Résumons : au début de
son histoire, il y a plusieurs dizaines de milliers d'années,
l'homme n'a aucun besoin du « progrès » technique, scientifique,
intellectuel, artistique ou industriel. Il appartient à une
catégorie que les grands prédateurs carnassiers tels les lions,
panthères ou tigres évitent : les grands singes mordeurs et
solidaires vivant en troupes. Il est plus raisonnable pour un grand
prédateur carnassier d'attaquer et manger une antilope ou un lapin
que prendre le risque d'attaquer un grand singe mordeur et solidaire.
Les petits enfants singes humains, eux, ont la capacité de courir
très vite pour rejoindre le groupe en cas de dangers et se mettre
sous sa protection.
Pour se comporter dans la
vie, l'homme a, comme toutes les espèces animales, son instinct.
Aujourd'hui encore à la naissance : l'instinct est intact. Jadis, il
suffisait parfaitement pour vivre. La soi-disant « lutte pour
la vie » qui aurait amené l'homme a créer la Civilisation est
une fable stupide.
Mais il y a le jeu. Avec
le jeu, l'homme invente le savoir, le savoir erroné : l'erreur, et
la « manquance » de savoir : l'ignorance. Le jeu est à l'origine de la
Civilisation comme de la Barbarie. Le jeu amène également l'homme à
inventer la transmission du savoir, de l'erreur, de l'ignorance.
Transmettre l'art de
tailler un morceau de silex ou l'art de conduire un vaisseau spatial
procède exactement de la même démarche.
Il faut dans la vie d'un
humain du temps pour effectuer cette transmission. Alors que l'être
humain est adulte vers l'âge de 4 ans, quand il est capable de se
nourrir seul, le jeu créé un trouble majeur : l'enfance prolongée
(et la parentalité prolongée). La sortie de celle-ci crée la
terreur intérieure.
Celle-ci entraine des réactions qui peuvent paraître de prime abord procéder de comportements illogiques et irrationnels. Et qui peuvent en fait être compris et analysés.
Celle-ci entraine des réactions qui peuvent paraître de prime abord procéder de comportements illogiques et irrationnels. Et qui peuvent en fait être compris et analysés.
La terreur intérieure
amène l'homme a inventer l'angélisation : idéologie, parti, église,
chef, papa, maman, fiancée... deviennent des « anges »,
des phénomènes merveilleux qui vont tout régler ou presque. Et la
terreur intérieure se retrouvera en quelque sorte « domestiquée »,
« maîtrisée », grâce à ces anges que l'homme a
inventé.
Plutôt que chercher à
réfléchir, l'homme va calmer son affolement avec cette pensée qui
le rassure : « grâce à cette idéologie, ce parti, cette
église, ce chef, mon papa, ma maman, ma ou mon fiancé, tout va se
régler, tout va s'arranger. Et, de toutes manières, j'éviterais le
pire. »
Quand j'ai eu 22 ans j'ai
eu ma première petite amie. Et, six mois plus tard, ma première
déception amoureuse. C'est arrivé avec elle, alors que je croyais
tout d'abord que « tout allait bien » et « irait
bien ». Cette déception m'a surpris. Puis, quelques temps plus
tard, je me souviens que je bricolais chez moi tout en réfléchissant
à ma mésaventure. Et je réalisais soudain que, de manière tout à
fait absurde, j'avais été persuadé que tant que j'étais proche de
ma mère, rien de fâcheux ne pourrait m'arriver. J'ai trouvé cette
conception absurde et irrationnelle. En fait, je ne l'ai pas réalisé
à l'époque, j'avais tout bonnement « angélisé » ma
mère.
Bien plus récemment
j'étais amoureux. L'objet de mon amour était très malade.
Paradoxalement, j'avais le sentiment que, tant que notre relation
durerait, rien de vraiment fâcheux ne pourrait m'arriver. Je me
sentais en quelque sorte « protégé » par l'amour.
J'avais « angélisé » ma copine.
On peut angéliser, on
peut aussi diaboliser. En angélisant on s'invente une protection
rêvée, correspondant à la réalité ou pas. Et de toutes façons
n'éliminant pas la terreur intérieure. On s'abrite derrière son
petit doigt. Avec la diabolisation, on va masquer notre terreur avec
un ennemi imaginaire que nous allons combattre et neutraliser. Ce
combat servant d'abord et avant tout à tenter d'ignorer la terreur
intérieure.
