« Au début, c'est
toujours bien ». Et puis ensuite, on ne sait pas pourquoi, ça
se casse la figure. C'est ainsi que souvent se résument nos amours.
Pourquoi parvenons-nous à réussir un plan de carrière
professionnel, l'organisation d'un tour du monde, la formation par
une grande école... et est-il si hasardeux, fragile, hypothétique,
de réussir la chose à priori la plus naturelle qui soit au monde :
l'amour ? Il y a forcément des raisons qui expliquent l'abondance
d'échecs et leur caractère incompréhensible. A moins, bien sûr,
de trouver des explications simplistes qui n'en sont pas, du genre :
« l'amour, ça dure deux ans », « les filles (ou
« les garçons ») ne savent pas ce qu'ils veulent »,
« je n'ai pas de chance », etc.
On a vu dans le texte
précédent de ce blog, l'Anatomie du chagrin d'amour, quel genre de fantasmes nous handicapait
et préparait la catastrophe inévitable. Il nous faut approfondir à
présent. Comme on l'a vu on rêve de vivre avec l'autre un amour
modélisé sur celui de nous enfant pour papa ou maman. Une autre
conséquence dévastatrice de ce fantasme est de vouloir faire
ressembler vraiment notre amour pour un garçon ou une fille avec
celui de l'enfant pour ses parents. Et l'amour de l'enfant pour ses
parents s'exprime dans le cadre familial : celui du foyer. Résultat,
dès qu'un amour paraît pour une fille ou un gars on se précipitera
souvent pour... vivre à deux, partager le même logis. Ce sera une
erreur. Non pas qu'il ne faille pas vivre ensemble. Mais on brulera
les étapes. Alors qu'on n'est absolument pas prêt à partager sa
vie quotidienne avec quelqu'un, on voudra absolument enfermer notre
amour dans une résidence commune. J'ai moi-même commis cette très
lourde erreur. Dès que j'ai trouvé « ma moitié d'orange »,
j'ai annoncé pratiquement la fusion théorique de nos deux logis
respectifs, suivi de mon quasi déménagement chez l'autre. Qui n'a
pas su dire non. En nous enfermant dans le même cadre de vie nous
avons brulé des étapes. Un jour, peut-être, naturellement, nous en
serions venus là. Mais là j'ai cru qu'il le fallait d'urgence. Je
suivais le modèle papa-maman. C'était une erreur qui allait
handicaper à terme notre amour. On ne brule pas les étapes ainsi
sans finir par avoir finalement à payer la note.
La seconde erreur relève
de la prodigieuse ignorance de la sexualité que partagent la plupart
des humains. Qui amène la folie absolue qui consiste à prendre
l'acte sexuel comme un produit de consommation. L'acte sexuel ne doit
se pratiquer qu'à la condition exclusive, mais pas forcément
suffisante, qu'il existe un vrai et authentique désir réciproque. Ce
désir est rare. Pour aller au coït, on se contente le plus souvent
de la possibilité technique de la réalisation de l'acte, jointe à
une relative excitation. Les humains, dans leur ignorance abyssale de
leur sexualité, croient en particulier que l'érection masculine et
les réactions génitales féminines correspondantes expriment le
désir et même l'urgence de l'acte sexuel. Alors que ces réactions
physiologiques interviennent fréquemment en l'absence du désir, qui
est un sentiment très particulier. La colossale et dévastatrice
stupidité humaine conduit au galvaudage de l'acte sexuel. Ce
galvaudage rongera la relation et finira par la rendre insupportable
à l'un des partenaires. Il ne supportera plus l'autre et rompra. Ce
schéma relationnel explique la plupart des ruptures entre des
amoureux qui avaient, semble-t-il, très bien débuté leur idylle. Un
troisième phénomène destructeur de l'amour est l'oubli de la
pratique du toilettage originel. Nous portons en nous des pratiques
instinctives animales où les humains sauvages, comme les autres
grands singes, usaient de la langue pour se nettoyer et nettoyer
l'autre. Aujourd'hui, l'oubli de notre comportement instinctif singe
fait que nous croyons voir dans ces gestes spontanés des
« préludes » à l'acte sexuel. Allez expliquer à un
homme ou une femme adulte que lécher le sexe ou l'anus de l'autre,
même si c'est agréable, n'est en fait pas « sexuel » et
relève du toilettage ! Même l'écrire ici paraîtra loufoque à
certains qui me liront. La tendresse en général apparaît souvent
comme un continent inconnu pour les analphabètes tactiles que nous
sommes pour la plupart. Toucher simplement l'autre, il est courant
que nous ne savons même pas le faire. Et il n'est pas rare que nous
savons mieux caresser un chien ou un chat qu'un homme ou une femme.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 9 novembre 2015
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