mardi 10 novembre 2015

455 Comment je n'ai pas été arrêté pour vol

Quand on est amoureux, on est con. Je vais vous raconter une histoire qui illustre ce fait. Elle m'est arrivée il y a longtemps. J'avais vingt-deux ans.

J'étais amoureux et partais en vacances en Autriche, camper avec ma belle dans le Salzkammergut. Nous avions pris le train à Paris. Et voilà qu'à l'issue d'un changement de train, je ne me rappelle plus où, peut-être à Vienne, une surprise arrive. Nous nous retrouvons dans une voiture roumaine, partagée en deux moitiés. L'une, où nous nous trouvons, les deuxièmes classes. L'autre, plus luxueuse et confortable, les premières. Un luxe tout relatif, celui d'un pays de l'Est et des années 1970.

Allant flâner par curiosité du côté des premières, j'avise que les compartiments vides de celles-ci sont dotés de rideaux. Et quels rideaux ! Ils sont estampillés d'un motif répétitif qui est le logo des chemins de fer roumains : CFR. Qui signifie : Căilor ferate româniei. Une idée alors me traverse l'esprit : « et si j'en piquais un ? Quel superbe souvenir ! »

Mais, me dis-je : « pourquoi faire ce rideau ? » Et là, une pensée totalement imbécile me vient : « je vais l'offrir à ma belle, elle se taillera une robe dedans. » Pensée parfaitement stupide, le rideau n'ayant rien de bien décoratif. Comme je l'ai dit : « quand on est amoureux, on est con. »

Aussitôt dit, aussitôt fait, ou presque. J'entreprends de décrocher un rideau. Mais c'est un rideau solidement accroché ! Je tire, tire dessus ! Ça y est ! Quelque chose se déchire ! Il craque ! Je me vois déjà repliant l'objet de mon larcin sur la banquette et l'emportant en catimini. Oh zut ! Il est encore accroché quelque part ! Je recommence à tirer pour finir victorieusement l'opération.

Quand, soudain, leur bruit de pas étouffé par la moquette au sol, le compartiment est envahi par une foule de gens. Dû moins, une foule à l'échelle du lieu : un compartiment de train. Il y a bien peut-être là cinq à six personnes. C'est des fonctionnaires allemands qui passent en revue le train. L'un d'eux s'adresse à moi. Il est de taille moyenne, frisé, de bonne corpulence, âgé d'environ une trentaine d'années. Je remarque à sa boutonnière un petit insigne rond en métal émaillé. C'est écrit dessus, en allemand : « commissaire de police ». Il appartient donc à la police allemande des chemins de fer. Il me demande si j'ai un billet de première. Et comme je lui réponds que je voyage en secondes, il me prie poliment de retourner dans les secondes. Ce que bien sûr je m'empresse de faire. À quelques minutes près, j'étais pris en flagrant délit de vol et dégradation dans une voiture de chemin de fer ! Les visiteurs impromptus m'auraient trouvé en train de replier tranquillement le rideau volé. Et alors, adieu les vacances ! Et bonjour les ennuis... Quand on est amoureux, on est con. Offrir à une jeune fille un rideau assez moche qu'elle n'a pas demandé, pour s'y tailler une robe, elle qui ne fait jamais de couture, et en fait plutôt : réaliser un exploit. Emporter un rideau de train roumain. Donc de train venu de Roumanie, pays que j'avais à l'époque déjà par deux fois visité.

Un de mes amis m'a raconté qu'un jour il a été appelé dans un magasin où son fils de quinze ans à l'époque s'était fait prendre pour vol. Cet ami a demandé à son fils, d'habitude honnête, pourquoi il avait chapardé. Celui-ci, qui avait volé un objet dont il n'avait absolument pas spécialement besoin, lui a répondu : « pour voir ce que ça fait ». C'était en fait très exactement pour épater les copains.

De même que moi, à vingt-deux ans, j'ai voulu un jour d'été 1973 épater ma copine en lui offrant un rideau de train roumain. D'autres, pour épater leur copine, où s'en trouver et séduire ainsi, vont commettre des larcins autrement plus importants, avec des conséquences bien plus redoutables. J'y reviendrais.

Basile, philosophe naïf, Paris le 10 novembre 2015

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