pas des humains comme les autres.

Quand manque la fraternité, on voit certains pratiquer la fraternité avec des objets morts. Un milliardaire a ainsi acheté il y a quelques années un manuscrit authentique de Léonard de Vinci. Comme ça, il peut déposer ce précieux objet sur une étagère à portée de main chez lui. Le prendre. Le feuilleter. Et avoir l'illusion de communier avec l'illustre savant et artiste. Mais, en réalité, il a juste un paquet de feuilles de parchemin relié entre les mains. Qu'il a acheté avec beaucoup d'argent. Qui pourra être revendu un jour. La fraternité qu'il ressent est absolument factice.

D'autres formes de pseudo fraternité de compensation du vide existent. Par exemple on remplacera la fraternité par la fonction sexuelle. On croira qu'en s'accouplant avec le plus grand nombre de partenaires possible on vit quelque chose. On ne vit en fait pas grand chose. Et, à force d'insister dans cette direction, on peut bien finir par commettre des bêtises, crimes et imprudences. Comme d'agresser sexuellement une femme de ménage dans un hôtel new-yorkais.

L'insatisfaction générée par des comportements de compensation pourra être réduite par la poursuite de mythes. Par exemple, on pensera qu'il existe des rapports sexuels fabuleux. Qui eux apportent pleine satisfaction. Il suffirait de faire la rencontre unique de la bonne personne ! Piètre consolation que la poursuite de ce rêve sexolâtre !

Plus simple et moins risqué le plus souvent, sera de chercher à compenser le manque de fraternité par la possession d'argent ou d'objets. Collectionner des disques, timbres, carte-postales, servira à oublier la dureté du monde.

Ce qui protège des conséquences nuisibles du manque de fraternité, c'est conserver l'amour des autres en général. L'amour devient alors une véritable assurance-vie contre le désespoir, le suicide.

Même seul on se dit faire partie de l'Humanité. Qui, en dépit de tous ses manques, défauts, contradictions, reste fraternelle. Un sourire sincère entrevu calme toutes les peines. Des gens vous ont fait souffrir ? Leur souvenir a moins de réalité que le prochain sourire rencontré. Pour servir de guide, boussole, bouée de sauvetage, donnez, échangez, faites le bien, sans exagération. Vous vous ferez ainsi du bien d'abord à vous-mêmes. La fraternité commence par être son propre frère et l'encourager à fraterniser avec ses semblables. Là est la vérité. La haine ne mène nulle part. L'amour raisonnable, car l'amour raisonnable existe, éclaire le chemin de la vie.

Basile, philosophe naïf, Paris le 12 décembre 2013

lundi 9 décembre 2013

184 La frontière des caresses

La frontière des caresses est une phénomène culturel fondamental de notre société. Et qui a la particularité de ne pas exister officiellement. Cette frontière marque le fait qu'à un moment-donné de la relation entre deux ou plus d'humains, celle-ci devient « sexuelle ». C'est-à-dire est sensée devoir déboucher sur l'accouplement. Ce moment est signifié par des événements bien précis. Leur caractère culturel est montré par leur singularité suivant les sociétés considérées. Ainsi, par exemple, s'embrasser sur la bouche ne marque pas la frontière des caresses en Russie. En France, en revanche, c'est le cas.

Les enfants ignorent cette frontière. En voici deux exemples : une grand mère parisienne qui adore son petit fils de quatre ans parlait devant moi à une de ses vieilles amies. Elle lui racontait que son petit fils l'avait surprise en lui disant : « Mamie, je voudrais t'embrasser sur la bouche pour voir ce que ça fait. » Elle lui avait répondu : « Ah non, Mamie n'embrasse pas comme ça, sauf Papi. Parce qu'elle est amoureuse de Papi. » Et ainsi la dame inculquait à l'enfant ladite frontière.

L'inexistence de celle-ci pour les petits enfants m'a valu une désagréable mésaventure il y a une trentaine d'années. Pour moi, élevé dans une famille où j'étais privé de câlins, ceux-ci ne me paraissaient pas autrement que « sexuels ». Or, un jour, j'étais assis sur un siège bas, quand le fils de mon meilleur ami, alors âgé de deux ans, s'est approché de moi. Et, par surprise, m'a embrassé dans le cou. Ça m'a beaucoup troublé et dérangé. Pourquoi ? Parce que ça m'a fait très plaisir et aussitôt culpabiliser. Embrasser dans le cou, ressentir du plaisir en étant embrassé dans le cou, m'apparaissait forcément « sexuel ». Or, il s'agissait d'un innocent petit enfant ignorant ce qu'il faisait. Éprouvant dans ce cas du plaisir, bien malgré moi, cela signifiait-il alors que j'étais un monstre attiré sexuellement par un petit enfant ? Cette pensée m'a tourmenté durant une quinzaine de jours, sans que j'ose en parler à personne. Finalement, j'ai trouvé la réponse satisfaisante : « Mais non, je ne suis nullement attiré ainsi par cet enfant. Je n'ai aucun désir de copuler avec. Il n'y a aucun problème ! »

On pourrait croire que si cette frontière existe, seuls ceux qui évitent le sexe en tiennent compte. Les libertins devant l'ignorer absolument. Ce n'est pourtant pas du tout le cas.

