Le concept de « pouvoir
du peuple » est beau, rassurant et absurde. Le pouvoir est
toujours détenu par définition par une minorité qui l'exerce sur
la majorité. Il s'agit ici d'un oxymore. Ou bien on est le peuple,
ou bien on est le pouvoir. On ne peut pas être les deux à la fois.
De même qu'on ne peut être tout à la fois blanc et noir. Ce
concept de « pouvoir du peuple » ou « pouvoir
populaire » a été inventé pour rassurer le peuple et
conforter, justifier le pouvoir de ceux qui l'exercent en son nom, à
sa place, et souvent contre lui.
Un des visages donnés à
ce « pouvoir populaire » c'est « la démocratie ».
La démocratie athénienne antique c'était le pouvoir du « dème ».
C'est-à-dire la dictature de 20 000 hommes libres sur 200 000 autres
êtres humains : les femmes, les métèques, c'est-à-dire les
étrangers résidents ou de passage à Athènes, et les esclaves.
Dans l'imaginaire
collectif la « démocratie » c'est le pouvoir du peuple
où celui-ci élit des « délégués » pour le
« représenter ». En fait, ces délégués sensés le
représenter représentent toujours les intérêts d'eux-mêmes et
d'une minorité. Les élections passés, les élus oublient toujours
les promesses qu'ils ont faites à la masse de leurs électeurs. Le
seul « changement » qu'ils assument consiste à oublier
leurs promesses et se mettre au service de ceux qui détiennent le
pouvoir économique et financier. Cela se fait d'autant plus
facilement qu'aujourd'hui, pour être à même d'être élus, de
parvenir à gouverner un pays suite à des élections, il faut beaucoup
d'argent. Une campagne électorale coute très cher. Le système
politique en France vient d'ailleurs de nous annoncer la fin de la
démocratie dans notre pays. Ça s'est fait par la bouche du leader
du NPA Olivier Besancenot. Les élections régionales arrivent en
décembre prochain. Et qu'a annoncé Olivier ? « Mon parti
politique, le NPA, ne présentera pas de candidats. Car il n'a pas
assez d'argent pour assumer les frais tels que l'envoi de professions
de foi aux électeurs. Le papier coute trop cher. » Je cite de mémoire, ce
ne sont pas les mots exacts, mais le sens y est.
On peut adorer ou
détester le NPA. En tous les cas, une chose est certaine : il
représente une tendance politique parmi les autres. Elle ne sera
pas représentée auprès des électeurs lors des prochaines
élections régionales en France. Pourquoi ? Parce que le NPA n'a pas
assez de sous pour se présenter. La démocratie n'existe plus en
France. Il y avait jadis le vote censitaire. Il fallait être riche
pour avoir le droit de voter. À présent, nous avons la candidature
censitaire : il faut être riche pour pouvoir se présenter aux
élections importantes pour l’avenir du pays.
Comme est loin le temps
où Marcel Barbu, simple particulier, se présentait aux élections
présidentielles pour défendre ses idées ! C'était un inconnu qui
fut candidat aux présidentielles françaises de 1965. Aujourd'hui
une telle candidature ne serait plus possible. Il faut beaucoup
d'argent et le parrainage de 500 élus de 50 départements. Ce qui
signifie qu'avant-même de se présenter devant les électeurs, il
faut avoir été reconnu, coopté par des politiciens. Où est la
démocratie ?
Pour trouver l'argent, il
faut se débrouiller. Ce qui a des implications y compris politiques.
Le plus simple est d'être riche personnellement ou d'avoir une
épouse ou un mari riche. Quand DSK eu ses ennuis à New York en
2011, il lui fallut trouver en urgence de quoi payer une caution de 5
millions de dollars pour satisfaire la justice new-yorkaise. Il les
trouva. Et ce sans faire une campagne de souscription. Par la suite,
on raconte que pour faire abandonner les poursuites en procédure civile que lui
faisait son accusatrice, DSK sortit encore quelques millions de
dollars.
