Je me faisais un plaisir
de visiter l'exposition consacrée à cette femme, grand peintre et
portraitiste dont j'avais déjà eu l'occasion d'apprécier le talent
à travers des reproductions.
J'ai été déçu et
m'explique ici. On dit que cette femme a réalisé des dizaines de
portraits de l'aristocratie de son temps. Ce n'est pas vrai. Elle a
réalisé des dizaines de fois le même tableau, en particulier
s'agissant des femmes. Elles sont toutes minces, jeunes, très
jolies, en pleine santé, un teint de lis et de rose, et des dents
blanches impeccables. Elles ont toutes la même attitude, la même
expression, le même sourire et, ce qui est pire, le même regard. Je
dirais que plutôt que leur propre regard, elles ont « le joli
regard Vigée-Lebrun ».
Ma mère, née en 1907 et
dont le père était dentiste, m'a dit un jour : « tu sais,
jusque dans les années 1920 il y avait des gens auxquels manquaient
des dents de devant, y compris chez les riches. »
Et là, chez les modèles
de Vigée-Lebrun, on croirait des publicités modernes pour une
marque de dentifrice ! Les dents qu'on voit sont toutes
impeccablement blanches et bien alignées. On comprend mieux pourquoi
les « portraits » techniquement impeccables réalisés
par Vigée-Lebrun avaient tant de succès ! Aujourd'hui on a les
clichés « photoshopés » où disparaissent rides,
taches, défauts... Et même où les modèles perdent du ventre !
Chez Vigée-Lebrun les rectifications s'opéraient au pinceau. Alors,
on peut admirer la qualité technique d'exécution, mais la vie et
surtout la personnalité des modèles n'est pas là.
Dans cette exposition on
a donné la part belle aux portraits. En lisant les commentaires
affichés, j'ai appris que Vigée-Lebrun aimait réaliser des
paysages. Elle en aurait fait plus de deux cents. On n'en voit
exposés que quelques petits tout à la fin de l'exposition. À
croire qu'on n'a pas su où les ranger.
Ils sont pleins de vie. J'en ai photographié un. J'ajoute la photo en illustration de ce texte.
Ils sont pleins de vie. J'en ai photographié un. J'ajoute la photo en illustration de ce texte.
Quand aurons-nous une
vraie rétrospective de Vigée-Lebrun ?
Avec, en particulier, une quantité de
ses paysages, où elle témoigne infiniment plus de sa sensibilité
et son cœur que dans cette galerie commerciale de jolis portraits
idéalisés ?
En réalisant des portraits,
Vigée-Lebrun gagnait très bien sa vie. Dans ses paysages, elle
était libre et laissait s'exprimer sa sensibilité. La vraie
Vigée-Lebrun est plus dans ses paysages que dans ses « portraits ».
On l'a résumé à ces
derniers, comme on a résumé Daumier à certaines de ses
caricatures, notamment politiques, en oubliant complètement ses
nombreux dessins illustrant le Carnaval de Paris. Comme on a résumé
la poésie de Marceline Desbordes-Valmore aux Roses de Saadi
en oubliant ses poèmes sur l'insurrection des canuts lyonnais. Comme
ses admirateurs ont oublié l'opéra Rienzi de Richard Wagner
pas assez « wagnerien » à leurs yeux. Les admirateurs,
thuriféraires, historiens, font des fois le tri dans une œuvre,
décidant ce qui est « marquant », « caractéristique »
ou pas. Ils peuvent se tromper. Et perpétuer leur erreur en ne
présentant qu'un morceau de l'œuvre de quelqu'un tout en négligeant
l'autre.
.
Ce regard sélectif se
retrouve également chez les historiens en général. Ainsi, quantité
d'ouvrages retraçant l'histoire de Paris ignorent absolument son
Carnaval ou en racontent juste quelques anecdotes. Motif : l'image
historique officielle de Paris ne comprend pas cette fête
Basile, philosophe
naïf, Paris le 14 novembre 2015
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