Je ne suis pas né
imprégné de patriarcat. On me l'a inoculé comme un méchant
poison. Qui ? Ceux qui devaient justement me protéger le plus :
ma mère et le médecin de notre famille. Ces deux apprentis-sorciers
étaient eux-mêmes patriarchisés. Le patriarcat ils en étaient
porteurs comme des centaines de millions d'autres. Quand on est
porteur du patriarcat, on n'a pas conscience de ce que c'est. Il
paraît aller de soi. Être une donnée naturelle, logique,
bienvenue, incontournable, culturelle, identitaire, précieuse...
C'est en fait comme un programme parasite qu'on introduit en catimini
dans un bel ordinateur qui serait vous, moi ou un autre, et qui
ensuite vous pourrit la vie et vos relations.
Le patriarcat se
caractérise par un état de baise permanente chez l'homme. Son
programme parasite lui sérine dans la tête qu'il faut, il doit, il
peut fourrer son pénis dans le vagin d'une femme ou d'une autre,
même pourquoi pas ? de toutes les femmes « séduisantes »
et que c'est très bien. Ce serait la plus agréable, nécessaire,
belle des choses obligatoires. Le faire avec une telle démarche, pas
par désir et amour réciproque, c'est violent, vulgaire, infâme,
ignoble, brutal. Pour justifier cette connerie-saloperie on répétera
inlassablement que c'est soi-disant la « Nature » qui
veut ça.. Elle a bon dos, la « Nature ». Celle que par
exemple invoquent des myriades d'hommes qui se sont levés avant le
soleil grâce à la sonnerie du réveil-matin et boivent en Europe
dans une tasse en terre-cuite émaillée un café chaud et sucré
avec du sucre raffiné. Toutes choses rigoureusement pas naturelles :
les animaux diurnes se lèvent avec le soleil, pas avant, le café
est issu d'une plante qui ne pousse pas en Europe, son grain a été
grillé artificiellement, le liquide où il a été déversé a été
réchauffe artificiellement, le sucre est issu d'un processus
industriel complexe qui, avec d'énormes machines l'a extrait de
betteraves sucrières, ou de canne à sucre, la tasse a été cuite à
plusieurs centaines de degrés dans un four spécial et à deux
reprises : une pour la terre glaise sèche l'autre pour
l'émaillage. J'ajoute que le sucre a été mélangé avec une
cuillère, invention humaine. L'arbre à cuillères n'existe pas.
Cuillère fabriquée avec du métal extrait des profondeurs de la
terre et transformé à très haute température et sous une très
haute pression en feuilles estampées et découpées pour en faire
des cuillères. Et c'est en usant de ce ramassis de choses
parfaitement artificielles : réveil-matin, café importé et
grillé, eau réchauffée, sucre raffiné, tasse en terre-cuite
émaillée, cuillère en métal... que ces naïfs invoquent la
présence ordonnatrice de la « Nature » pour justifier
leur souhait de baiser en masses les nanas ! Et d'ajouter que la
baise tout azimuts c'est aussi la « Nature » de tous les
hommes en général ! Laissez-moi rire si les conséquences de ces
idées n'étaient pas ignobles et tragiques !
Il n'y a pas que des
hommes qui profèrent de pareilles inepties. Un jour, comme je disais
à une amie que je n'éprouvais pas spécialement l'envie de baiser
les dames et demoiselles, elle s'est empressée de me dire très
naïvement : « tu es peut-être homosexuel ? »
Bien sûr ! Si un homme n'obéit pas au schéma du baiseur
obligatoire, il est soit un baiseur qui s'ignore, soit un homosexuel.
Il doit soit se faire soigner, soit assumer son homosexualité !
Ou alors il a « un petit appétit » et d'autres ont « un
grand appétit »... Ce serait une question d'ordre personnel.
Et si la chose se présentait en fait tout autrement ?
Dans notre belle société pas libre du tout on est sommé de baiser, si on est « un homme ». C'est le nec plus ultra du patriarcat. La queue comme organe de domination et de pouvoir. Ne dit-on pas dans notre belle langue française quand un homme introduit son pénis dans le vagin d'une femme qu'il « la prend », « la possède », voire « la baise » ? Et si sa queue n'est pas techniquement au rendez-vous il est « impuissant », la honte ! S'il n'a jamais baisé, c'est un malheureux « puceau » frustré... Et si un homme est courageux « il a des couilles », ou « il en a »... discours inepte qui conduit à dire ensuite quand une femme est courageuse qu'elle a des couilles.
