jeudi 1 octobre 2015

423 Réactions étranges à la terreur intérieure

Résumons : au début de son histoire, il y a plusieurs dizaines de milliers d'années, l'homme n'a aucun besoin du « progrès » technique, scientifique, intellectuel, artistique ou industriel. Il appartient à une catégorie que les grands prédateurs carnassiers tels les lions, panthères ou tigres évitent : les grands singes mordeurs et solidaires vivant en troupes. Il est plus raisonnable pour un grand prédateur carnassier d'attaquer et manger une antilope ou un lapin que prendre le risque d'attaquer un grand singe mordeur et solidaire. Les petits enfants singes humains, eux, ont la capacité de courir très vite pour rejoindre le groupe en cas de dangers et se mettre sous sa protection.

Pour se comporter dans la vie, l'homme a, comme toutes les espèces animales, son instinct. Aujourd'hui encore à la naissance : l'instinct est intact. Jadis, il suffisait parfaitement pour vivre. La soi-disant « lutte pour la vie » qui aurait amené l'homme a créer la Civilisation est une fable stupide.

Mais il y a le jeu. Avec le jeu, l'homme invente le savoir, le savoir erroné : l'erreur, et la « manquance » de savoir : l'ignorance. Le jeu est à l'origine de la Civilisation comme de la Barbarie. Le jeu amène également l'homme à inventer la transmission du savoir, de l'erreur, de l'ignorance.

Transmettre l'art de tailler un morceau de silex ou l'art de conduire un vaisseau spatial procède exactement de la même démarche.

Il faut dans la vie d'un humain du temps pour effectuer cette transmission. Alors que l'être humain est adulte vers l'âge de 4 ans, quand il est capable de se nourrir seul, le jeu créé un trouble majeur : l'enfance prolongée (et la parentalité prolongée). La sortie de celle-ci crée la terreur intérieure.

Celle-ci entraine des réactions qui peuvent paraître de prime abord procéder de comportements illogiques et irrationnels. Et qui peuvent en fait être compris et analysés.

La terreur intérieure amène l'homme a inventer l'angélisation : idéologie, parti, église, chef, papa, maman, fiancée... deviennent des « anges », des phénomènes merveilleux qui vont tout régler ou presque. Et la terreur intérieure se retrouvera en quelque sorte « domestiquée », « maîtrisée », grâce à ces anges que l'homme a inventé.

Plutôt que chercher à réfléchir, l'homme va calmer son affolement avec cette pensée qui le rassure : « grâce à cette idéologie, ce parti, cette église, ce chef, mon papa, ma maman, ma ou mon fiancé, tout va se régler, tout va s'arranger. Et, de toutes manières, j'éviterais le pire. »

Quand j'ai eu 22 ans j'ai eu ma première petite amie. Et, six mois plus tard, ma première déception amoureuse. C'est arrivé avec elle, alors que je croyais tout d'abord que « tout allait bien » et « irait bien ». Cette déception m'a surpris. Puis, quelques temps plus tard, je me souviens que je bricolais chez moi tout en réfléchissant à ma mésaventure. Et je réalisais soudain que, de manière tout à fait absurde, j'avais été persuadé que tant que j'étais proche de ma mère, rien de fâcheux ne pourrait m'arriver. J'ai trouvé cette conception absurde et irrationnelle. En fait, je ne l'ai pas réalisé à l'époque, j'avais tout bonnement « angélisé » ma mère.

Bien plus récemment j'étais amoureux. L'objet de mon amour était très malade. Paradoxalement, j'avais le sentiment que, tant que notre relation durerait, rien de vraiment fâcheux ne pourrait m'arriver. Je me sentais en quelque sorte « protégé » par l'amour. J'avais « angélisé » ma copine.

On peut angéliser, on peut aussi diaboliser. En angélisant on s'invente une protection rêvée, correspondant à la réalité ou pas. Et de toutes façons n'éliminant pas la terreur intérieure. On s'abrite derrière son petit doigt. Avec la diabolisation, on va masquer notre terreur avec un ennemi imaginaire que nous allons combattre et neutraliser. Ce combat servant d'abord et avant tout à tenter d'ignorer la terreur intérieure.

