Il y a quelques
décennies, vers le début des années 1980, un étudiant japonais de
l'École des Beaux-Arts de Paris, âgé d'une trentaine d'années me
disait : « je ne veux pas rentrer au Japon, car on va m'obliger
à me marier ». Une gracieuse étudiante camerounaise
rencontrée en 1982 au parc Montsouris me disait de son côté : « je
préfère éviter de retourner au Cameroun. Car si j'y retourne, ma
mère va me marier. » Aucun de ces deux étudiants ne se
révoltaient contre l'existence d'une telle situation. Simplement ils
s'arrangeaient pour échapper au mariage forcé en restant en France.
Mais il n'y a pas qu'au
Japon et au Cameroun que règne la pression sexuelle normative. Ici
aussi, en France et à Paris, des tiers prétendent se mêler du
contenu de nos slips. Comme cette pression est générale, on réalise
moins son existence car elle est omniprésente. Et s'infiltre
partout.
J'en ai éprouvé la
réalité encore tout dernièrement. Parmi mes amies il m'arrive de
trouver à l'occasion qu'une d'entre elles, ma foi, j'aurais plaisir
à échanger des caresses et des bisous avec. Rien de bien méchant
et audacieux comme pensées, et ça reste au niveau du rêve. Mais la
police des rêves existe également bel et bien.
Je revois récemment une
autre jeune femme que je trouve fort belle et agréable. La pensée
me vient alors qu'échanger bisous et caresses avec elle serait aussi
fort plaisant. Et, aussitôt, dans ma tête la censure se met en
marche. « Oui, mais dans ce cas, l'autre avec laquelle il
t'arrive de rêver d'arriver à la même chose, il faudra que tu y
renonce. Sinon, ça risque de devenir compliqué. »
L'absurdité de cette
pensée est flagrante. Tout d'abord il n'y a rien. Alors, renoncer à
rien pour un autre rien apparaît des plus bizarres. Surtout que je
ne connais pratiquement pas la deuxième jeune femme, ni sa
conception de la vie amoureuse.
Quelques heures plus
tard, je la retrouve. Et là un de ses collègues de travail parle
devant moi d'elle, mentionnant « son copain ». Encore un
bel exemple de pression sexuelle normative. Que signifie ce concept ?
Quand on voit une fille avec un gars, on décrète que c'est « son
copain », sans plus de précisions. Ça peut être une relation
très proche qui dure depuis des années comme aussi bien un amour de
plage qui va s'évaporer avant la fin de l'été. Mais, peu importe :
« c'est son copain ». Sous-entendu rassurant : cette
femme est hétérosexuelle. Elle baise régulièrement avec son
baisouilleur attitré de sexe mâle. Elle est comme tout le monde.
Elle peut aussi bien être
en couple et fidèle, ou tromper son compagnon, ou être libertine,
ou avoir une petite amie, peu importe. Ces précisions n'existent
pas. Elle a un copain, point, l'ordre règne.
C'est comme un théâtre
où les rôles sont distribués d'avance. Si une femme est adulte,
elle a nécessairement « un copain ». Si un homme est
adulte, il a nécessairement « une copine ». Mais quand
les rôles ne sont pas distribués, ça se complique. La femme
divorcée, par exemple, se retrouve souvent marginalisée, surtout si
elle est belle, et traitée comme une « briseuse de couples ».
Un jour, en vacances, il
y a dix-sept ans environ, deux amis me firent part de leur inquiétude
à mon sujet. Il voyait bien que j'étais seul. Or, je ne me
lamentais pas sur l'absence d'amour dans ma vie ! Ce comportement de
ma part leur paraissait incompréhensible. J'aurais passé le temps à
me plaindre, ils auraient été rassurés !
Suivre sa route sans
tenir compte des pressions normatives, notamment sexuelles, est la
meilleure des solutions. Cette solution n'est pas toujours facile à
adopter. Et elle peut déranger l'entourage.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 25 août 2016
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