Nous sommes environné de
victimes d'agressions sexuelles, y compris à Paris, et faisons comme
si de rien n'était. On peut envisager que son voisin ou sa voisine a
été cambriolé, escroqué, fait voler son portefeuille par un
pickpocket ou fait dérober sa voiture par un voleur, mais pas qu'il
a subi le plus répandu des crimes : le viol, l'agression
sexuelle. Pourtant les indices éclatants abondent.
Une seule fois dans ma
vie ma mère, il y a bien des années, j'étais déjà « grand »,
m'a posé cette question : « Petit, tu riais tout le
temps, puis un jour ça s'est arrêté brusquement, pourquoi ? »
Je n'ai pas su quoi répondre. J'avais oublié quand je riais tout le
temps. Et cet arrêt, je l'ai compris bien plus tard, corresponds
très certainement à la série d'agressions que j'ai subi et que
j'assimile à un viol.
Si même une mère
attentive n'arrive pas à identifier ce qui arrive ainsi à son
enfant, on comprend que les victimes tardent souvent à s'identifier
et être identifiées comme telles. Sans motifs visibles, cesser de
rire tout le temps est un indice.
Une mère me décrit le
comportement d'une de ses filles. Soudain elle a commencé à avoir
une horreur très vive du toucher. Et s'est inquiété pour sa
sécurité au point de s'entraîner intensivement à un art martial
très violent. Et elle enchaîne des relations « amoureuses »
décevantes avec des machos. Relations qui ne sont que des plans cul
avec l'alibi de la recherche de « l'amour ». Elle se
justifie auprès de sa mère en disant que pour juger un homme il
faut absolument coucher avec.
Là nous avons trois
symptômes témoignant de l'agression ou des agressions subies. Et la
mère n'y voit rien de tel. Il faudra que j'arrive à lui ouvrir les
yeux, ce qui est une tâche plutôt pénible.
Une vendeuse dans un
magasin que je fréquentais il y a des années m'accueillait ainsi :
une fois, extrêmement câline, l'autre froide comme un iceberg. Bien
plus récemment, une jolie fille fait ma connaissance et est limite
séductrice. Me propose de prendre un jour un café ensemble. Puis
subitement plus rien, devient une sorte de glaçon agressif. Un jour
je lui touche très légèrement l'épaule pour attirer son attention
et l'effraye. Le toucher lui fait peur. Et son attitude avec moi a
varié sans raison. Encore ici une victime de viol, ou de sa
tentative ou d'un geste agressif apparenté.
Une dame et une jeune
fille que je connais ont un caractère très dur. Par ailleurs j'ai
su que l'une a été violée enfant et l'autre agressée nombre de
fois à un âge plus avancé. Pour moi leur caractère est hérité
de ces événements. Dans leur entourage personne ne le dit, pourtant
c'est évident.
Certaines victimes
combinent des élans chaleureux et tendres avec des attitudes
inverses. Ou des gestuels bizarres. Une jolie fille qui a été
agressée très jeune témoigne d'une sorte d'horreur de la bise, pas
avec tout le monde, mais avec au moins une personne. Qui pourtant ne
lui a rien fait de spécial.
Il existe des petits
signes et des signes de plus grande ampleur qui témoignent très
exactement de ce que c'est « cassé à l'intérieur ». Ce
qui ne signifie pas que ce n'est pas réparable. À
condition de chercher à le faire. Ce qui nécessite l'emploi de
protocoles tactiles particuliers.
Quelquefois ces
protocoles sont spontanés mais d'ampleur limitée. L'assistant d'un
dentiste pose la main sur l'épaule d'une cliente soignée et
angoissée et la calme aussitôt. La poignée de main chaleureuse
d'un très bon et sage patron d'un petit restaurant me réconforte
subitement. On a à faire ici à des échanges, partages,
transmissions d'énergie par la médiation tactile. Nous avons besoin
du toucher, de donner, recevoir, échanger, partager du toucher, et
en sommes très souvent privés.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 13 juillet 2017
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