Dans notre belle société pas libre du tout on est sommé de baiser, si on est « un homme ». C'est le nec plus ultra du patriarcat. La queue comme organe de domination et de pouvoir. Ne dit-on pas dans notre belle langue française quand un homme introduit son pénis dans le vagin d'une femme qu'il « la prend », « la possède », voire « la baise » ? Et si sa queue n'est pas techniquement au rendez-vous il est « impuissant », la honte ! S'il n'a jamais baisé, c'est un malheureux « puceau » frustré... Et si un homme est courageux « il a des couilles », ou « il en a »... discours inepte qui conduit à dire ensuite quand une femme est courageuse qu'elle a des couilles.
Bizarrement quand un
homme fait l'acte, il « honore » la femme... Un homme
pourtant intelligent par ailleurs, me disait il y a quelques dizaines
d'années : « si tu rencontre une femme, il faut chercher
à la draguer, même si tu n'en a pas envie, sinon elle sera
vexée... » Demandez aux femmes harcelées sexuellement tous
les jours ce qu'elles pensent de ce très intelligent conseil !
Revenons-en à moi. Je
disais qu'on m'avait inoculé le poison du patriarcat.
Quand et comment ça s'est passé ?
J'avais vingt-deux ans.
Nous étions en 1973, durant ces fameuses années soixante-dix tant
vantées par certains comme celles de « la Révolution
sexuelle ». J'étais étudiant et n'envisageais nullement de
mettre mon pénis dans un orifice naturel d'une demoiselle. Ça
baisait à couilles rabattues autour de moi, je ne m'en rendais pas
compte. La raison de cette myopie était, je ne m'en suis rendu
compte que plus de quarante ans après, que j'ai grandi dans une
famille très fermée où mes parents étaient très amoureux l'un de
l'autre. Résultat : sans l'analyser, je ne voyais pas qu'il
pouvait exister d'autres genres de relations privilégiées entre une
dame et un monsieur. D'autant plus que je vivais dans une famille
très puritaine. On ne parlait pas de ça à table. Le sexe était un
sujet tabou. C'était bien simple : il n'existait pas. Ma
sexualité se résumait à quelques photos dites « de charme »,
la masturbation, et quelques élans sexuels coupables, forts modérés
et interdits en direction de ma sœur. Je ne souffrais pas d'ignorer
l'acte qui passionnait la plupart des mâles autour de moi.
Ma mère et notre médecin
de famille décidèrent d'y mettre bon ordre. Il fallait que ça
change ! Me changer. Pire : que je me change moi-même. Ils
ont très certainement discuté leur plan en mon absence. Il
s'agissait de « me déniaiser ». Ces bons Samaritains
n'allaient pas faire appel au moyen traditionnel : les
prostituées. Quand le papa emmenait son fils au bordel, et hop !
à treize ans, grâce à une déniaiseuse professionnelle il
devenait... un homme (?) On était dans les années 1970... et mon
papa n'allait pas au bordel. Il existait d'autres solutions. Comment
allait procéder nos deux conspirateurs ? D'abord en me
propagandant. En me bourrant la tête à leur façon. Bref, en me
manipulant. J'accompagnais ma mère chez notre médecin de famille
qui habitait et recevait ses clients cité Vaneau, dans le septième
arrondissement de Paris. Je ne me doutais de rien. J'étais très
naïf. On allait consulter le docteur pour je ne sais quelle vague
raison.
Et quand nous nous sommes
retrouvés à trois, soudain on a abordé, comme si de rien n'était,
le fait qu'il me manquait « quelque chose ». En termes
aimables et mesurés, usant de toute son autorité de médecin, le
« bon docteur » a expliqué qu'il fallait que j'en passe
par là. La preuve c'est que nerveusement ça me manquait, m'a-t-il
fait remarquer en indiquant que j'avais, les jambes croisés, la
réaction nerveuse consistant à agiter mon pied de dessus d'un
mouvement rapide et incessant. Voilà pourquoi je devais absolument
et sans tarder mettre ma queue dans le con d'une demoiselle. Bien
sûr, les mots utilisés étaient des mots neutres et pas « con »
ou « queue ». Le programme parasite venait d'être
installé dans ma tête. Le patriarcat allait se développer dans ma
tête, chapitre « cons » et « nanas ».
J'étais convaincu de la
nécessité de baiser comme on l'est de prendre un vaccin ou un
clystère. C'était la baise sur ordonnance. On m'avait convaincu que
j'en avais besoin pour raisons médicales.
Pour la suite, il a fallu
encore me manipuler. J'étais étudiant et avais bien rigolé et un
peu bavardé une ou deux fois avec une jeune fille. J'ignorais son
adresse et ne m’inquiétais pas de la connaître. Quand je l'ai
revu allant à une manifestation ensemble avec ma mère, cette
dernière m'a dit de demander son adresse à cette copine. Sans
comprendre que j'étais manipulé, je me suis exécuté.