Je compare deux personnes que je connais. L'une, un homme, n'est pas du tout libertin. Proche de moi, s'il veut me faire un câlin. Il me donne des tapes dans le dos, qui expriment sa sympathie, en évitant absolument de me faire plaisir. L'autre, une femme libertine, par moments a des gestes tendres, mais reste au fond très distante. Pourquoi ? Parce que si pour le premier la frontière des caresses ne doit pas être franchie, pour la deuxième, on ne doit la franchir que bien clairement pour aller à l'acte. Or, je suis étranger à ses messages gestuels. Son langage suggéré ne m'est pas connu. Et je n'y répond pas. En résumé, elle ne veut franchir la frontière des caresses qu'à condition d'aller à la relation sexuelle. Si ça n'est pas clair. Et si ça ne suit pas son expression gestuelle, elle s'arrête en chemin. On voit ici que plus que la jouissance, il s'agit de rechercher la communication, l'accord. Quand on ne trouve pas la communication, l'accord, on se passe de la jouissance. En dernier ressort c'est la communication qui reste la chose la plus importante.

Beaucoup ont du mal à franchir la frontière des caresses. Il n'est pas rare de voir des individus recourir à l'alcool pour se donner le courage, la témérité de franchir cette frontière invisible. On évoque le cas de personnes saoulées et abusées. Il existe aussi quantité de gens qui boivent pour arriver à copuler. Le résultat n'est pas forcément satisfaisant. Car la communication manque.

Certaines cultures accordent une place démesurée à la frontière des caresses. Il en est ainsi de la culture chinoise, vietnamienne, cambodgienne ou laotienne traditionnelles. Deux amoureux ne se font ici aucun câlins en public. Au cours des dernières décennies j'ai assisté à l'arrivée en masses d'émigrés chinois, vietnamiens, cambodgiens ou laotiens à Paris. Durant très longtemps il était inimaginable de voir des couples émigrés de ces origines par exemple s'embrasser en public. Depuis peu d'années, l'influence occidentale a fini par faire fondre les traditions. On voit à présent à Paris de tels couples se faire des bisous en public. Mais c'est tout à fait nouveau.

La frontière des caresses connait un franchissement tactile. Il peut aussi être oculaire. On la franchi avec les yeux, le regard.

J'ai connu un jour un duel oculaire dans un lieu public parisien. Une jolie femme d'origine orientale entre et commence à me fixer un certain nombre de fois. Moi, de mon côté, je la regarde. D'abord par plaisir et curiosité, puis par curiosité essentiellement. D'ordinaire, les jolies femmes à Paris évitent de regarder ainsi un homme. Car elles franchissent alors la frontière des caresses. Au bout de quelques échanges oculaires, voilà la belle qui m'apostrophe : « il y a un problème ? Pourquoi vous me fixez comme ça ? » Sans relever le fait que c'était elle qui me fixait aussi, je lui répond, pour éviter le conflit : « je vous regarde parce que je vous ai trouvé jolie. Mais si ça vous gêne et vous préférez que je ne vous regarde pas, je ne vous regarderais pas. » Elle m'a répondu : « je préfère ». J'ai cessé de la regarder.

Il s'agissait en fait d'un duel oculaire. La femme s'était donné la liberté de me fixer, chose qui ne se fait pas aujourd'hui à Paris. On ne regarde pas ainsi par dessus cette frontière, ça paraît louche. Et dans certains lieux ça signifie certainement : « on baise ! » Comme je l'ai fixé aussi, elle a cherché à avoir le dessus. Et m'humilier en faisant comme si elle avait été agressée et se défendait. Pour éviter de m'embrouiller avec cette inconnue, je lui ai laissé le bénéfice de sa petite « victoire ».

Elle était semblable à ces femmes que j'ai vu me draguer franchement, puis faire machine arrière et m'accuser de les maltraiter, alors que j'avais plus ou moins répondu à leur attente.

L'histoire de ce genre la plus invraisemblable qui me soit arrivé s'est passée il y a bien des années. J'étais en visite chez une jeune dame. A un moment-donné, elle quitte la pièce. Revient peu après et me prend la main, l'introduit directement dans sa culotte ! J'en ai été abasourdi. Je l'ai vaguement caressé. Puis ai ressorti ma main. Là elle m'a engueulé parce que je n'avais pas assumé. Sous-entendu j'aurais du chercher l'accouplement. Et le plus beau, c'est que deux jours après, elle m'a reproché au téléphone d'avoir « profité de la situation ». Je lui ai répondu que ça avait eu l'air aussi de lui faire plaisir. Et elle a tu ses récriminations.

