Dans les années 1980
j'ai eu à un moment-donné une petite amie. Sexuellement ça a
toujours été très nul. Ce qui était, je le comprend bien à
présent, tout à fait inévitable, car nous avons suivi la pensée
unique sexuelle régnante. Nous cherchions à trouver le bonheur dans
la gymnastique patriarcale réglementaire dont le but suprême est le
mélange d'humeurs diverses d'origine féminine ou masculine. Mélange
recherché et obtenu indépendamment d'un quelconque vrai désir
réciproque.
Les deux moments les plus
beaux que nous avons vécus n'étaient largement pas « sexuels ».
L'un, c'était quand, très bricoleuse, cette dame construisait une
grand meuble avec du bois de récupération. Je l'observais et
parlais avec elle, assis sur un petit escalier. L'autre moment fut
une balade à vélos par une belle journée ensoleillée le long du
chemin de halage du canal de l'Ourq.
Si je n'avais pas été
infecté par la pensée unique sexuelle régnante, je me serais moins
polarisé sur la gymnastique décevante dont la perfection,
imaginaire, rêvée et absente, me manquait. Un peu comme un convive
insatisfait qui, à un banquet, est incapable d'apprécier les plats
servis. Même délicieux, il leur manque toujours quelque chose qui
en fait n'existe pas.
Ce mythe du bonheur en
fait introuvable, n'est pas le seul qui hante les relations
difficiles entre l'homme macho et la femme victime du machisme.
Il existe par exemple
toute une mythologie prétendant que quand elle a cédé au jeune
homme, la jeune fille qui d'abord ne voulait pas, trouve son pied
avec le jeune homme. La jeune fille est en fait généralement déçue
et ennuyée. Un acte forcé n'est pas agréable à vivre.
Une dame que j'ai connu,
qui avait épousé son mari vers 1944, me disait que commentant la
prestation sexuelle de leur mari, elle et ses copines disaient
toutes : « à chaque fois j'attends qu'il ait fini sa
petite affaire pour aller me laver. » Une amie me racontait que
sa mère, dans les années 1960-1970, à chaque fois que son mari
l'honorait, angoissait. Elle se levait tout de suite après en
catastrophe et s'envoyait avec la pomme de douche un jet d'eau glacée
dans le vagin, espérant ainsi éviter de tomber enceinte. Le mari,
que j'ai connu, paraissait un brave homme. L'imaginer allongé
paisiblement sous les draps cependant que sa femme procédait ainsi,
m'a laissé songeur.
Le cinéma à l'occasion
cautionne la fable de la jouissance automatique de la jeune fille qui
cède aux attentes sexuelles du jeune homme. Je me souviens d'un film
de Jean Renoir où une jeune fille emmenée dans les bois par un
jeune cavaleur qu'elle ne connaît pas, lui résiste quand il
l'assaille. Puis tombe dans ses bras. Et bien des années après,
mariée à un triste et quelconque bellâtre, croisant le jeune homme
qui l'a violé, appelons les choses par leur nom, lui dit :
« j'en rêve tous les soirs. » Dans un film comique
sorti au milieu des années 1960, on voyait un jeune homme sautant en
parachute avec une jeune fille. Aboutir ensemble à terre sous le
parachute. La jeune fille protestait, puis protestait de moins en
moins. Enfin la toile relevée par les deux jeunes gens, ils
échangeaient un sourire radieux et complice. Message évident : « si
une fille vous résiste, sautez-lui dessus, elle n'attend que ça. »
Et, bien patriarcalisé, la salle et moi trouvions ça normal et
amusant...
Voilà comment, à
travers chef d’œuvres ou films de distractions, le cinéma
distille le poison patriarcal. Même dans les livres pour enfants,
les publicités les plus anodines, les chansons sentimentales,
partout, partout, partout, on vous met dedans. Quand je me retrouve
en compagnie d'une dame avec laquelle j'ai l'air de m'entendre, aux
yeux de l'entourage, nous voilà mariés. Si je parle agréablement
avec une jolie fille, on dira que je drague. Avant, j'éprouvais
l'envie de protester. À
présent je ne dirai plus rien. Tant pis si on dira et croira que je
suis en couple ou que je drague.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 24 juillet 2017
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