mercredi 31 août 2016

636 Il faut que la poésie franchisse le rempart du langage

Le langage n'est pas neutre. Produit de la société où nous vivons il reflète ses clivages, limites, lois, habitudes et interdits. Il est particulièrement traître en amour. Prenons plusieurs expressions : embrasser, coucher avec, dormir avec, baiser, déclaration d'amour, faire l'amour et je vous aime.

Embrasser signifie à l'origine prendre dans ses bras, serrer dans ses bras. Aujourd'hui ça signifie faire un bisou. Comment dire alors ce geste essentiel de l'affection ? Faire un câlin. Mais, attention ! « Faire un câlin » peut aussi signifier baiser !

Quoi de plus agréable et chaleureux que partager son lit avec quelqu'un et dormir l'un contre l'autre. Mais « coucher avec » signifie encore une fois baiser ! Et « dormir avec » pareil !

Baiser signifie à l'origine donner un baiser. Las ! Une fois de plus, baiser a pris le sens de pratiquer l'acte sexuel !

Déclarer son amour pour quelqu'un, quoi de plus beau ? Mais, attention ! Si je fais une « déclaration d'amour » aujourd'hui, ça signifie... on baise ?

Faire l'amour signifiait jadis et fort justement « faire la cour ». Aujourd'hui ça signifie baiser.

« Je vous aime » était jadis une formule d'un usage très libre. On pouvait le dire ou l'écrire pour exprimer simplement son affection. Aujourd'hui, si je dis « je t'aime » à quelqu'un, ça veut dire : « on baise ? »

Le langage au lieu de servir ici à la communication forme un rempart entre les êtres. On dirait que le seul échange possible en amour, le seul but à atteindre est le coït. À lire divers sites Internet on trouve la confirmation de cette manière réductrice et idiote de considérer l'amour. Soit disant la baise, le cul serait la base, le ciment, la confirmation, la garantie de l'amour.

Comment faire alors pour s'extraire de ce discours imbécile et hyper-sexualisé ? Je veux être en droit d'aimer d'amour quelqu'un sans chercher à baiser avec. Coucher avec une fille pour mettre nos sommeils en commun et non pour saillir. Déclarer mon amour sans pour autant chercher à mettre ma main dans le slip de l'autre. Nous disposons aujourd'hui d'une langue de barbare et d'obsédé, de drogués du sexe et contempteurs de la pornographie. Comment réussir alors à communiquer ?

D'abord en rejetant et remettant en question la langue actuelle, par la poésie, la critique et l'échange. Hier, j'offrais un poème à une jolie fille. Elle m'a demandé, inquiète : « est-ce que c'est une déclaration d'amour ? » Je l'ai rassuré. « Parce que ça aurait pu l'être » m'a-t-elle fait remarquer.

J'avais exalté son sourire en une page d'écriture. Quel monde où nous ne pouvons pas dire du bien du sourire d'une jolie fille sans qu'elle s'inquiète si c'est l'expression de la volonté de lui arracher son slip ! Notre société nage ici dans le grossier et le ridicule.

Il faut parvenir à se réapproprier le langage. Le débarrasser de cette masse d'ultimatismes sémantiques imbéciles, qui tendent à résumer la relation homme femme au coït. Je sais, c'est ainsi que de très nombreux crétins se la représentent, moi pas. L'amour n'exclue pas le coït s'il est sincère et authentique, mais ne l'impose pas non plus. J'ai envie d'aimer d'un amour libéré de toutes ces contingences ânesques et ridicules, qui le réduisent à un sport en chambre. Il faut que la poésie triomphe de la barbarie.

Basile, philosophe naïf, Paris le 31 août 2016

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