Par la suite, j'ai réalisé que durant le bref moment où elle était sortie de la pièce où j'étais, elle avait pris de l'alcool pour se donner du courage pour aller vers moi. Les effets l'avaient quelque peu dépassés. Elle, d'ordinaire si réservée, avait pris une attitude caricaturalement opposée.

Dans les années 1970, dans le milieu étudiant parisien que je fréquentais, il suffisait d'un regard appuyé échangé entre deux jeunes pour signifier le franchissement de la frontière des caresses. Je me souviens avoir ainsi échangé un regard avec une jeune femme, presque sans le chercher. Avoir compris qu'elle était d'accord pour aller avec moi au lit et ne pas y avoir donné suite. La drague ne m'a jamais passionné.

Le franchissement de la frontière des caresses s'exprime également avec le code vestimentaire. C'est alors comme une sorte de frontière vestimentaire. Plus d'une fois j'ai entendu des femmes se plaindre de l'audace vestimentaire qu'elles rencontraient dans leur entourage féminin. Le cri du cœur était : « ces filles exagèrent ! »

Les codes vestimentaires de franchissement de la frontière des caresses ne sont pas les mêmes suivant les pays. En Angleterre ou en Bulgarie, par exemple, une jolie fille peut se balader seule dans la rue le soir en minijupe ultracourte et haut moulant les seins sans que ce soit interprété comme une provocation sexuelle. A Paris, ce n'est pas pareil. Les femmes sont moins libres.

La frontière des caresses n'est pas définie très régulièrement. Et varie en fonction de règles locales propres à un groupe, une famille, une personne. Ainsi s'agissant du baiser sur la bouche. Quand j'étais étudiant aux Beaux-Arts dans les années 1970, je me souviens qu'il y avait dans l'atelier de gravure une très gentille Québécoise prénommée Colette. J'aimais beaucoup aller lui dite bonjour. Car systématiquement, au lieu de me faire la bise sur la joue elle m'embrassait sur la bouche. Je n'ai pas du tout le sentiment qu'elle cherchait ainsi à aller vers autre chose. C'était sa façon à elle d'embrasser. Et c'est tout. Je me souviens qu'en 1976, quand j'étais en vacances dans un camping en Bourgogne, deux dragueurs disaient entre eux : « telle fille, elle embrasse sur la bouche. » C'était visiblement pour eux tout ce que ça signifiait. La frontière des caresses était ici légèrement différente de celle des autres personnes généralement rencontrées par eux.

Dans le cadre d'une relation entre deux personnes la frontière des caresses peut prendre un tracé singulier. Ainsi une amie avait un jour décrété que la frontière entre nous deux s'arrêtait à la ceinture. Au dessus, tout était possible de ma part ou presque. En dessous, tout était interdit. « Je ne suis pas ta maîtresse » me donnait-elle comme explication.

Le problème de fond causé par la frontière des caresses est qu'elle détruit l'unité de la relation et divise les individus eux-mêmes et entre eux par des formules incompréhensibles, non étudiées, non maitrisées et non analysées. Où est la frontière des caresses ? Chacun lui donnera sa définition plus ou moins précise, sincère, évolutive, singulière.

Le résultat le plus triste de cette frontière est que des dizaines de millions de gens, voire bien plus encore, se retrouveront totalement privés de tous contacts « physiques » chaleureux. Je me souviens d'un vieil homme très sympathique. Ni sa femme, ni son fils, ni sa belle-fille ne le touchait. Seuls ses deux petits-enfants lui grimpaient sur les genoux.

Vers 1990, au service de gériatrie du défunt hôpital Broussais j'ai parlé avec des infirmiers qui me dirent pratiquer des massages aux personnes âgées uniquement pour leur offrir un contact.

La même chose aujourd'hui se retrouve avec les massages dit « de confort » qui sont donnés dans les cabinets de kinésithérapie, à titre onéreux et non remboursés par la sécurité sociale.

Autre problème : quand on est sensé franchir la « frontière des caresses », on est sensé devoir aller vers le sexe obligatoire. C'est une erreur très grave, très courante et dévastatrice, car rien ne devrait être ici « obligatoire ». Et qui plus est applaudi par l'entourage, qui devrait éviter de s'en mêler.

Croire qu'il existe une frontière des caresses à respecter, ou a franchir selon certaines règles, fait partie d'une culture qui nie les rapports humains sincères et chaleureux.

Où est la frontière des caresses ? Elle n'existe que dans le fatras de nos conventions. On en a très peur. On appréhende son « franchissement ». De quoi aurais-je l'air ? Comment serais-je accueilli ? Que dois-je faire ? Que veut l'autre ? Aura-t-il peur ? Dois-je avancer encore, ou déguerpir ?