Les diables pourront être
des anges déchus. En politique, il y a quatre ans environ, nous
avons eu l'exemple de « l'affaire DSK ». Il y a en fait
des multitudes de DSK et d'affaires DSK.
A l'origine, DSK est un
« ange ». Il doit se faire élire président de la
République française en 2012 et a toutes ses chances. Quantité de
gens s'apprêtent à voter pour lui. Je connais même des gens
d'extrême droite qui ont l'intention de voter DSK qui est, en
théorie, un candidat « de gauche ». Ça ne fait rien, il
leur plaît quand même.
Et puis éclate l'affaire
du Sofitel de New York. DSK est accusé par une femme de chambre d'un
grand hôtel de New York de l'avoir violée. Et c'est la chute en
enfer pour l'ange de la veille. DSK était le candidat idéal à la
présidence de la République. Il va devenir un diable aux yeux d'un
tas de gens qui l'encensait jusqu'à là.
En fait, personne ne peut
dire ce qui s'est effectivement passé. Mais, pour être diabolisé,
pour que DSK devienne un diable, peu importe ce qui s'est passé, ce
que la victime déclaré a subit ou n'a pas subit. Si elle n'a rien
subit ou subit quelque chose. Même peu importe si elle est vraiment
victime ou pas. L'essentiel est que « le DSK » est tombé
de son piédestal non parce qu'il a violé effectivement une femme.
Mais parce qu'il apparaît évident qu'il a fait quelque chose de
« sexuel » et prouvé par là... qu'il n'est pas un
« ange ». Il a reconnu un rapport « inapproprié »
et cela suffit. Même sans aucune preuve effective autre que la
parole de sa victime présumée contre sa parole à lui, DSK est
devenu un monstre. Il est passé du rang d'ange au rang de diable. Il
était aussi artificiellement ange qu'il deviendra diable. Et il
n'est pas l'unique et seul ange à devenir ainsi diable. Des DSK
il y en a des dizaines de milliers. Ce sont des anges qui ont changé
de statut.
La diabolisation n'est
pas nécessairement sexuelle. Elle peut l'être aussi parfois. Le
maire d'une grande ville du sud-ouest de la France s'est vu accusé
d'avoir participé à des orgies sadiques. Il a attaqué en justice
ses accusateurs pour diffamation et gagné son procès. Ce qui ne l'a
pas empêché de trainer une casserole ensuite. Comme on dit : « il
n'y a pas de fumée sans feu » ou encore : « accusez, il
en restera toujours quelque chose ». L'essentiel pour passer du
rang d'ange à celui de diable est de descendre. On ne pardonne pas à
un ange de se révéler simple humain. En politique existent bien des
exemples. Pour liquider politiquement Valéry Giscard d'Estaing on
l'a accusé d'avoir reçu des cadeaux d'un dictateur africain. Pour
se débarrasser du maire de Paris il y a des années, il y eu « les
affaires ». Au point que paraît-il disait un sondage, une
majorité d'électeurs parisiens le trouvait bien comme maire mais ne
voulait pas le voir continuer à diriger la ville. C'est une manière
de considérer la réalité qui est absurde. Mais la logique
sous-jacente est là : le maire a démontré par « ses
affaires » qu'il n'était pas ange, mais autre chose, et donc
forcément un diable.
Le cas le plus
extraordinaire est celui de Louis XVI avec la fuite à Varennes. A
l'époque, pour justifier de le tuer, on n'a rien n'a lui reprocher
dans sa personnalité ou ses actes comparé à d'autres souverains
(comme la révocation de l'Édit de Nantes, par exemple). Mais, ce
qu'il a commis d'irréparable c'est se déguiser en bourgeois et
emprunter une voiture banalisée. C'est ce qui lui est au fond
reproché. Il est tombé de son piédestal. Il est descendu du statut
d'ange royal à celui de simple accusé diable.
Cette façon de procéder
se rencontre dans les relations courantes entre individus
« ordinaires ». Et, sans le réaliser, vous devenez
vous-même le DSK de quelqu'un d'autre. En réfléchissant
aujourd'hui, j'ai réalisé que j'ai été par deux fois au moins
DSKisé.
