Un ami m'écrivait aujourd'hui qu'à son avis les journalistes, chercheurs et historiens ne sont pas contre la fête populaire, mais n'éprouvent pas d'intérêt pour elle. Je pense de mon côté que la plupart des officiels, historiens officiels et journalistes s'agissant de la fête populaire ne rêvent que d'une chose : qu'elle n'ait pas lieu, à moins d'être un important enjeu économique. Les rares fois où des officiels soutiennent sincèrement la fête, c'est quand leur profil personnel inhabituel fait qu'ils aiment celle-ci. Dès qu'ils sont éliminés par les élections ou partent en retraite, la fête perd son soutien. Et quand « l'austérité » est là, la distraction s'en va, quand elle dépend de la subvention.
S'agissant des historiens
officiels et journalistes et leur mentalité, il me revient à
l'esprit une réflexion que j'ai lu à propos du carnaval en
Allemagne. Cette réflexion était que dans les villes où il est
très vivant « les intellectuels n'aiment pas le carnaval ».
Je crois qu'il faut préciser : la plupart des intellectuels ou se
prétendant tels quand ils sont élitistes n'aiment pas le carnaval.
Quantité de textes que je n'ai pas collationné témoignent de leur
mépris de la joie populaire, du peuple qui s'amuse. Selon eux, quand
le carnaval « perd sa signification symbolique » il ne
présenterait plus d'intérêt. On rejoint là aussi le puritanisme
habituel qui veut voir dans la distraction populaire une perte de
temps et d'argent des classes pauvres qui devraient plutôt « songer
à travailler et épargner ». En résumé : seuls les riches
auraient le droit de s'amuser et leur amusement serait digne
d'exister. Voir aussi l'article « Fêtes des chrétiens »
dans la Grande encyclopédie de Diderot et d'Alembert qui
condamne la fête populaire et vante le travail qui lui est opposé.
Ce texte préfigure l'interdiction de toutes les fêtes populaires
traditionnelles françaises initiée en 1790.
On assiste aussi au
XIXème siècle à la condamnation hypocrite du carnaval car « le
peuple » à cette occasion se saoule... pas les riches. En
fait, les uns et les autres picolent, mais les publicistes ne parlent
que des premiers et oublient l'éthylisme des seconds. On lit
également entre les lignes et pas seulement l'horreur des machos du
XIXème siècle devant la liberté des femmes s'affirmant dans le
Carnaval de Paris. Elles sont très déshabillées et parlent même à
des hommes auxquels elles n'ont pas été présentées ! Les tenues
féminines pour le Carnaval de Paris pouvaient être très dénudées.
En témoigne le dessin ci-dessus montrant une table au célèbre bal
masqué de l'Opéra. Ce document est extrait de L'Univers illustré
du 20 mars 1879. Si on veut avoir une idée de la mentalité
anti-festive des élitistes intellectuels ou prétendus tels, il
suffit de voir le mépris affichés par certaines critiques de films
drôles tels que « Ma femme s'appelle Maurice » ou
« Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ». A les lire,
rire est un acte abominable. Alors, jeter des confettis !!!
Justement les confettis
et serpentins furent pourchassés et interdits à Paris, et pas pour
des raisons économiques. Pour empêcher les Parisiens de s'amuser.
Mais il est rare que la haine de la fête populaire s'exprime
sincèrement. Elle cherche toujours des prétextes. Ici ce fut
l'hygiène, l'économie, la sauvegarde des arbres. A Munich, le
cortège du Carnaval a été de facto interdit en arguant que le
remplacement de certains tramways durant le Carnaval par des autobus
devait être à la charge financière des organisateurs du Carnaval ! Il faut se rendre à l'évidence : nos « élites »
auto-proclamées n'aiment pas la fête et le carnaval. En mars 1946,
l'absence de soutien matériel au grand défilé de la Mi-Carême à Paris
donnait l'occasion à un commentateur critique d'écrire que les
officiels préfèrent les cérémonies funèbres et patriotiques.
Je me souviens ce que me
disait en 1996 une responsable de la Fédération des porteurs de
géants de Catalogne. Elle était venue avec une délégation au
très beau colloque « Géants contre dragons en Wallonie et
à Bruxelles » tenu au Musée de l'Homme à Paris.
Entendant répéter à l'occasion de ce rassemblement qu'elle devait
voir son travail scientifique « reconnu », elle
réagissait ainsi : « mais notre but n'est pas d'être reconnu
scientifiquement, mais de nous amuser ! »
Basile, philosophe
naïf, Paris le 22 août 2016
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