Cette question de la « frontière des caresses » est vaste et complexe. Elle mérite d'être étudiée tranquillement, posément, avec sensibilité. Pour aller vers plus de relations réelles, chaleureuses et enrichissantes entre les humains. Et comme l'existence de cette frontière est niée, commençons par l'éclairer le plus largement possible. C'est aussi le but de ce petit texte de réflexions.

Basile, philosophe naïf, Paris le 9 décembre 2013

dimanche 8 décembre 2013

183 A propos d'à-priori

Il y a quelques décennies, une expérience fut tentée, je crois aux États-Unis. Sur une liste de candidats au mariage furent sélectionnés deux partenaires théoriquement idéalement accordés pour s'entendre. Les deux potentiels tourtereaux se virent offert une semaine de vacances ensemble, dans le meilleur cadre possible. On attendit le résultat. L'amour allait-il naître ? Les expérimentateurs en furent pour leurs frais. Certes, les deux potentiels tourtereaux passèrent une semaine agréable. Mais en aucune façon tombèrent amoureux. Les organisateurs de l'expérience restèrent perplexes.

Pourtant, l'explication existe. Il manquait à ces deux personnes au moins un aspect fondamental de la rencontre. C'est la rencontre elle-même.

Pour se rencontrer vraiment, il faut la découverte l'un de l'autre. La surprise de s'accorder... Là, la messe était dite. Dès le départ il était prévu, annoncé et connu que l'accord devait se faire, mécaniquement, automatiquement. La vie n'est pas si simple. Agir ainsi, c'est lui faire violence.

La méthode pour marier utilisée ici n'est pas nouvelle. Durant des siècles, elle fut employée pour les rois et les nobles en général. On listait les épouses potentielles et on négociait leur importation. Certes, des critères politiques d'alliance étaient fréquemment seuls suivis. Mais on peut supposer que ce n'était pas toujours le cas. Ce qui est certain, c'est que ces couples procréaient et ne s'aimaient pas. Il y a peu d'années, une commentatrice proférait joyeusement à ce propos une flamboyante ânerie : « ils finissaient par s'aimer ! La preuve, ils ont eu beaucoup d'enfants ! »

La manière la plus efficace d'empêcher une rencontre de se faire est de la prévoir d'avance. L'imaginer. Au lieu de se laisser vivre. Et laisser venir le monde vers vous. Et réagir au jour le jour à lui, sans chercher à suivre un programme, un chemin dessiné d'avance. La formalisation des sentiments, la planification de la vie, tuent les sentiments et la vie-même. On a beaucoup parlé du mariage ces derniers temps en France, à l'occasion du débat sur le mariage entre personnes de même sexe. Un débat qui en revanche n'a à ma connaissance jamais été ouvert en grand dans l'opinion publique est le suivant : pourquoi certains couples non mariés qui s'entendent bien et décident finalement de se marier officiellement, vont se séparer peu après ? Comme si le mariage venait ici détruire leur relation ? Ce genre de question touche au fond des choses de la vie. Qui font que quoi qu'on fasse, il faut s'écouter. On n'est jamais trop à l'écoute attentive de ce que dit notre cœur.

Laisser le temps au temps. Faire le cheminement de la découverte de l'autre. Autant d'éléments qui manquent souvent dans la pratique de la recherche amicale ou amoureuse chez bien des gens. On fait de l'apriorisme.

Par exemple, on pratique l'angélisation ou la diabolisation. Combien de niais angélisent. Croient qu'il suffit qu'une femme soit belle en suivant les critères du jour, pour faire « le bonheur » d'un homme ? Et d'autres qui font le même raisonnement à propos de la beauté d'un homme ?

Inversement, combien diabolisent ? Décrètent par avance, par exemple, qu'un homme ou une femme « trop jeune » ou « trop âgé » pour l'autre ne saurait le rendre heureux ?

Autant de manières artificielles d'anticiper avec des à-priori pour chercher à conduire la vie relationnelle. Exactement comme les expérimentateurs déjà mentionnés ici cherchant à établir les bases d'un couple idéal et rencontrant un échec flagrant.

Combien de personnes cherchent des garanties, des trucs, des raccourcis, des chemins de traverses pour arriver à un « bonheur » imaginaire. Et vont chercher à « deviner » d'avance par quel chemin mystérieux aller ?

Les librairies regorgent d'ouvrages bidons rédigés par des gourous de fantaisie auto-proclamés qui donnent leurs recettes « infaillibles » pour trouver le bonheur garanti !

On pourra voir aussi brandies à cette occasion des prétentions « scientifiques ». Vous voulez trouver le bonheur et ne le trouvez pas ? Faites donc une psychanalyse ! Ce qui est certain dans une psychanalyse classique, c'est qu'au prix où sont les séances elles fera au moins le bonheur financier de votre analyste !

On peut aussi faire appel à la magie de l'astrologie : en vertu de la date de naissance d'un inconnu, savoir par avance, avant de le connaître, s'il pourra faire votre bonheur. Fadaises que tout cela !

