La relation spécifique,
souvent dite « amoureuse » ou « sexuelle »,
est dans notre société régie par une quantité d'idées,
traditions et dogmes. Ainsi, quand deux êtres humains se rapprochent
de la sorte, on s'attend à ce que cette relation soit proclamée. Ce
qui signifie une annonce publique à l'entourage. « Je sors
avec untel ou une-telle », « je suis avec untel ou
une-telle », « untel c'est mon copain » ou
« une-telle c'est ma copine ».
La relation étant sensée
être optimum et donc par définition unique, autorise et même
justifie et encourage la jalousie.
À
la relation proprement
dite s'ajoute un lien matériel. On est « ensemble », on
partage le même logement et les mêmes factures d'électricité. Ce
qui peut entrainer des étincelles. Celui ou celle qui a l'impression
de descendre toujours la poubelle et pas l'autre. Le tube de
dentifrice laissé ouvert dans la salle de bain, etc. sont cause
d'éventuels incidents. Une amie avec laquelle j'ai partagé ma vie
durant quelques années me disait un jour : « tu te rends
compte, on ne s'est pas disputé une seule fois à propos de savoir
qui descendait la poubelle ! »
Enfin, pièce essentielle
de la relation dite « amoureuse » ou « sexuelle » :
le « sexe » ritualisé qui va régler un certain nombre
de choses dites « physiques », depuis le bisou sur la
bouche, auquel vont s'ajouter des gestes divers au premier chef le
coït. Une amie me disait un jour, pour justifier sa séparation de
son petit copain : « tu te rends compte, on ne faisait même
plus l'amour ! »
Les magazines sont
remplies de nos jours d'articles racoleurs et hautement fantaisistes
expliquant quel nombre de fois les « amoureux » se
doivent de se limer l'un l'autre pour être en accord sentimental.
Ces boursouflantes âneries sont autant en vogue aujourd'hui que
l'étaient hier les discours inverses. On y vantait la justesse de ne
pas faire l'amour trop souvent.
Tous ces discours,
conventions et dogmes relationnels confortent deux concepts très en
vogue et indéfinissables : la « jeunesse » et la
« vieillesse ». Quand est-on jeune ? Quand devient-on
vieux ? Mystère et boule de gomme. En fait, on est jeune quand on
est baisable. Et vieux quand on ne l'est plus. Tel est le fond
hypocritement inavouable de ces définitions.
Je suis moi-même classé parmi les vieux. Pourquoi ? Parce que je suis vieux, moche et pauvre
en regard des définitions dominantes de la jeunesse, la richesse et
la beauté.
Vieux, car j'ai passé
l'âge où « on fonde une famille », donc : vieux.
Moche, parce que je ne
suis pas beau en regard des critères esthétiques à la mode.
Pauvre, parce que je ne
dispose pas d'argent libre pour faire des dépenses dispendieuses.
Personnellement je me
trouve jeune, beau et riche, mais pas dans le sens officiel reconnu
de ces mots. Jeune, parce que je suis ouvert d'esprit, curieux,
capable de modifier mon point de vue et que j'aime les gens. Beau,
parce que je fais de belles choses et pas parce que j'ai de très
belles dents artificielles comme beaucoup de célébrités. Et riche,
car je pense être riche de cœur. Pour ce qui est du matériel je ne
vais pas me plaindre parce que je ne suis pas riche de ce point de
vue. Il y a une très grande quantité de gens riches ou très riches
qui me semblent moins heureux et serein que moi.
Mais je sais que pour
quantité de gens, rien qu'à me voir ou savoir mon âge, ils me
classeront automatiquement dans les « vieux ». Et, si je
m'adresse à une jeune femme ou jeune fille, ils seront incapable de
s'imaginer que je ne cherche pas à la draguer, à vivre « une
aventure ». Ils sont tellement stupides qu'ils vont tout de
suite penser : « mais, il pourrait être son père ou son
grand-père !! » Alors que cette phrase ne veut rien dire, sauf
qu'on se situe sur le terrain des définitions classiques en vogue de
la « vieillesse » : pas baiseur, pas baisable, et de la
jeunesse : baiseur, baisable. Ceux qui raisonne ainsi sont des ânes.
Ils sont très nombreux. Le malheur est que ce genre de
déraisonnements est aussi l'apanage de gens paraissant de prime
abord raisonnables et sensés.
Les règles et dogmes
régnants sont inadaptés à la vie. Il faut tout changer.
Et pour cela trouver,
définir un autre paradigme de la relation amoureuse.
Tout d'abord il n'y a pas
lieu qu'une relation dite « amoureuse » soit proclamée
ou niée. Elle existe et concerne les personnes impliquées. Il n'y a
pas lieu de prétendre « l'officialiser » avec des mots.
Chaque relation étant différente des autres il est de plus stupide
de vouloir lui fixer un cadre identique aux autres.
La jalousie est à
rejeter, de même que le refus de la jalousie. Il faut
expliquer ici le sens de ces mots. Jaloux, tout le monde sait ce que
ça signifie. En revanche, il arrive que des personnes très malignes
déclarent « refuser la jalousie ». En réalité, très
souvent, elles ne quittent pas le terrain de la jalousie et la
jalousie même. J'ai connu une telle situation. L'amie que j'avais
m'avait déclaré rejeter la jalousie. En fait ça l'assurait ainsi
de sa pleine liberté de faire ce qu'elle voulait. En revanche, alors
que je n'avais aucune intention spéciale, comme je lui parlais de
mes connaissances féminines, elle s'arrangeait pour m'en isoler.
Tout le profit était pour elle. En fait, il faut simplement
respecter soi et l'autre. Ces discours sur l'absence de jalousie
dissimulent souvent bien autre chose. Je préfère quelqu'un qui me
dira simplement et sincèrement : « je suis jalouse », à
quelqu'un qui me dira hypocritement : « je rejette la
jalousie ».
S'agissant du lien
matériel entre amoureux, il n'a ni à être accepté, ni à être
refusé. Il doit cesser d'être lié à « l'amour ». S'il
existe des liens matériels, ils existent comme ils pourraient
exister en général entre deux individus qui ne sont pas
« amoureux ». De tels liens doivent être banalisés.
Le « sexe »
ou le refus du « sexe » doivent être également rejetés.
Ce qui est à rechercher, c'est l'authenticité. La question
« doit-on ou ne doit-on pas faire l'amour ? » est
ridicule et stupide. Elle est égale à la question : « doit-on
ou ne doit-on pas manger ? » La réponse est : ça dépend.
Le désir authentique est
plutôt rare. Quant à l'acte sexuel, il n'est ni le but de la vie,
ni la base de la relation.
Combien de gens sont
prêts à remettre en question les règles existantes, plutôt qu'à
persister à bricoler celles-ci, tricher et mentir ? Peu, sans doute,
mais quand on en fait partie, c'est pour la vie.
La recherche est
inhérente à l'homme. D'autres, tout comme moi, cherchent également.
J'espère bien en rencontrer.
Mais je me sens un peu
comme un mutant. Vous me voyez abordant une jolie fille et lui
expliquant : « changeons de paradigme » ? Elle se dira
très certainement : « il est bizarre, celui-là ». Ou
bien encore : « il utilise une méthode de drague très
originale, totalement stupide et ridicule ». Avec ça, il est
facile de se sentir isolé et coupé des autres, mais lucide. Ce que
je préfère, plutôt qu'être, comme d'autres, dans l'obscurité et
la brume, avec l'illusion rassurante de voir clair.
La lucidité n'apporte
pas forcément le bonheur, mais donne la sérénité.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 20 novembre 2015
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