Et ainsi, de fil en
aiguille, le plan concocté par les deux apprentis-sorciers s'est mis
en place. J'étais tellement naïf et confiant que je ne voyais pas
le scénario. Qui était, comme je le vois seulement aujourd'hui,
parfaitement fabriqué par ma mère, notre docteur, et avec
l'approbation du petit cercle familial. On me jetait dans les bras
d'une vague copine afin de faire sauter ma virginité.
Pour en finir avec ladite
virginité, on m'a encouragé à partir en vacances en camping avec
ma déniaiseuse désignée. Quand je voyais arriver le moment où la
chose allait m'arriver, je me disais résigné avant mon départ en
vacances : « il faudra bien en passer par là ». Le
plan concocté par ma mère et notre médecin de famille allait se
réaliser. Les mâchoires du piège allaient se refermer.
Ma déniaiseuse désignée
et moi sommes partis en vacances pour camper en Autriche, sur
une prairie inclinée près du village de Zell-am-Moos, pas loin du
lac de Mondsee. On est resté deux mois dont à un moment donné là-bas en pleine période électorale. De
très grandes affiches d'un parti d'extrême-droite apposées sur
certains murs proclamaient à cette occasion que l'avortement devrait
être passible de la peine de mort : todesstrafe,
un mot que j'ai alors retenu. Tod,
c'est la mort.
Nous avions pris une
vieille tente qui se révéla toute pourrie. Une fois arrivée et
celle-ci plantée, ma copine m'a annoncé avoir oublié exprès son
sac de couchage. Ceci afin de partager le mien.
Le premier soir arriva et
je partis faire mon devoir comme un parfait petit automate programmé.
Cette histoire a été si
bien machiné dans le cadre patriarcal de notre société, cadre
toujours dominant et dont je m'échappe à présent, que je suis un
peu gêné au moment de « révéler » cette histoire
vieille de bientôt presque un demi-siècle. C'était au mois d'août
1973.
Le huis-clos sexuel a
aussi pour rôle non de « protéger l’intimité », la
« pudeur » la « vie privée », mais de
protéger la poursuite du triste et puant règne du patriarcat
sanglant, meurtrier et pourri.
Arrive le premier soir.
Campeurs novices, nous n'avons pas prévu d'éclairage. Bon, il va
falloir mettre le truc dans le machin. Dans l'obscurité je
déshabille la copine. Puis m'allonge sur elle, qui est étendue sur
le dos. Et entreprend de me déshabiller. A quoi je pense à cet
instant-là ? Et bien que l'acte que nous allons faire pourra
mettre enceinte la jeune fille. Mais que j'aurais alors neuf mois
pour chercher et trouver un travail pour nourrir ma famille. De
désir ? Point, juste une érection, ce qui ne signifie en fait
rien. On peut bander sans désir de baiser, très simplement parce
qu'on éprouve du plaisir ou un état de proximité avec une
demoiselle. Pour que l'érection ait un rapport avec l'acte sexuel,
il faut qu'elle aille de pair avec un sentiment très particulier de
faim précise de l'acte. Toutes choses que j'ignore alors et ne
comprendrais que des décennies plus tard.
Au moment où ayant fini
d'ôter tous mes vêtements excepté mon slip, j'entreprends de
commencer à l'enlever, ma partenaire m'interromps. Elle m'annonce
qu'avant de faire ça, il serait mieux qu'elle prenne la pilule.
Et voilà qu'elle
m'apprend qu'elle a déjà eu un amant avant moi. Et que le père de
la demoiselle homme intelligent et avisé lui a procuré une
contraception orale.
Mireille, j'arrête ici
d'avoir peur de la nommer, faisait partie des premières a bénéficier
de la contraception orale en France. Celle-ci avait été légalisée
par la loi Neuwirth en 1967. Mais les décrets d'application ne sont
sortis que sept ans plus tard. Entre-temps, pour se procurer la
pilule il fallait connaître un membre du corps médical, une
infirmière, par exemple. Car on ne la trouvait pas en pharmacie.
Mireille m'explique qu'il
faut attendre quelques jours pour qu'elle prenne sa contraception. Et
j'ai alors témoigné de ma bêtise patriarcale en lui faisant une
scène de jalousie rétroactive : je lui ai dit entre autres que
je ne pourrais plus jamais lui faire confiance. À
quoi je réagissais ainsi ? À
ce que ma copine avait déjà eu avant moi un petit ami. J'ai été
très con. J'ai aussi été intelligent, car j'ai arrêté la
réalisation de l'acte projeté, pour attendre le délai demandé par
Mireille.
Quelques jours ont passé.
Et le mardi 21 août 1973 la voie était libre.