Si on n'est pas riche
soi-même, ou si on n'a pas une épouse ou un mari riche, il faut
chercher l'argent. Plusieurs possibilités s'offrent alors. Solliciter un
organisme riche, par exemple une secte. Solliciter une grande société privée ou
une banque. Ou, enfin, accepter l'aide, bien évidemment intéressée,
d'un gouvernement étranger riche qui a besoin de soutiens. Il s'agit
généralement de dictatures. Tout ceci comporte bien sûr des gages
de reconnaissance en retour.
Si on ne veut pas se
compromettre, on reste droit, propre. Et on n'arrive jamais au
pouvoir. On peut faire ce choix. Il existe des organisations
politiques qui ont renoncé de facto à la perspective d'accéder un
jour au pouvoir.
Mais si seuls les riches
ou amis des riches vont gouverner et qu'on n'est pas d'accord avec
leur orientation, que peut-on faire ?
Revenir aux fondamentaux
d'origine. Avant l'invention du suffrage universel, la politique se
réglait par l'affrontement direct, plus ou moins violent ou pas
violent. La perte de confiance dans un système politique qui ignore
les petits et les pauvres amène progressivement des pans entiers de
la société à revenir aux fondamentaux anciens de la politique. En
commençant pas les couches les plus mouvantes.
Les artisans en ont fait la démonstration avec l'écotaxe et ses portiques de contrôles. Les bonnets rouges se sont fait vilipender par certains représentants de la gauche officielle : il y avait parmi les manifestants des patrons et des employés... il n'empêche qu'ils ont gagné. Les portiques ont été abandonné.
Les artisans en ont fait la démonstration avec l'écotaxe et ses portiques de contrôles. Les bonnets rouges se sont fait vilipender par certains représentants de la gauche officielle : il y avait parmi les manifestants des patrons et des employés... il n'empêche qu'ils ont gagné. Les portiques ont été abandonné.
La politique
ultra-libérale devait faire disparaître la profession d'artisans
taxis. Après avoir acheté très cher leur licence, « la
plaque », c'est-à-dire le droit de travailler onze heures par
jour en gagnant des clopinettes, les chauffeurs de taxis allaient se
retrouver au chômage.
Alors, ils sont descendus
dans la rue, faire y compris un très mauvais sort à leurs
concurrents. Les taxis ont gagné eux aussi.
Autre couche de la
population réputée incontrôlable : les écologistes, non pas avec
attachés-caisses et cravates arpentant les ministères. Les
écologistes barbus style Larzac années 1970. Ils se sont mobilisés
ces temps derniers contre divers projets officiels. A
Notre-Dame-des-Landes ils s'opposent à la création d'un aéroport
voulu par la firme Vinci avec l'appui de certains politiques locaux
ou parisiens. Depuis de longs mois, les « Camilles »
comme ils s'appellent, tiennent les zones humides et les bois face
aux CRS et gendarmes mobiles. Ces derniers sont formés et entrainés
pour l'affrontement urbain, pas pour déloger des originaux installés
dans des arbres !
À
Sivens, le gouvernement
a voulu « mettre le paquet » pour éviter la réédition
de sa présente déconfiture à Notre-Dame-des-Landes. Il a donné
des instructions à ses troupes en ce sens. Et le malheur a voulu
qu'une des grenades offensives lancées a tué un jeune manifestant écologiste.
Le gouvernement a annoncé
dernièrement qu'il va reprendre les zones humides et les bois où
doit s'élever le futur aéroport projeté à Notre-Dame-des-Landes.
Il a donc en vue – selon la terminologie en usage pour ces situations, – une « opération de maintien de l'ordre ».
Le problème est que si
le gouvernement remporte une victoire sur le terrain, celle-ci se
doublera d'une défaite politique. Mais nos gouvernants ne sont sans
doute pas à une bourde près.