Et si, au lieu de chercher le moyen miracle d'arriver au bonheur obligatoire vous commenciez par vous écouter ? Chercher, constater simplement ce qui est en vous. Et qui, chose bien étonnante, le plus souvent ne correspond guère à la pensée unique dominante.

A force d'alterner traversées du désert et déceptions cruelles dans ma quête du bonheur obligatoire, j'ai fini par constater que je ne trouvais pas le sexe aussi passionnant qu'on voudrait nous imposer de penser. Je ne le trouve même pas intéressant du tout, ou presque. Mais, j'ai durant des dizaines d'années cherché à faire comme tout le monde. C'est-à-dire à suivre la pensée unique qui proclame le bonheur sexuel et obligatoire à chercher.

L'être humain est sexué. Et alors ? Il a aussi un appendice qui ne lui sert à rien. Pourquoi son zizi devrait lui servir absolument et obligatoirement à s'accoupler régulièrement ? Les statistiques données par les sondages à ce sujet m'apparaissent totalement fantaisistes. Si je les compare avec le peu de confidences entendues autour de moi. Des millions de gens ne baisent pas durant des semaines, des mois, des années, voire jamais. Et les sondages donnent des statistiques flamboyantes et totalement imaginaires montrant tous les humains passant leur temps à baiser régulièrement.

Que de discours sur l'être humain sexuel, asexuel, hétérosexuel, homosexuel, bisexuel ou transsexuel ! En fait, l'être humain est sexué, tout simplement. Il n'est pas sexuel, asexuel, hétérosexuel, homosexuel, bisexuel ou transsexuel. Il n'est rien du tout de précis dans ce domaine.

Il est plutôt fraternel. Au sens où il a besoin de l'amour des autres. Et de l'échanger avec le sien.

Je ne me sens ni fondamentalement sexuel, asexuel, hétérosexuel, bisexuel, homosexuel ou transsexuel. Je me sens tout simplement fraternel.

Comme un prêtre ou une religieuse ? demanderont certains.

Non, car un prêtre ou une religieuse font vœu de chasteté et renoncent à la chair. Moi, je ne renonce à rien. J'ai seulement renoncé de continuer à faire comme si le sexe m'intéressait. Alors que j'ai constaté qu'il ne m'intéressait pas, ou guère.

Puis-je changer ? Ou changer, puis revenir à l'état présent ? Bien sûr. Mais ça n'est pas l'essentiel. Et ça ne m'inquiète absolument pas. Ça peut tout aussi bien ne jamais arriver. Ça ne m'empêchera pas d'être fraternel. Et développer mon amour des autres.

Quant à ceux qui ne me comprendront pas, ça n'est pas grave. Ils ne se comprennent déjà pas eux-mêmes. A force d'écouter leur zizi, ils ont fini par oublier qu'ils ont un cerveau et un cœur.

Basile, philosophe naïf, Paris le 8 décembre 2013

samedi 7 décembre 2013

182 Pourquoi fuir ou s'en aller ?

Prendre le temps de découvrir, se découvrir à soi, laisser le temps au temps, laisser venir les événements, sans analyser et programmer d'avance, projeter, prévoir, imaginer ce qui va arriver, catégoriser, classer, espérer, craindre, désespérer...

Quand on garde l'esprit frais, on avance en se demandant ce qu'on ressent, ce qu'on a envie. Et ce que l'autre, si nous le rencontrons, a envie de faire. En se respectant et respectant l'autre, on laisse naître des moments nouveaux, on s'enrichit la vie.

Quand on commence à classer dès le départ. Et se dire ce qui doit arriver et comment, on ne perçoit plus la réalité. On ne s'intègre plus dans le processus vivant des gens et des choses.

On commence par identifier et ranger les rencontres. Au lieu de chercher simplement à voir et suivre le chemin qui se découvre petit à petit.

On ne devrait jamais se dire « je veux rencontrer la femme de ma vie » mais : « je veux rencontrer la vie ». Qui pourra prendre la forme d'un homme, une femme, un enfant, un animal, une musique, un paysage, une spécialité culinaire, un bel objet, un chaton, un parfum, le vol d'un papillon autour d'une fleur. On s'efforcera d'apprécier pleinement ces différentes facettes de la vie. Et sentir ce qu'elles apportent. Et quelle est la plus juste conduite qu'elle amène à avoir.

Conduite qui peut ne pas être du tout logique et prévisible. Si c'est, par exemple, un chat qu'on rencontre, il n'est pas du tout dit qu'on va forcément le caresser. Il existe des chats qui n'aiment pas les caresses.

Les années passant, il est fréquent qu'on devient circonspect et exigeant, suite aux déboires et déceptions rencontrés. Alors qu'en fait chaque jour est le premier. Et il suffit d'écouter très attentivement. Regarder et suivre exactement le chemin étroit qui se découvre au fur et à mesure devant nous. Pour éviter de retomber dans les ornières rencontrées déjà dans le passé.

