Notre conscience est bien
malmenée et notre vie bien tourmentée par des illusions et
conditionnements divers. Ceux-ci sont paradoxaux. Ainsi, par exemple,
quand débute notre enfance prolongée on nous sèvre de câlins.
Vers l'âge de quatre ans, où le petit singe humain est enfin
autonome car il peut se nourrir seul, il va être minoré, plongé
dans une enfance prolongée. Et simultanément ce sera le sevrage
tactile : l'arrêt des câlins. Même certains enfants vont
l'applaudir : « je suis plus un bébé ! »
s'exclameront-ils en refusant des caresses.
Notre culture a
hypertrophié la « sexualité » en décrétant entre
autres que l'être humain au naturel, c'est-à-dire nu, était
sexuel. En même temps il a réprime la nudité... d'un côté notre
culture exagère l'importance de la sexualité. De l'autre, il
pourchasse cette sexualité-là qu'elle proclame.
Nous recevrons des
messages contradictoires : le sexe c'est mal. Il faut le cacher. Le
sexe c'est beau. Il n'y a rien de plus beau. L'abstinence c'est bien,
« respecter » les femmes c'est ne pas y toucher. Les
succès féminins c'est bien, « respecter » les femmes
consiste à en draguer le plus possible, etc.
Perdu dans la course
d'obstacles qu'il rencontre dans sa quête d'authenticité, l'homme
doit prendre garde à la ligne incolore et éviter de la taquiner.
Qu'est-ce que « la ligne incolore » ?
Il s'agit de la ligne
invisible qui sépare l'homme entre le rôle apparent qu'il joue et
la réalité qu'il est au fond de lui-même. Par moments, il tend à
franchir cette ligne invisible pour redevenir lui-même. Ce qui peut
arriver suite à un repas trop arrosé. Mais aussi en se laissant
aller à des confidences, des gestes, des attitudes qu'il évite en
temps normal. Ce qui peut lui jouer des tours. Ce franchissement est
souvent largement involontaire. Et n'a pas forcément toujours des
conséquences positives.
Quand l'autre franchit
cette ligne en votre direction, vous pourriez croire à « une
ouverture », la perspective de quelque chose de beau et
inattendu. Pas du tout ! Quand vous répondez positivement vous
pouvez vous faire rejeter. Et si vous répondez négativement, vous
faire critiquer. Exemple : une jeune fille provoque sexuellement un
homme. Il l'ignore, mais, à force, finit par donner un début de
réponse dans le même sens. La jeune fille va alors aller se
plaindre à son entourage qu'elle a été « agressée ».
L'entourage, qui la connait, et l'observe, va rire ou s'énerver
contre elle et l'envoyer paître. Autre exemple : à une provocation
sexuelle d'une femme l'homme ne répond pas comme elle le souhaite.
Elle l'engueule aussitôt pour cela. Et deux jours après l'accuse
d'en avoir « profité ». En fait il s'agit ici
d'incohérences sur et autour de la ligne incolore. Pourquoi
l'appeler « la ligne incolore » ? Parce que cette ligne, sorte
de frontière invisible et bien réelle, doit bien trouver un nom.
Ligne rouge signifie ligne à ne pas dépasser, alors, c'est « la
ligne incolore ».
Les petits enfants
perçoivent très bien l'existence de ligne incolore. Il y a plus de
trente ans un ami me racontait avoir assisté à la scène suivante :
on faisait la toilette d'un petit garçon âgé de six mois. Sa
grande sœur âgée de deux ans le voit nu, s'exclame : « oh !
Un zizi ! » Elle attrape le zizi de son petit frère. « Et
elle ne voulait plus le lâcher ! » a conclut mon ami en
rigolant. Si nous vivions nus comme jadis l'étaient nos lointains
ancêtres, la fillette n'aurait pas réagit ainsi. Voir des zizis
n'auraient rien de remarquable. Mais de nos jours habituellement les
zizis sont cachés. C'est pour ça qu'elle a eu cette réaction. Elle
a perçu la ligne incolore, sorte de frontière invisible entre « la
Nature » et « la Culture ». Et n'ayant pas encore
été conditionnée contre la spontanéité a réagit spontanément
et sans se cacher. Les adultes, eux, regardent les zizis sur
Internet. Et font mine de ne pas être intéressés. Connaissez-vous
beaucoup de gens qui déclarent regarder des sites coquins sur
Internet ? Parmi ceux qui le font, il y a très certainement une
quantité de gens qui font la morale aux autres. La ligne bleue a
encore beaucoup de beaux jours devant elle.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 29 décembre 2015
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