Ce qui est dommage, c'est
que demain sur le terrain il y aura probablement des risques d'énervements. Avec
des dégâts possibles, même très légers, qu'il serait préférable
d'arriver à éviter.
Tout ceci amène à
constater des phénomènes de réorganisation politique étranges et
nouveaux. Ainsi, « la gauche » devient « de
droite ». La politique ultra libérale de l'Union européenne,
du Fond monétaire international et de la Banque centrale européenne
est appliquée avec enthousiasme par des ministres et députés
étiquetés « de gauche ».
Les exemples ne manquent
pas. Les plus éclatants sont la France et la Grèce. En France, ça
fait à présent trois ans que le pouvoir officiellement de gauche
mène une politique plus à droite que la droite. Dernier fleuron de
celle-ci : la promesse de liquider le code du travail. Pour « le
simplifier » on va en ôter tout ce qui dérange les patrons
quand ils sont en bisbilles avec leurs employés.
En Grèce, après avoir
vilipendé l'austérité, le parti baptisé « radical de
gauche » par la presse de droite en France est devenu
l'applicateur zélé de toutes les recettes de la troïka. Sont venus
à Athènes soutenir ce parti lors des dernières élections, les
représentants de Die Linke, parti allemand classé à gauche, très
à gauche, et le dirigeant national du PCF.
Pendant que « la
gauche » suit ce chemin, il me semble que la place devenant
vide, un phénomène étrange arrive dont peu de gens parlent. Une
partie de « la droite »... devient de gauche.
L'exemple le plus frappant est celui du pape François. Il a multiplié des déclarations hostiles à l'argent-roi. Certes, il reste le pape et conserve des positions conservatrices traditionnelles dans le domaine des mœurs et sur le mariage. Mais, dans le domaine social, il est nettement plus « à gauche » que les ministres socialistes français mettant en application législative les consignes données par le MEDEF !
L'exemple le plus frappant est celui du pape François. Il a multiplié des déclarations hostiles à l'argent-roi. Certes, il reste le pape et conserve des positions conservatrices traditionnelles dans le domaine des mœurs et sur le mariage. Mais, dans le domaine social, il est nettement plus « à gauche » que les ministres socialistes français mettant en application législative les consignes données par le MEDEF !
Et, derrière ce pape,
certains jeunes catholiques commencent à se poser le problème de
l'écologie et de la misère... contre le capitalisme !
Ainsi, certains éléments
de « la droite » deviennent « de gauche ».
Cependant que de très larges parties de « la gauche »
deviennent « de droite ». Affaire à suivre. Cette
évolution est en marche.
Certains commentateurs
présentent différemment les choses : ils disent que la
différenciation droite-gauche ne veut plus rien dire.
Derrière le théâtre
bruyant qui voudrait nous faire croire que seuls existent « la
gauche », « la droite », « l'extrême
gauche » et « l'extrême droite », croissent des
forces qui vont venir déranger les scénarios pré-écrits.
Ceux qui sincèrement
veulent le bien des autres et suivent des chemins politiques
classiques devront accepter de douloureuses remises en question. Et
abandonner des certitudes périmées.
Il faudra bien un jour
que le pouvoir de l'argent fou laisse la place à celui des humains
raisonnables et aimants.
L'amour : un mot que,
remarquons-le, on entend bien plus souvent prononcer dans des sermons
sous la voûte des églises, des temples, des mosquées, des synagogues ou des pagodes, que dans des assemblées politiques et des
discours officiels.
L'amour qui est tout. Et sans lequel l'homme n'est rien. L'amour, qui est plus fort que l'argent. Que l'argent ne saurait acheter.
L'amour, qui est la
vie-même. Et sans lequel rien n'existe. Qui sauvera le monde plus
efficacement que tous les bavardages solennels des politiciens
professionnels à la COP 21 en décembre prochain.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 11 novembre 2015
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