Quand on rencontre un être vivant, que ce soit un hamster, un corbeau ou un humain, évitons de le juger. Considérons-le pour ce qu'il est au moment où il se présente à nous : il est unique. Et la rencontre qui commence est unique également.

La prudence est possible. Mais il n'y a plus de peur à partir du moment où on regarde exactement où on met les pieds. Et, certains jours, un hamster peut vous apporter plus qu'un corbeau et un corbeau plus qu'un humain.

Regardez et écoutez le spectacle du monde. Vous ne serez jamais seul et jamais triste. Ce qui plonge dans la solitude et la tristesse, c'est le bruit du monde. Ignorez ce bruit. Écoutez plutôt le chant des oiseaux ou la douceur du silence.

Vous êtes seul ? C'est merveilleux ! Vous êtes accompagné ? C'est merveilleux aussi. Tout est merveilleux, à condition de savoir en gouter la douceur et la profondeur. Le malheur vient souvent de ce qu'on regrette de ne pas avoir. Mais nous n'avons rien. Même notre ombre ne nous appartient pas. La seule chose que nous pouvons apprécier, c'est l'instant présent. Où peut se glisser le chatoiement d'une libellule traversant un rayon de soleil au printemps. Une fleur blanche se balançant doucement dans la brise au milieu d'une prairie ensoleillée. Une grenouille solitaire posée sur une feuille de nénuphar, plongeant dans l'eau d'un étang dans la tiédeur du soir.

Basile, philosophe naïf, Paris le 7 décembre 2013

dimanche 1 décembre 2013

181 Réflexion sur l'organisation fraternelle et douzainière

Je ne suis ni pour la dictature, ni pour la révolution, mais pour l'Humanité, un monde amélioré, à défaut d'être parfait. Or, que ce soit dans la démocratie comme sous la dictature, un problème est commun et permanent : d'un côté est l'État, de l'autre l'individu, seul. Le déséquilibre est gigantesque. Dans un petit village, par exemple, il y a d'un côté Monsieur le Maire, de l'autre les individus, seuls. Et que dire quand ce n'est plus simplement Monsieur le Maire, mais Sa Sainteté le Pape, Sa Majesté l'Empereur ou Monsieur le Président de la République ? Le déséquilibre est encore plus massif. Quand un mouvement de protestation rassemble, le même problème surgit. Tout de suite il y a d'un côté les chefs, les leaders, les activistes, de l'autre, toujours les individus, seuls.

Tant qu'on ne sortira pas de cette situation de l'individu seul face au pouvoir, si petit soit-il, on ne risque pas d'améliorer vraiment et durablement les choses.

L'individu seul est faible, désarmé, influençable, apeuré, manipulable, exploitable, fanatisable, timide, incertain, égaré.

Pourtant, il a tendance à se regrouper : par affinités, goûts, amitiés. Concert de hurlements des tenants des pouvoirs : c'est le communautarisme ! La clique ! Le corporatisme ! Le gang ! La franc-maçonnerie ! La société secrète !

Non, c'est la tendance naturelle de l'animal social.

Il y a deux siècles, on reconnaissait les membres d'une communauté à leur costume, langage, contes, chants, danses, traditions culinaires, architecture des maisons, étables. Jusqu'aux races de chèvres, moutons ou vaches élevées qui indiquaient qu'on était Gascon, Berrichon ou Auvergnat.

Aujourd'hui, tout est gris. Plus de cultures régionales, on est tous Français, assis devant le même téléviseur de merde diffusant le même programme distractif de merde. Du moins, c'est ce que nous souhaitent nos « élites » tout en nous crachant dessus.

Dès qu'on invoque une culture régionale de bonnes âmes nous traitent de fascistes. Danser la bourrée auvergnate ou la gavotte, parler Breton ou Flamand de Dunkerque, seraient assimilables à une volonté scissionniste et insurrectionnelle.

Le seul groupe local que les États encensent, c'est « la famille ». En lui souhaitant de servir de courroie de transmission au pouvoir d'État.

Il existe une forme de structure politique, artistique, sociale, poétique qui était à la base de la festivité partout en France. Et l'est encore à Dunkerque et dans sa région : la goguette.

C'était des groupes de moins de dix-neuf personnes, se réunissant ponctuellement pour passer un bon moment ensemble, boire, manger, rire, bavarder, plaisanter, danser, chanter des chansons.

A Dunkerque, dans sa région, suivant l'amplitude traditionnelle des équipages des navires de pêche morutière, les groupes sont de douze. La fraternité et le Carnaval disparues ailleurs continuent à prospérer grâce au maintien de ces sociétés douzainières (composées de douze membres). Parlant des prémisses de la Commune de Paris de 1871, un auteur signalait l'existence de groupes indépendants proches, formés d'une dizaine de membres chacun. Ne serait-il pas juste et intéressant de propager cette forme de rassemblements douzainiers partout, pour humaniser la société ?