On recommence à se
mettre en place. Cette fois-ci j'enlève mon slip. Cherche, dans la
très classique position du missionnaire, à faire ce que je crois
avoir à faire. N'arrive pas à trouver l'entrée. Après quatre ou
cinq tentatives infructueuses, renonce. Puis nous nous endormons.
Le lendemain matin
Mireille prend la situation en main. Et invoquant les indigènes des
îles Trobriand qui font l'acte la femme au dessus, l'homme en
dessous, me chevauche. Met le truc dans le machin, remue
vigoureusement et pas longtemps du tout et me fait éjaculer. Je n'ai
pas ressenti plus que si ça avait été une très petite et
médiocre masturbation. J'ai demandé après à Mireille ce qu'elle
avait ressentie. Elle m'a répondu : « autant faire
l'amour avec un bout de bois. » Abusés par la morale
patriarcale, nous ne réalisions pas que sans désir réel nous
n'avions pas fait l'amour. Nous avons juste réalisé une double
masturbation intravaginale. Il n'y a eu aucune tendresse particulière
dans notre séance de gymnastique matinale. On a été aussi nul
hélas que bien des gens dans leur vie. Je n'ai appris l'existence du
clitoris que cinq ans plus tard. Mireille ne m'en a pas parlé.
L'aventure programmée
avec Mireille a duré six mois et ensuite s'est terminée. J'ai pris
l'habitude de mettre le truc dans le machin et remuer et éjaculer
ensuite. À part une fois,
c'était plutôt nul, mais j'en ai pris l'habitude et en est né
un faux besoin. À
partir de cette histoire le virus du patriarcat m'avait été
inoculé. Il y en avait déjà des éléments inoculés en moi. Là
j'ai fait une surinfection.
Après Mireille il était
devenu évident pour moi qu'il me fallait trouver quelqu'un avec qui
faire l'acte. Cette manière de penser la chose est une parfaite et
dévastatrice ignominie. On ne doit faire l'acte que si désir
effectif il y a et bonnes conditions pour le faire. Sinon il faut
absolument éviter de le faire. Mais l'état de baise permanente dont
je parlais au début de ce texte est un état partagé par des
millions d'individus confits dans le patriarcat. Des femmes y compris
sont d'accord.
Les hommes et femmes
patriarchisés croient qu'il est sain et juste de décider de baiser.
Ils en font une décision intellectuelle. Ils ont tout faux en
agissant ainsi. Le déraillement est même très visible. Une fois
que deux individus se retrouvent dans l'intimité à se faire de très
chauds câlins arrive le moment où il faut mettre le truc dans le
machin. C'est alors comme une sorte de petit théâtre aux gestes
prédéterminés, réfléchis, programmés. Avec l'angoisse de ne pas
y arriver. Ce n'est plus de l'amour spontané mais un travail à
faire aboutir. On pense à l'instant d'après. On n'est plus dans
l'instant présent. J'ai vécu ce genre de situations. D'autres font
du coït un sport. Dans les années 1980, un ami étudiant parisien
me disait tout fier de lui, parlant de sa façon de traiter les
jeunes filles qu'il draguait : « je le fais six fois dans
la nuit. » Le même me racontait qu'ayant dragué une jeune
fille, celle-ci avait entrepris le soir au lit de lui confier les
malheurs de sa vie. Commentant cette situation, le jeune homme me
disait l'air visiblement excédé : « on n'est pas là
pour ça ! »
Le patriarcat a fait de
la queue un outil de pouvoir et domination de l'homme sur la femme.
Pour être sûr d'avoir « le pouvoir » l'homme doit
absolument baiser ou chercher à baiser la femme. En se conduisant
ainsi l'homme précipite le désir et l'amour féminins dans la
clandestinité. Une femme n'ose plus alors faire une caresse, toucher le
sexe d'un homme qui lui plaît ou simplement dormir avec lui, sachant qu'elle
devra alors automatiquement « passer à la casserole ».
Et pour ce qui est de la tendresse nombre d'hommes mérite un zéro
pointé. Ils ne pensent qu'à leur queue.
Oublier le patriarcat
c'est pour un homme mettre sa queue de côté. Lui laisser sa juste
place et pas plus. Aimer sans imposer. Caresser sans forcer.
Embrasser sans exiger. Être un homme, un vrai, c'est quitter le
moule étriqué du patriarcat. Quitter l'état de baise permanente.
Regarder, écouter, apprécier les femmes à leur juste et immense
valeur. L'amour n'est pas un produit de consommation, c'est la
vie-même. Consomme-t-on la vie ? Non, on la vit, tout
simplement. Pour un homme ou une femme, vivre, c'est aimer et être
aimé vraiment. Ce qui ne peut se faire qu'en dehors du patriarcat.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 4 mai 2017
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