Les diables pourront être des anges déchus. En politique, il y a quatre ans environ, nous avons eu l'exemple de « l'affaire DSK ». Il y a en fait des multitudes de DSK et d'affaires DSK.

A l'origine, DSK est un « ange ». Il doit se faire élire président de la République française en 2012 et a toutes ses chances. Quantité de gens s'apprêtent à voter pour lui. Je connais même des gens d'extrême droite qui ont l'intention de voter DSK qui est, en théorie, un candidat « de gauche ». Ça ne fait rien, il leur plaît quand même.

Et puis éclate l'affaire du Sofitel de New York. DSK est accusé par une femme de chambre d'un grand hôtel de New York de l'avoir violée. Et c'est la chute en enfer pour l'ange de la veille. DSK était le candidat idéal à la présidence de la République. Il va devenir un diable aux yeux d'un tas de gens qui l'encensait jusqu'à là.

En fait, personne ne peut dire ce qui s'est effectivement passé. Mais, pour être diabolisé, pour que DSK devienne un diable, peu importe ce qui s'est passé, ce que la victime déclaré a subit ou n'a pas subit. Si elle n'a rien subit ou subit quelque chose. Même peu importe si elle est vraiment victime ou pas. L'essentiel est que « le DSK » est tombé de son piédestal non parce qu'il a violé effectivement une femme. Mais parce qu'il apparaît évident qu'il a fait quelque chose de « sexuel » et prouvé par là... qu'il n'est pas un « ange ». Il a reconnu un rapport « inapproprié » et cela suffit. Même sans aucune preuve effective autre que la parole de sa victime présumée contre sa parole à lui, DSK est devenu un monstre. Il est passé du rang d'ange au rang de diable. Il était aussi artificiellement ange qu'il deviendra diable. Et il n'est pas l'unique et seul ange à devenir ainsi diable. Des DSK il y en a des dizaines de milliers. Ce sont des anges qui ont changé de statut.

La diabolisation n'est pas nécessairement sexuelle. Elle peut l'être aussi parfois. Le maire d'une grande ville du sud-ouest de la France s'est vu accusé d'avoir participé à des orgies sadiques. Il a attaqué en justice ses accusateurs pour diffamation et gagné son procès. Ce qui ne l'a pas empêché de trainer une casserole ensuite. Comme on dit : « il n'y a pas de fumée sans feu » ou encore : « accusez, il en restera toujours quelque chose ». L'essentiel pour passer du rang d'ange à celui de diable est de descendre. On ne pardonne pas à un ange de se révéler simple humain. En politique existent bien des exemples. Pour liquider politiquement Valéry Giscard d'Estaing on l'a accusé d'avoir reçu des cadeaux d'un dictateur africain. Pour se débarrasser du maire de Paris il y a des années, il y eu « les affaires ». Au point que paraît-il disait un sondage, une majorité d'électeurs parisiens le trouvait bien comme maire mais ne voulait pas le voir continuer à diriger la ville. C'est une manière de considérer la réalité qui est absurde. Mais la logique sous-jacente est là : le maire a démontré par « ses affaires » qu'il n'était pas ange, mais autre chose, et donc forcément un diable.

Le cas le plus extraordinaire est celui de Louis XVI avec la fuite à Varennes. A l'époque, pour justifier de le tuer, on n'a rien n'a lui reprocher dans sa personnalité ou ses actes comparé à d'autres souverains (comme la révocation de l'Édit de Nantes, par exemple). Mais, ce qu'il a commis d'irréparable c'est se déguiser en bourgeois et emprunter une voiture banalisée. C'est ce qui lui est au fond reproché. Il est tombé de son piédestal. Il est descendu du statut d'ange royal à celui de simple accusé diable.

Cette façon de procéder se rencontre dans les relations courantes entre individus « ordinaires ». Et, sans le réaliser, vous devenez vous-même le DSK de quelqu'un d'autre. En réfléchissant aujourd'hui, j'ai réalisé que j'ai été par deux fois au moins DSKisé.