Basile, philosophe naïf, Paris le 1er décembre 2013

180 A propos des bonnets rouges

En 1956, fut créée une nouvelle taxe : la vignette auto. Cet argent devait servir aux vieux. Ils n'en virent jamais la couleur. Cette taxe fut supprimée en l'an 2000.

En 2013, les héritiers des bouffons d'hier, bouffons d'aujourd'hui, chantent la gloire d'une nouvelle taxe : l'écotaxe. Elle doit officiellement servir à moderniser nos routes, autoroutes et chemins vicinaux. Nouvelle bouffonnerie ! Le seul objectif est de vider nos poches.

On a déjà dépensé allégrement un petit milliard d'euros pour construire des dizaines d'impressionnants portiques bourrés d'électroniques destinés à fliquer nos axes routiers et taxer les poids lourds. Construits par une société privée basée en Italie qui devra collecter cet impôt.

Et demain taxer tous les véhicules, y compris les véhicules légers, et aussi les deux roues. Et ajouter par la même occasion un panel de caméras de surveillance policière sur tout le territoire.

La Bretagne s'embrase contre ces portiques.

Alors, tout le monde y va de son couplet. Les une pour expliquer que la Bretagne est frappée par de nombreuses faillites et réagit en tant que telle. Et d'autres pour dénoncer la collusion improbable entre patrons et salariés, droite, extrême droite et identitaires bretons.

Chose particulièrement étrange et curieuse, personne ne relève un point essentiel :

Pourquoi la Bretagne bouge avec ses bonnets rouges ?

Pour une très simple raison : partout en France l'automobiliste-mouton se fait tondre par d'innombrables et odieux péages autoroutiers. Partout... sauf en Bretagne où ils n'existent pas.

D'où la colère des Bretons. Ils n'ont jamais vu de péages sur les routes chez eux. Et les refusent avec vigueur.

Ils vont ainsi être à la pointe de la révolte contre la taxe pseudo-écologique, taxe ouvrant la voie aux péages pour tous, y compris pour emprunter les nationales.

Ce point essentiel, évident, de l'absence de péages en Bretagne, personne n'en parle.

La presse d'information informe, ou plutôt est informe.

Certains critiquent les protestataires bretons. En attendant, l'écotaxe est bloquée. Sans les Bretons, elle commençait à s'appliquer début janvier prochain.

Mais, au fait, pourquoi n'y a-t-il pas de péages en Bretagne ? Un Breton m'a dit dernièrement que c'était suite à une clause de l'acte de rattachement de la Bretagne à la France. Elle stipulait qu'aucune route ne devait subir la présence d'un péage. Il n'y a pas de péages sur les routes bretonnes, comme sur les routes de Belgique. En France, quand on les a recréé il y a quelques décennies, c'était parait-il indispensable pour la modernisation du réseau routier. Déjà ! Depuis, nos autoroutes à péages, appartenant à l'État, on été gentiment bradées et vendues à des boites privées. Qui en font leurs choux gras. Les tarifs grimpent chaque année. A présent, amis moutons, belons tous en chœur : vive l'écotaxe !!! vive les abattoirs fiscaux !!!

Basile, philosophe naïf, Paris le 1er décembre 2013

samedi 30 novembre 2013

179 Pourquoi les vrais couples et vrais amis sont si rares ?

Pour parvenir à être un vrai couple ou une vraie paire d'amis, cinq choses sont indispensables :

Que les parties prenantes soient gentilles, absolument sincères, honnêtes, désintéressées et aient le temps et la disponibilité pour se rapprocher. Or, il est très rare que les humains soient absolument sincères, honnêtes et désintéressées.

Ce qui ne signifie pas que dans un autre cas ils soient forcément hypocrites, malhonnêtes et intéressés. Non, ils sont, la plupart du temps, relativement sincères, honnêtes et désintéressés.

Ainsi, par exemple, il est courant d'entendre dire : « je ne mens pas à mes amis. Mais, en dehors d'eux, oui, à chaque fois que ça m'arrange ».

Problème : la commodité mensongère forme l'habitude. Et, à la longue, on fini par mentir à tout le monde par commodité.

L'honnêteté elle aussi est relative. On ne vole jamais, sauf de temps en temps... comme dit le proverbe : « l'occasion fait le larron ». Un objet intéressant traine et a été oublié. On le prend et oublie de le rapporter. Voler est si facile ! Dans ce domaine il est très fréquent de voir appliquer le vieil adage : « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ».

Les petits arrangements abondent, les petits contournements de règles établies sont fréquents. L'exemple vient d'en haut. Mais pourquoi ne pas dire aussi que la réciproque est vraie ? L'exemple vient aussi d'en bas. Si tout le monde vole, ou presque, pourquoi le ministre ou le chef d'état d'un pays ne volerait pas aussi ? Ce sont des hommes comme vous et moi. Simplement, quand ils volent, les sommes sont plus importantes que celles du voleur moyen.

