À
Paris, il y a quelques années, dans une sorte de fête d'extrême
gauche je croisais une jeune Allemande âgée d'environ vingt-cinq
ans. Nous avons fait un brin de causette. À
un moment-donné je lui
ai dit une chose qui a provoqué chez elle une réaction étrange. Je
lui ai dit : « je n'ai rien contre le peuple allemand ».
Et elle, née bien après 1945, visiblement pas du tout nazie vu le
lieu où je la rencontrais, n'en revenait pas ! Comment pouvait-elle
se sentir à ce point concernée, si ce n'est même culpabilisée,
pour des fais survenus plus de quarante ans avant sa naissance ?
C'est que la conscience collective, ici celle des Allemands,
fonctionne comme la conscience individuelle. C'est là qu'il faut
expliquer plus précisément ce que j'entends par mon propos. Un
exemple va l'éclairer.
Il y a plus de trente ans j'étais invité par un couple à passer un weekend à la campagne. Il y avait avec eux leur fille, âgée de deux ans. Celle-ci parlait beaucoup, posait beaucoup de questions, ses parents lui répondaient. A un moment-donné elle leur a demandé des précisions sur la mort... Les parents, farouchement matérialistes et athées anti-religieux lui répondirent qu'après la mort il n'y avait rien. J'entendais ces propos et me fis la réflexion suivante : « cette fillette a de multiples échanges verbaux à l'âge de deux ans. Plus tard, elle n'aura pas souvenir de tout ça. Elle se rappellera de sa vie à partir de trois, quatre, cinq ou six ans, et encore de façon très fragmentaire. En revanche, si ça se trouve, quand plus tard elle pensera à la mort, il se peut qu'elle soit absolument terrorisée à la perspective du néant inévitable pour elle que ses parents auront imprimés ainsi dans sa tête. Et elle n'aura alors pas du tout conscience de l'origine de cette conviction qui va la terroriser. »
Avoir quantité
d'échanges avec l'entourage dès l'âge de deux ans et ensuite n'en
avoir pas le souvenir, mais la marque, c'est le sort de chacun de
nous. A l'échelle de la conscience collective c'est pareil.
Le peuple allemand a connut une période de 1933 à 1945 dont la jeune fille dont je parlais plus haut n'a pas de souvenirs directs, mais elle en a la marque. C'est pourquoi elle culpabilise pour des actes qu'elle n'a pas commis, et s'étonne de rencontrer une « victime », un Français qui ne lui en veut pas.
Le peuple allemand a connut une période de 1933 à 1945 dont la jeune fille dont je parlais plus haut n'a pas de souvenirs directs, mais elle en a la marque. C'est pourquoi elle culpabilise pour des actes qu'elle n'a pas commis, et s'étonne de rencontrer une « victime », un Français qui ne lui en veut pas.
La marque de cette époque
qu'elle porte aujourd'hui lui a été transmise par les générations
précédentes. Celles qui ont connu et participé à la vie du peuple
allemand de 1933 à 1945. Mais ce phénomène n'est pas propre aux
Allemands. Pourquoi les Grecs en 2015 se sont fait aplatir par la
Troïka ? Parce que déjà auparavant ils ont subit une défaite
durant la guerre civile qui a suivi l'occupation allemande. En
France, ce phénomène de la mémoire collective existe aussi.
La conscience collective
dans notre pays a été marqué par un événement extrêmement
sanglant : l'écrasement de la Commune de Paris fin mai 1871 qui
occasionna un très grand massacre. Durant plus de cent ans le peuple
français a conservé la marque de la défaite des Communards. Cette
marque faisait que, par exemple, jusqu'aux années 1950-60 et aussi
au delà, la ville votait à droite. Tous les 20 arrondissements
votaient majoritairement à droite. En 1977, quand la fonction de
maire de Paris est réapparue, le nouveau maire élu fut un maire de
droite. En 2001, il y a quinze ans, ça a commencé à changer. Un
maire modéré, mais officiellement socialiste, a été porté à la
tête de la municipalité parisienne. Je me suis dis alors : « tiens
! Le traumatisme de la Commune de Paris commence à être surmonté.
Paris, ville traditionnellement révolutionnaire et devenue
conservatrice se remet à gauche. » Et à présent, 145 années
après la défaite de la Commune de Paris, le traumatisme paraît
complètement surmonté. Les mouvements de protestations actuels
contre la loi Travail apparaissent imprévisibles et incontrôlables.
La ville a renoué avec son passé révolutionnaire, que ça nous
plaise ou nous rassure ou non. Et le pays entier comme hier suit
Paris.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 18 juin 2016
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