La vision qu'on cherche à
nous donner du monde et la réalité divergent souvent. Ainsi, il est
à la mode d'affirmer que nos mœurs se sont « libérés »
depuis les années 1960, en particulier dans le domaine dit : « du
sexe ». Il existe pourtant des éléments totalement
contradictoires. Au nombre de ceux-ci j'en relèverais deux
concernant les petits enfants. Quand j'étais petit, dans un jardin
public parisien, s'il faisait très chaud, on laissait gambader tout
nus les gamins âgés de trois ans au plus. Les enfants plus âgés
portaient des slips. Et parmi eux les fillettes - tant que leurs
seins n'avaient pas poussés et qu'elles étaient petites, - étaient
dans la même tenue que les garçons. Or, de nos jours, je remarque
que les très petits enfants sont très rarement laissés nus dans
des lieux publics parisiens quand il fait très chaud. C'est même
mal vu. Je l'ai constaté une fois au jardin du Luxembourg. Et les
fillettes portent systématiquement des « soutiens-riens »
qui dissimulent à la vue les seins qu'elles n'ont pas. Ainsi des
gamins encore sains sont gavés avec la « pudeur »
obsessionnelle des grandes personnes. Avec des obsessions sexuelles
supplémentaires ajoutées depuis les années 1960. Ce qui m'amène à
passer au feu de la critique un propos classique :
S'agissant du sexe on
entend souvent dire : « si jeunesse savait, si vieillesse
pouvait. » Sous-entendu que jeune on rate des tas de bonnes
occasions de baise qui nous permettraient soi-disant de « profiter
de notre jeunesse ». Et, devenus vieux, gros, puants, édentés
et moches, on n'est plus côté à l'Argus du cul. Et réduit à nous
branler devant les sites pornos d'Internet en rêvant à notre
jeunesse envolée. Ce discours sur la jeunesse qui ne sait pas et la
vieillesse qui ne peut pas, j'y ai même cru un temps. Il est
exactement faux. La réalité est inverse : « si jeunesse
pouvait, si vieillesse savait. »
Cette réalité ne concerne pas
uniquement le sexe, mais va l'influencer gravement. Petit, on ne
connaît pas d'interdits. Se toucher, et aussi pisser ou chier, on le
fait tranquillement devant les autres. C'est ce qui se passe quand on
est vraiment jeunes. On va alors nous inculquer des règles qui
impliquent que des activités agréables, naturelles, et souvent
inévitables, sont honteuses et à cacher. Et sans que ces interdits
paraissent relever d'une raison valable quelconque autre que c'est la
loi des adultes. Ces règles vont aussi nous mettre en demeure de
nous isoler : pour nous laver, aller aux cabinets. Et aussi il faudra
cacher une partie de nous. Alors que notre sexe sert visiblement à
pisser, il est frappé d'interdit visuel. La société commence ainsi
à mettre en place en nous des conventions minées qui vont un jour
nous exploser à la figure.
Un autre aspect de ces
interdits concerne le langage. Certains mots sont qualifiés de
« gros ». Ces « gros mots » seront proscrits.
Chose qui fascine les petits enfants. Tous ces interdits ne sont pas
véhiculés par des arguments, mais par la contrainte. La jeunesse
subit un dressage, où interviennent y compris punitions et
récompenses. La jeunesse ne peut pas y échapper.
Quand on arrive à un âge
où le zizi n'apparaît plus comme servant essentiellement à uriner.
Mais comme servant essentiellement à autre chose également. On est
alors déjà tout imprégné de messages divers qui vont nous rendre
la vie très difficile. Tous les discours ingurgités depuis la
petite enfance vont remonter à la surface à la façon d'un égout
débordant un jour de pluie. Et le résultat sera tel que
quantité de jeunes gens et jeunes filles seront tentés par le
suicide. Des milliers d'entre eux y parviendront. Ou se rendront
infirmes en le tentant.
Jeunesse ne pouvait pas.
Mais que se passera-t-il ensuite ? Les « vieux » sont
libres de la pression coercitive qu'ils ont subit enfant. Pourtant,
ils vont refuser de vivre la vie heureuse, insouciante, libre, qui
est enfin à leur portée. Et se perdre dans toutes sortes de délires
plus ou moins tordus, au nombre desquels l'amour vénal, le
harcèlement sexuel, la pornographie, ou pire. Les vieux peuvent
vivre, mais ne savent pas vivre. Jeunesse ne peut pas. Vieillesse ne
sait pas. Telle est la réalité.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 14 décembre 2015
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