« Je suis une
mauvaise mère » me disait il y a quelques années une amie qui
pourtant faisait tout ce qu'elle pouvait pour le mieux pour sa
fille... Sauf qu'elle s'énervait de temps en temps après sa fille,
ce qui n'est pas bien grave. Quelle bizarre auto-critique excessive !
Combien de personnes pourtant ont une idée injustement dévalorisée
d'elles-mêmes ? Et aussi, combien de gens passent leur temps à se
poser des questions et se demander si elles sont en train de « mal
faire » ? Quelle est l'origine de ces comportements extrêmement
répandus ? Je crois avoir trouvé l'explication.
Elle se trouve dans notre
enfance prolongée. Alors que le petit humain vers l'âge de
quatre ans est autonome, car il est capable de se nourrir seul, il va
être maintenu dans une enfance artificielle encore durant de longues
années. Et sera habitué à chercher à plaire à ses parents et
aura peur de leur déplaire. Ce conditionnement perdurera et nous
fera pour des raisons qui ne nous seront pas claires chercher la
perfection et avoir peur de nous tromper, bien au delà du
raisonnable.
Ainsi, par exemple,
habitué à chercher à vouloir « bien faire », j'en
étais arrivé à me poser des questions dépourvues de sens. Quand
attendant une rame de métro celle-ci arrivait, j'en étais au point
de me demander si c'était mieux d'emprunter la porte se trouvant à
ma gauche ou à ma droite.
Je connais le cas de
quelqu'un qui a été élevé par une mère exigeante qui n'arrêtait
pas de l'empêcher littéralement de respirer à force d'exiger
toujours de lui qu'il fasse « au mieux ». Ce qui l'a
rendu littéralement malade nerveux. Il est angoissé en permanence
et envisage systématiquement le pire. Si quelqu'un est en retard
c'est forcément qu'il a eu un très grave accident, par exemple.
Se sentir à vie
dépendant de ses parents conduit à toutes sortes de troubles
comportementaux. La jalousie de bien des adultes se décline comme
une jalousie enfantine... la peur panique de perdre, se faire
« voler » son parent-parapluie qui vous protège des
intempéries.
N'arrivant pas à
surmonter les séquelles de leur enfance prolongée, une très large
partie de l'Humanité connaît un manque d'assurance permanente. Ce
qui explique le succès de tant de « gourous »,
« chefs », « guides spirituels », « leaders
charismatiques », etc, etc.
Cette enfance prolongée
qui n'en fini pas se traduit par l'incapacité d'être autonome. Un
ami avait l'habitude de consulter systématiquement sa femme quand il
devait prendre une décision. Un jour, excédée, devant moi elle a
refusé de répondre. Cet ami m'a aussitôt posé à moi la question
du choix qu'il devait faire.
Cette enfance prolongée
peut contrarier le fait d'aller vers les autres, car elle fait penser
qu'on trahit ainsi ses parents protecteurs.
Quand on veut rester
l'enfant prolongé, on s'efforce de ne pas vivre, de rester peu
audacieux, limiter ses désirs, réduire ses projets, renoncer à ses
rêves. L'enfant prolongé est un enfant handicapé.
Le phénomène d'enfance
prolongée se répète de générations en générations sans que le
plus souvent il soit remis en question. Se dégager de son enfance
prolongée, c'est apprendre à vivre enfin et s'éloigner des
fantômes terrifiants et imaginaires de l'enfance.
Tous ceux qui nous
entourent ne sont que des hommes et des femmes, pas plus terrifiants
que ça, pas moins fragiles et doutant d'eux que nous. La société
humaine ressemble à un théâtre d'ombres où les ombres
impressionnent plus que les acteurs vivants.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 8 juillet 2016
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