A chaque fois, il y avait
la volonté de me mettre au rang d'ange. Puis, par des faits banaux,
j'ai témoigné avoir une sexualité qui n'avait rien d'horrible ou
scandaleuse, mais était incompatible avec le statut d'ange qui
m'avait été attribué. Je suis pour le coup subitement devenu un
diable. Et, sur le moment, n'ai rien compris à la démarche
aberrante de mes accusatrices. Elles avaient eu des attitudes très
sexuelles et entreprenantes à mon égard. Et un beau jour elles ont
décrété que je n'étais plus un ange, pour des motifs
microscopiques et secondaires, mais qui servaient à me déchoir du
statut d'ange à celui de diable.
Ces réactions étaient
tellement éloignées de la réalité que je n'ai pas vraiment
compris ce qui m'arrivait. Accusé sans crime et condamné à
descendre d'un piédestal où j'ignorais me trouver. Il m'était pour
le moins ardu de déchiffrer le motif de l'hostilité subite et très
réelle de mes juges improvisés. Motif qui était en fait leur
terreur intérieure quémandant pour être supportée d'inventer des
fables positives ou négatives à l'encontre de quelqu'un, moi ici à cette occasion. J'ai été aujourd'hui surpris et
amusé de réaliser que l'explication de ce trouble relationnel avec
des personnes de mon entourage s'expliquait par le fait que j'étais
devenu pour elles un DSK ! Alors que je ne suis ni ange, ni diable,
j'ai été « fabulé ». De trop positif je suis passé à
trop négatif. Alors que je ne suis ni l'un, ni l'autre. La terreur
intérieure conduit à ce genre de farces tragi-comiques. Un humain
ordinaire, moi, devient ange, puis diable. Encensé et rejeté
ensuite pour des motifs de troubles intérieurs chez les autres.
Certaines DSKisations
atteignent des sommets d'absurdité. On est très loin de simples
accusations. Ce sont des on-dits appliqués à des situations
courantes pour noircir abusivement par des sous-entendus venimeux des
personnes qui ne sont coupables de rien.
Il existe parmi les
comportements causés par la terreur intérieure d'autres manières
de faire que je vais évoquer ici. Il s'agit de comportements
absurdes. La logique de ceux-ci est la suivante : « si j'agis
de manière absurde, ça prouve que je ne suis pas moi, qui suis
raisonnable. Donc, je suis un autre. Et ma peur ne me concerne pas. »
Une amie se plaignait à
moi tout dernièrement que, sans aucune raison, deux de ses amies
l'avaient complètement laissé tomber. La raison possible est que
justement ces deux amies l'appréciaient très positivement. En la
laissant tomber, elles commettent un acte absurde. Qui va signifier
pour elles qu'elles ne sont pas elles. Et donc ne sont pas concernées
par leur terreur intérieure.
Cet appel au geste
absurde pour nier sa terreur intérieure se retrouve en politique.
Des leaders politiques vont subitement choisir de faire exactement le
contraire de ce qui pourrait leur profiter. Il y a des exemples.
Beaucoup d'actes d'hommes politiques au cours de l'Histoire, y
compris actuelle, vont à l'opposé de leurs intérêts. Paraissent
complètement absurdes et incompréhensibles. Et le sont
effectivement. Ils n'ont pas d'autres rôles que servir à apaiser
autant que possible la terreur intérieure des hommes et femmes
politiques qui sont, d'abord et avant tout, des hommes et des femmes.
On ne trahit pas toujours son camp pour des intérêts inavouables.
On peut le faire simplement et uniquement pour nier sa terreur
intérieure.
Le domaine où cette
trahison de soi apparaît de façon éclatante, c'est le jeu
d'échecs. Quand on lit l'analyse de parties d'échecs de très haut
niveau jouées entre des grands maîtres d'échecs, ils jouent
toujours magnifiquement bien... Mais, toujours, à un moment-donné
un des deux adversaires va commettre un coup extraordinairement
mauvais qui décidera du sort final de la partie. Ce coup sera
souligné dans l'analyse par trois points d'interrogation entre
parenthèses. Ce coup représente la fuite devant la terreur
intérieure. Le grand maître va jouer subitement très mal et comme
ça, en quelque sorte, « ne sera plus lui mais un autre ».
Et ainsi échappera à sa terreur intérieure fruit de sa sortie de
son enfance prolongée.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 1er octobre 2015
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