A chaque fois, il y avait la volonté de me mettre au rang d'ange. Puis, par des faits banaux, j'ai témoigné avoir une sexualité qui n'avait rien d'horrible ou scandaleuse, mais était incompatible avec le statut d'ange qui m'avait été attribué. Je suis pour le coup subitement devenu un diable. Et, sur le moment, n'ai rien compris à la démarche aberrante de mes accusatrices. Elles avaient eu des attitudes très sexuelles et entreprenantes à mon égard. Et un beau jour elles ont décrété que je n'étais plus un ange, pour des motifs microscopiques et secondaires, mais qui servaient à me déchoir du statut d'ange à celui de diable.

Ces réactions étaient tellement éloignées de la réalité que je n'ai pas vraiment compris ce qui m'arrivait. Accusé sans crime et condamné à descendre d'un piédestal où j'ignorais me trouver. Il m'était pour le moins ardu de déchiffrer le motif de l'hostilité subite et très réelle de mes juges improvisés. Motif qui était en fait leur terreur intérieure quémandant pour être supportée d'inventer des fables positives ou négatives à l'encontre de quelqu'un, moi ici à cette occasion. J'ai été aujourd'hui surpris et amusé de réaliser que l'explication de ce trouble relationnel avec des personnes de mon entourage s'expliquait par le fait que j'étais devenu pour elles un DSK ! Alors que je ne suis ni ange, ni diable, j'ai été « fabulé ». De trop positif je suis passé à trop négatif. Alors que je ne suis ni l'un, ni l'autre. La terreur intérieure conduit à ce genre de farces tragi-comiques. Un humain ordinaire, moi, devient ange, puis diable. Encensé et rejeté ensuite pour des motifs de troubles intérieurs chez les autres.

Certaines DSKisations atteignent des sommets d'absurdité. On est très loin de simples accusations. Ce sont des on-dits appliqués à des situations courantes pour noircir abusivement par des sous-entendus venimeux des personnes qui ne sont coupables de rien.

Il existe parmi les comportements causés par la terreur intérieure d'autres manières de faire que je vais évoquer ici. Il s'agit de comportements absurdes. La logique de ceux-ci est la suivante : « si j'agis de manière absurde, ça prouve que je ne suis pas moi, qui suis raisonnable. Donc, je suis un autre. Et ma peur ne me concerne pas. »

Une amie se plaignait à moi tout dernièrement que, sans aucune raison, deux de ses amies l'avaient complètement laissé tomber. La raison possible est que justement ces deux amies l'appréciaient très positivement. En la laissant tomber, elles commettent un acte absurde. Qui va signifier pour elles qu'elles ne sont pas elles. Et donc ne sont pas concernées par leur terreur intérieure.

Cet appel au geste absurde pour nier sa terreur intérieure se retrouve en politique. Des leaders politiques vont subitement choisir de faire exactement le contraire de ce qui pourrait leur profiter. Il y a des exemples. Beaucoup d'actes d'hommes politiques au cours de l'Histoire, y compris actuelle, vont à l'opposé de leurs intérêts. Paraissent complètement absurdes et incompréhensibles. Et le sont effectivement. Ils n'ont pas d'autres rôles que servir à apaiser autant que possible la terreur intérieure des hommes et femmes politiques qui sont, d'abord et avant tout, des hommes et des femmes. On ne trahit pas toujours son camp pour des intérêts inavouables. On peut le faire simplement et uniquement pour nier sa terreur intérieure.

Le domaine où cette trahison de soi apparaît de façon éclatante, c'est le jeu d'échecs. Quand on lit l'analyse de parties d'échecs de très haut niveau jouées entre des grands maîtres d'échecs, ils jouent toujours magnifiquement bien... Mais, toujours, à un moment-donné un des deux adversaires va commettre un coup extraordinairement mauvais qui décidera du sort final de la partie. Ce coup sera souligné dans l'analyse par trois points d'interrogation entre parenthèses. Ce coup représente la fuite devant la terreur intérieure. Le grand maître va jouer subitement très mal et comme ça, en quelque sorte, « ne sera plus lui mais un autre ». Et ainsi échappera à sa terreur intérieure fruit de sa sortie de son enfance prolongée.

Basile, philosophe naïf, Paris le 1er octobre 2015

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