Affiche ancienne de recrutement. |
Il y a plus de deux cents
ans, on trouvait dans le royaume de France des hommes qui étaient
chargés de recruter de la chair à canon pour alimenter les guerres.
Qui sont, comme chacun sait, la distraction préférée des
rois. La gloire d'un roi se mesure au nombre de maisons pillées
et incendiées, civils et militaires tués ou estropiés, et femmes
et jeunes filles violées en marge des victoires ou des défaites.
Plus un roi a semé la mort et la désolation par ses caprices
conquérants, plus il est « grand ». Et, quand il passe
sa vie durant à emmerder le monde entier avec ses appétits de
« conquêtes », il accède au titre envié de « grands
conquérants ». Pour avoir ruiné des contrées entières avec
son appétit stupide, Alexandre II de Macédoine est devenu
« Alexandre le Grand ». Et la gloire du Roi Soleil Louis
XIV se mesure en large partie avec les malheurs que ses fantaisies
guerrières ont causé à des dizaines de milliers de gens qui ne lui
avaient rien demandé. Si ce n'est de leur foutre la paix.
Donc, pour assurer la
prospérité de la connerie des rois, il fallait des soldats. Or, en
ces temps-là, point de conscription pour rafler à domicile tous les
jeunes hommes valides. Il fallait aller les chercher. Pour cela
fonctionnaient les « Sergents recruteurs ».
Ils se promenaient dans
le pays. Invitaient à boire les jeunes gens. Leur vantaient le
prestige et la beauté de la vie militaire. Et s'efforçaient surtout
de leur faire signer un engagement. Signer, pour des hommes
analphabètes consistant à tracer une croix en bas d'un document
imprimé.
Une fois la croix tracée,
ils étaient « engagés ». Et s'ils ne suivaient pas leur
engagement, les soldats du roi se chargeaient de les attraper comme
déserteurs et envoyer aux galères.
Toute la subtilité de la
chose consistait à faire croire aux malheureux qui avaient signé,
souvent en état de complète ébriété, qu'ils étaient
responsables de leur sort. Car ils avaient signé. Tel est le mythe
laïque du Sergent recruteur. En fait, ce papier n'était strictement
rien. Juste un peu de cellulose avec des traces d'encre dessus. Mais,
soi-disant, ce morceau de papier commandait et ôtait sa liberté à
l'homme ainsi « engagé ». La réalité était qu'en fait
l'engagement reposait sur la chasse aux réfractaires, qui, ayant
stupidement barbouillé d'une croix le bas d'une feuille, prenait
conscience de leur intérêt et fuyaient.
Faire croire qu'un bout
de papier barbouillé d'encre commande aux humains est un mythe
toujours vivant. Il a eu des conséquences odieuses et étonnantes
dans les années 1830 en Algérie. Les Français colonisant l'Algérie
arrivaient dans un pays de droit oral et pas de droit écrit. Avisant
de belles propriétés agricoles, ils interrogeaient ceux qui étaient
visiblement les propriétaires : « c'est à vous ? »
« Oui », répondaient les propriétaires. « Vous
avez des titres de propriétés ? Des documents écrits attestant que
c'est à vous ? » Ils n'en avaient pas. Et on leur confisquait
leurs propriétés.
Aujourd'hui, quand on
détruit tranquillement tout ce qui fonctionne dans un certain nombre
de pays, c'est toujours au nom du mythe du Sergent recruteur. Si on
doit foutre en l'air ce qui assure la qualité de la vie en France et
pas seulement, c'est parce qu'on a « signé les traités
européens ». Et demain parce qu'on aura signé le TAFTA et le
TISA entre l'Europe et les USA, versions modernes de la croix tracée
au bas de l'engagement militaire de jadis. Mais que valent ces
signatures ?
En fait, elles n'ont
aucune réalité. Quand le gouvernement hongrois a décidé de
reprendre le contrôle de la banque centrale de Hongrie, il y a peu
d'années de ça, les « Européens » ont poussé des cris
d'orfraie. Puis se sont écrasés. Le mythe du Sergent recruteur
n'a pas plus de réalité que la croyance qu'on accorde à la valeur
magique d'un peu d'encre au bas d'un morceau de papier.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 1er décembre 2015
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