L'art de se pourrir la
vie, c'est l'art de se « programmer ». Au lieu d'attendre
de ressentir quelque chose, d'avoir envie de quelque chose, de faire
naturellement quelque chose, d'être ainsi dans l'instant présent,
le seul qui existe, on est dans une dimension théorique, un futur
conditionné au respect de « programmes », le plus
souvent élaborés par d'autres, qu'on ne connait pas. Quand on
programme, tout ce qui est programmé devient un drame, une
compétition, un challenge, du plus facile au plus difficile. On ne
vit plus. On est perpétuellement en devenir et jamais en existant.
On croit qu'en programmant on se protège. En fait, on détruit sa
principale richesse : la légèreté de vivre, le bonheur d'être, la
tranquillité, la sérénité, le sentiment d'harmonie. On n'est plus
rien car on n'ose pas être soi. On se bande les yeux devant la
réalité. Qui, en dépit de notre bandeau, continue à exister.
Comme elle nous dérange, nous resserrons le bandeau, nous inventant
des règles, des projets, des impératifs imaginaires. « S'il
fait ci, nous disons-nous, nous ferons ça. » Et si ça arrive,
nous suivons le « programme » prévu, quitte à nous
exploser. Je me souviens avoir promis un jour une chose. L'ayant
promis, je me suis pourri la vie avec durant des années. Jusqu'à ce
que l'autre à qui j'avais promis, me libère... en trahissant sa
promesse d'attendre la réalisation de la mienne. On va littéralement
transformer la vie en asile de fous, en usant de tels
« raisonnements » !
Certains croient à des
mots magiques. Des mots dont ils ne remettent pas en cause le rôle.
Et dont ils ignorent le sens exact. Ainsi, j'ai lu le propos de
quelqu'un qui condamnait un comportement néfaste aux autres. Au lieu
de dire : « cette manière de faire nuit à son prochain, c'est
pourquoi il faut la proscrire. Ne faites pas à autrui ce que vous ne
voudriez pas qu'on vous fasse. Aimons-nous les uns les autres, »
l'auteur de ce texte disait : « il ne faut pas le faire car la
loi l'interdit ». Bien malin comme argument, sachant qu'il peut
exister des lois injustes. Et que ne pas respecter la loi peut être
aussi une bonne chose. Par exemple, voler de la nourriture pour
nourrir ses enfants qui meurent de faim est illégal, mais peut être
moral et bienvenu si c'est l'unique moyen disponible pour les nourrir
et secourir. Un domaine où la programmation atteint des sommets de
délire, c'est ce qu'on baptise : « la sexualité ».
Ainsi je vois ces jours-ci à Paris une publicité vantant la
prévention du SIDA : « je suis amoureux, je fais le test ! »
Sous-entendu : « je suis amoureux, donc je dois baiser, je vais
baiser ». Et pourquoi donc ? Tout le monde sait qu'on peut
baiser sans aimer, pourquoi n'aurait-on pas la possibilité d'aimer
sans baiser ? Notre société vit sous le règne du cul obligatoire.
Soi-disant c'est le bonheur. A voir le nombre de ruptures qui
arrivent, on n'a pas cette impression. Un ami me disait : « si
le sexe rendait heureux, ça se saurait. » Une autre publicité
actuelle montre un couple : jeunes, beaux, riches, car disposant d'un
appartement très vaste et confortable, et accompagné d'un enfant.
Sous-entendu : jeunes, vous devez baiser et avoir un enfant. Pourquoi
devrait-on devenir une machine à baiser ? « Vous êtes contre
la baise ! » me dira-t-on alors. Non, répondrais-je, je suis
pour l'authenticité. Si je n'ai pas envie de baiser, je ne baise
pas.
Il faut se débarrasser
de cette masse de mini-programmes, ou vastes programmes parasites,
qui se faufilent dans notre tête dissimulés sous des formules
alambiquées telles que : « je dois », « il faut »,
« il ne faut pas », « ça ne se fait pas »,
« je m'oblige à », « je m'interdis de ». Et
qui sont accompagnées par les applaudissements d'une foule esclave
de programmations diverses. Rien ne la rassure plus que l'imitation
de ses défauts. Le malheur programmé associé à la satisfaction
perverse du « comme il faut ». Regardez un chat heureux
: il mange, boit, se promène, joue, se fait caresser, dort. Il ne se
pose pas un milliard de questions. Et ne s'imagine pas le plus riche,
ou le plus célèbre des chats. Chat lui suffit. Que ne pourrait-on
justement se dire : « être homme » ou « être
femme » me suffit ? A quoi bon courir après des chimères
intérieures ? Une fois qu'on a le ventre plein et un toit au dessus
de sa tête, que demander de plus ? Le bonheur ? Mais, le bonheur est
là, regardons-le, apprécions-le plutôt que de regarder au dessus
de lui, cherchant quelque chose qui n'existe pas. Être comme le
singe dans l'arbre, plus heureux qu'un empereur, telle est la
plénitude du bonheur.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 10 décembre 2015
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