Imaginez que demain on
annonce officiellement qu'on va raser la cathédrale Notre-Dame, la
tour Eiffel et le château de Versailles. Et on annonce le motif,
catégorique, définitif, incontournable : « ce sont des
bâtiments vétustes. » C'est ainsi qu'en 1945 on traitait
l'ensemble des hôtels du quartier du Marais à Paris. Les aspirants
démolisseurs disaient : « certes, ces hôtels sont beaux, mais
tous les bâtiments qui ont plus de cent ans sont insalubres et
doivent disparaître ». Quand vous feuilletez la presse
parisienne du XIXème siècle, l'annonce de l'anéantissement
d'innombrables merveilles architecturales par la spéculation
immobilière haussmannienne est saluée comme la disparition de
sombres taudis moyenâgeux. La litanie des hôtels particuliers
abattus pour tracer la très quelconque rue de Rennes à Paris est
impressionnante. La rue s'arrête à l'église
Saint-Germain-des-Prés. Elle devait aller jusqu'à la Seine. On a
réussi à stopper le massacre. La vétusté, voilà
l'argument choc pour anéantir ce qu'on veut détruire pour d'autres
raisons, comme la spéculation immobilière.
Ces jours-ci, un superbe
et petit hôpital parisien fini de disparaître sous les outils
sophistiqués des démolisseurs : l'hôpital Léopold Bellan. Fermé
depuis un certain temps, avec ses bâtiments y compris modernes, il
est rasé. Motif : il était... vétuste !
Et à la place va
s'élever, devinez quoi ? Un hôtel de luxe, qui rapportera de
l'argent à des investisseurs qui ont déjà trop d'argent. Mais,
pour eux, l'argent c'est comme une drogue. Ils font penser aux
hamsters qui amassent 40 kilos de graines pour l'hiver dans leur
terrier. Et ensuite dorment tout l'hiver sans y toucher. Ils font ce
qu'Aristote appelait jadis de la chrematistique.
Le coup de l'hôtel de
luxe a déjà été fait à Lyon et Marseille avec les hôpitaux
Hôtel Dieu de ces villes. A Paris, on a entendu la même ritournelle
s'agissant de l'Hôtel Dieu au pied de la cathédrale Notre-Dame :
vétuste, on devait le fermer. Ses urgences venaient d'être refaites
à neuf ! C'était le seul hôpital de 9 arrondissements parisiens,
12 millions de voyageurs passant régulièrement à proximité,
l'infirmerie de la Préfecture de police voisine, destinée à ses
nombreux employés, avait été fermé il y a quelques années, motif
: il suffisait de traverser la rue pour arriver aux urgences de
l'Hôtel Dieu. Ainsi, en catimini, on fermait l'hôpital, qui allait
bien sûr, par étapes devenir un super palace de luxe. Un courageux
et consciencieux médecin urgentiste, le docteur Gérald Kierzek, a protesté. Il était responsable du SMUR, service mobile d'urgence et
de réanimation de l'Hôtel Dieu. Il a été viré de son poste, puni
pour avoir défendu la sécurité et la vie de ses patients. C'est-à-dire potentiellement chacun de nous. Qui pouvons
malheureusement aboutir un jour aux urgences. Cependant, un autre
hôpital a été liquidé plus récemment. Il finira de fermer en
2017 : l'hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce. Motif officiel
: c'est la « vétusté » bien sûr !
Comme les militaires
n'ont officiellement pas le droit de s'exprimer publiquement,
l'opération a pu se faire avec les coudées franches pour ceux qui
étaient et sont encore à la manœuvre. Ainsi, un des meilleurs
hôpitaux de France disparaît sous nos yeux, liquidé par ceux qui
avaient la charge d'assurer sa continuité. Pourquoi fait-on ça ? A
qui cela profite-t-il ? Il se trouve que j'ai pu interroger un ex
médecin et chef de service du Val-de-Grâce. Dégouté, il a quitté
le service de santé des armées. Il m'a dit : « Ceux qui ont
décidé ça n'avaient pas le droit de le faire. C'est comme si la
nouvelle maire de Paris décidait de faire tomber la tour Eiffel. »
Et pourquoi alors liquider le valeureux Val-de-Grâce ? « Le
Val-de-Grâce, hôpital prestigieux accueillant de nombreuses
personnalités, était un hôpital militaire. Il n'avait donc pas de
secteur privé. En faisant supprimer les 350 lits d'hospitalisation du
Val-de-Grâce, l'Assistance publique, tout au moins son directeur
Monsieur Martin Hirsch, compte récupérer les malades prestigieux.
Qui seront hospitalisés dans le secteur privé. » C'est donc
une affaire d'argent. Moi, Basile, n'en dirais pas plus. Au lecteur
de conclure. Quant au bâtiment du Val-de-Grâce... avec son jardin,
deviendra-t-il un jour un palace ?
Basile, philosophe
naïf, Paris le 7 novembre 2015
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