Quand on est amoureux, on
est con. Je vais vous raconter une histoire qui illustre ce fait.
Elle m'est arrivée il y a longtemps. J'avais vingt-deux ans.
J'étais amoureux et
partais en vacances en Autriche, camper avec ma belle dans le
Salzkammergut. Nous avions pris le train à Paris. Et voilà qu'à
l'issue d'un changement de train, je ne me rappelle plus où,
peut-être à Vienne, une surprise arrive. Nous nous retrouvons dans
une voiture roumaine, partagée en deux moitiés. L'une, où nous
nous trouvons, les deuxièmes classes. L'autre, plus luxueuse et
confortable, les premières. Un luxe tout relatif, celui d'un pays
de l'Est et des années 1970.
Allant flâner par
curiosité du côté des premières, j'avise que les compartiments
vides de celles-ci sont dotés de rideaux. Et quels rideaux ! Ils
sont estampillés d'un motif répétitif qui est le logo des chemins
de fer roumains : CFR. Qui signifie : Căilor
ferate româniei. Une idée alors me traverse l'esprit : « et
si j'en piquais un ? Quel superbe souvenir ! »
Mais, me dis-je :
« pourquoi faire ce rideau ? » Et là, une pensée
totalement imbécile me vient : « je vais l'offrir à ma belle,
elle se taillera une robe dedans. » Pensée parfaitement
stupide, le rideau n'ayant rien de bien décoratif. Comme je l'ai dit
: « quand on est amoureux, on est con. »
Aussitôt dit, aussitôt
fait, ou presque. J'entreprends de décrocher un rideau. Mais c'est
un rideau solidement accroché ! Je tire, tire dessus ! Ça y est !
Quelque chose se déchire ! Il craque ! Je me vois déjà repliant
l'objet de mon larcin sur la banquette et l'emportant en catimini. Oh
zut ! Il est encore accroché quelque part ! Je recommence à tirer
pour finir victorieusement l'opération.
Quand, soudain, leur
bruit de pas étouffé par la moquette au sol, le compartiment est
envahi par une foule de gens. Dû moins, une foule à l'échelle du
lieu : un compartiment de train. Il y a bien peut-être là cinq à
six personnes. C'est des fonctionnaires allemands qui passent en
revue le train. L'un d'eux s'adresse à moi. Il est de taille
moyenne, frisé, de bonne corpulence, âgé d'environ une trentaine
d'années. Je remarque à sa boutonnière un petit insigne rond en
métal émaillé. C'est écrit dessus, en allemand : « commissaire
de police ». Il appartient donc à la police allemande des
chemins de fer. Il me demande si j'ai un billet de première. Et
comme je lui réponds que je voyage en secondes, il me prie poliment
de retourner dans les secondes. Ce que bien sûr je m'empresse de
faire. À quelques minutes
près, j'étais pris en flagrant délit de vol et dégradation dans
une voiture de chemin de fer ! Les visiteurs impromptus m'auraient
trouvé en train de replier tranquillement le rideau volé. Et alors,
adieu les vacances ! Et bonjour les ennuis... Quand on est amoureux,
on est con. Offrir à une jeune fille un rideau assez moche qu'elle
n'a pas demandé, pour s'y tailler une robe, elle qui ne fait jamais
de couture, et en fait plutôt : réaliser un exploit. Emporter un
rideau de train roumain. Donc de train venu de Roumanie, pays que
j'avais à l'époque déjà par deux fois visité.
Un de mes amis m'a
raconté qu'un jour il a été appelé dans un magasin où son fils
de quinze ans à l'époque s'était fait prendre pour vol. Cet ami a
demandé à son fils, d'habitude honnête, pourquoi il avait chapardé. Celui-ci, qui avait
volé un objet dont il n'avait absolument pas spécialement besoin,
lui a répondu : « pour voir ce que ça fait ». C'était
en fait très exactement pour épater les copains.
De même que moi, à
vingt-deux ans, j'ai voulu un jour d'été 1973 épater ma copine en
lui offrant un rideau de train roumain. D'autres, pour épater leur
copine, où s'en trouver et séduire ainsi, vont commettre des
larcins autrement plus importants, avec des conséquences bien plus
redoutables. J'y reviendrais.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 10 novembre 2015
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