Quand on voit frauder le fisc, que de clameurs outragées s'élèvent. Mais, tout le monde n'a-t-il pas envie de se soustraire à l'impôt ? Bien sûr, on nous ressortira la chanson de l'exemple vertueux qui doit venir d'en haut. Admettons la chanson. Il y a quelques temps, un ministre cache au fisc 500 000 euros. Concert de hurlements contre lui. Il démissionne.

A présent, réfléchissons un peu. Vous auriez 500 000 euros dissimulables au fisc, les dissimuleriez-vous ? Non ? Ah oui, une telle somme vous est inhabituelle ? Alors, disons, vous auriez 500 ou 50 euros à dissimuler au fisc et pourriez le faire. Bien sûr, vous le feriez. Pour le ministre, c'est exactement pareil. Sauf que comme il est beaucoup plus riche, il dispose de sommes plus importantes. Il est comme vous. Alors, que lui reprochez-vous ?

Que de critiques entendus contre les 80 milliards d'euros subtilisés au fisc en France chaque année, par des contribuables identiques par leur malhonnêteté à des millions et millions d'autres ! Mais, ne dit-on pas aussi : « on critique les privilèges uniquement chez les autres » ?

Tout le monde vole, ou presque. Et on voudrait que ceux qui peuvent voler le plus donnent l'exemple de la vertu ! Prétention comique, qu'on voit pourtant couramment énoncée.

Le problème avec le vol est qu'il ne s'agit pas seulement d'argent, mais aussi de comportements. Voler le temps, l'attention, les bisous et caresses, se pratique aussi.

Quand on vole, on vole tout.

Et l'amitié meurt avec.

La sincérité est nécessaire à l'amour. Le président ment pour se faire élire. Les ministres mentent pour durer. Les capitaines d'industrie mentent pour appliquer leurs plans. Les journalistes mentent pour garder leur travail. Tout le monde ment, ou presque, et tout le temps.

Le mensonge tue l'amour. Quand il est permanent, il l'empêche de naître. Avec l'amitié, c'est pareil.

Le désintéressement indispensable à la naissance d'un vrai amour, une vraie amitié, est également largement bafouée et niée dans notre monde.

Combien de gestes petits ou grands dont on attend un résultat ? Qui ne s'est pas présenté sous son meilleur jour pour obtenir en échange l'attention d'un autre ? En l'espèce, il est courant de voir, à leur échelle, des individus se comporter aussi bassement qu'un candidat aux élections faisant la pute pour briguer les suffrages des électeurs.

L'hypocrisie, se servir des autres, manipuler, flatter pour obtenir quelque chose, c'est la facilité.

Là, encore une fois, les individus concernés chercheront à se dédouaner : « oui, bien sûr. Là, je suis intéressé. Mais ailleurs, avec mes amis, mes proches, ma famille, je suis nature et sans calculs. »

C'est cela ! Rien qu'à considérer l'hypocrisie courante de bien des parents corrompant leurs enfants en les achetant avec cadeaux, compliments ou bisous pour avoir la paix, on peut douter de la validité de ces vertueux discours !

La gentillesse elle, brille souvent par son absence. Sinon, on ne la remarquerait pas. Elle irait de soi.

On revendique la gentillesse et on pratique fréquemment la violence morale.

Combien de jeunes filles rembarrent sans ménagements un amoureux mal venu et souhaiteraient être traitées avec égards et douceurs par les amoureux bienvenus ? Mais, le climat de violence morale aidant, dont elles participent, ne favorisera pas ce qu'elles souhaitent. Bien au contraire.

Enfin, le temps, la disponibilité pour aimer font souvent défaut. D'un côté parce que le travail capte attention, énergie, heures. D'autre part aussi parce qu'on veut aller vite. Or, une relation de qualité ne peut naître et se développer que dans la durée.

La plupart des humains font tout le temps exactement le contraire de ce qu'il faut pour faire naître amour ou amitié. Et s'étonnent qu'elles soient si rares.

Si vous êtes vraiment différent, c'est-à-dire tout à la fois gentil, sincère, honnête, désintéressé et prêt à consacrer du temps à la vraie relation entre les êtres, vous et d'autres, il faudra être patients et circonspects. Vos alter ego sont rares, très rares.

En attendant, ce qui peut vous aider à survivre, c'est d'aimer en général les autres. Mais cela peut aussi vous tuer si vous commettez l'erreur d'aimer une personne qui, en toute innocence, vous détruira et vous poussera à la dépression et au suicide.

La vraie amitié, le vrai amour sont rares, parce que la plupart des humains, sans le réaliser la plupart du temps, de facto, les refusent et n'en veulent pas. Pour les vouloir et trouver, il faut d'abord se changer soi-même en rejetant la bêtise ambiante. Être vigilant, soigneux, prudent, attentif et patient.

Basile, philosophe naïf, Paris le 30 novembre 2013