Tout dernièrement, je
croise un jeune homme qui, quelques bières aidant, me fait part en
détail d'un terrible chagrin d'amour. Situation classique : il avait
durant plusieurs années une copine. Qui est partie finalement avec
son meilleur ami à lui. J'ai déjà entendu il y a plus de vingt ans
une histoire largement similaire. J'ai aussi moi-même connu des
« chagrins d'amour ». Mais, pourquoi faire un tel drame
d'une histoire sommes toute habituelle, classique, déjà vue ? Il
faut trouver une explication.
Quand nous vivons un
moment heureux : une soirée avec des amis, une fête, un séjour à
la campagne, une partie de tennis ou d'échecs, nous savons
pertinemment ce plaisir limité dans l'espace et le temps. Quand il
s'agit d'amour, nous voulons ce bonheur sans limites et sans fin.
Comment et pourquoi cultivons-nous une pareille absurdité ? Toutes
les choses possèdent une durée et une fin. Si, par avance, nous
prétendons à une durée illimitée et une absence de fin pour notre
amour, nous nous préparons à une terrible déception obligatoire.
En quoi est-ce un sacrilège de cesser de prétendre faire
systématiquement rimer « amour » avec « toujours »,
voire « éternité » ?
Je me souviens, c'était
en 1985 à Pléneuf-Val-André dans les Côtes-du-Nord, rebaptisées
depuis « les Côtes-d'Armor ». Une jeune minette de 15
ans s'était amourachée d'un jeune homme de son âge, fréquentant
le même club de plage. Et cette fillette se demandait combien de
temps son « amour » allait durer. Elle était encore
presque au biberon et voulait vivre un amour « éternel ».
C'était tout à fait ridicule. Cette année 2015, en revanche, une
jeune femme m'a surpris. Vivant en couple avec deux enfants et
apparemment en la meilleure harmonie possible, elle m'a confié :
« mon ami et moi on souhaite que ça dure. Mais, nous sommes
parfaitement conscients que ça pourra aussi un jour s'arrêter ».
Si on délire en amour pour le vouloir « illimité » et
« éternel », je crois en savoir la raison. Quand nous
sommes enfant, vers l'âge de 4 ans environ commence notre « enfance
prolongée », qui dure ensuite environ une dizaine d'années au
moins. Durant ce temps, les parents sont des dieux. On les imagine
parfaits. Et on emmagasine ce modèle d'amour. « Maman a pour
moi un amour illimité et elle me protégera toujours », rêve
l'enfant que nous sommes. Nous n'avons pas d'autre modèle d'amour.
Alors ensuite on ne veut pas voir la réalité, mais on veut la faire
coïncider avec notre imagination. Qui se perd dans des fantasmes
totalement infantiles et irréels.
Quand un jour nous cherchons l'amour d'un garçon ou une fille, le seul modèle de référence est notre amour enfantin pour papa ou maman. Et nous nous tirons une balle dans le pied en idéalisant l'autre et souhaitant de sa part un amour illimité et éternel. Exactement comme celui de nos parents nous semblait illimité et éternel vu par nos yeux d'enfants. Il est nécessaire de se dégager de ce modèle fantastique. Cesser d'encenser « l'amour » comme un dieu. C'est juste un aspect des relations humaines parmi d'autres. Qui a toujours un début et une fin, ou tout au moins une évolution.
Quand un jour nous cherchons l'amour d'un garçon ou une fille, le seul modèle de référence est notre amour enfantin pour papa ou maman. Et nous nous tirons une balle dans le pied en idéalisant l'autre et souhaitant de sa part un amour illimité et éternel. Exactement comme celui de nos parents nous semblait illimité et éternel vu par nos yeux d'enfants. Il est nécessaire de se dégager de ce modèle fantastique. Cesser d'encenser « l'amour » comme un dieu. C'est juste un aspect des relations humaines parmi d'autres. Qui a toujours un début et une fin, ou tout au moins une évolution.
Si nous partions en amour
dans l'idée que la durée de l'amour est limitée comme son ampleur,
ce serait déjà le début d'une garantie de ne pas sombrer dans le
« chagrin d'amour »; Qui peut conduire à la dépression,
voire au suicide, à la drogue, l'alcoolisme. L'éducation y
gagnerait si les romans mettaient en scène des amours réussis et à
durée limitée. « On a été heureux ensemble un temps et puis
la vie a changé et on s'est éloigné. » Les institutions
épousent les fantasmes. Il n'y a pas si longtemps le divorce
n'existait pas. Le mariage est un contrat à vie, sauf dénonciation
éventuelle. Mais aussi il faut être conscient qu'il y a peu encore
le mariage et l'amour étaient tout à fait indépendants. On devait
se marier, par nécessité, conventions, intérêts. Qu'on s'aime ou
pas. Un ami à moi qui était né en 1956 me disait qu'il y a
quelques décennies, en Auvergne, si une fille ou un gars était héritier d'une ferme, on ne le laissait danser qu'avec un jeune à l'héritage équivalent.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 8 novembre 2015
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