mercredi 21 octobre 2015

433 Les jeunes, les femmes et les artistes et poètes

Les jeunes, les femmes et les artistes et poètes forment trois catégories de personnes qui ont en commun de voir nier leur activité.

Voyez un jeune élève à l'école, au collège, au lycée, à l'université, qui travaille. Lit, étudie, prépare et passe des examens... A-t-il une activité ? Pas du tout ! C'est quand il va aller au chagrin gagner trois francs six sous qu'on déclarera alors, et alors seulement, qu'il est enfin « entré dans la vie active » ! Et avant ? Il ne faisait rien, sans doute ? Une amie, mère de famille, élève trois grands enfants. Du matin au soir elle n'arrête pas de bosser à la maison. Son mari, qui travaille à l'extérieur lui sort tranquillement : « toi tu ne fais rien, moi je travaille ». Et les artistes et poètes ? Ils partagent avec les jeunes et les femmes cette négation de leur activité. À l'artiste, on dit, c'est classique : « toi, tu ne fous rien ». Parce qu'écrire, peindre, réfléchir, rêver, rire, préparer et organiser des fêtes, ce n'est rien, sans doute ? Et pourquoi donc ? Parce que soi-disant une activité n'existe que quand elle s'effectue en échange d'argent. Le travail n'est un travail qu'à condition de s'échanger contre la substance magique financière. Et le plomb de la prétendue inactivité se métamorphose subitement en or. Ce n'est plus l'inactivité vicieuse et honteuse mais le valeureux et splendide travail !

Si étudier, élever des enfants, écrire, peindre, c'est soi-disant ne rien faire, c'est parce que ce n'est pas payé. Une mère élève ses enfants, ce n'est rien. Une nourrice élève les enfants des autres contre de l'argent, elle a une « activité professionnelle » ! Pourtant, elle fait exactement comme la mère, mais contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Comment dresse-t-on les animaux de cirque ? Le plus souvent en les récompensant pour leurs numéros, ou en les brutalisant. Bien rares sont les animaux de cirque qui n'obéissent pas à une de ces raisons. Peut-être que les otaries jouent au ballon pour le plaisir ? Mais tous les autres animaux de cirque font leurs numéros en échange de caresses ou friandises ou par peur des coups. Ou pour éviter des privations de nourriture. Jusqu'à ce que l'habitude, le conditionnement aidant, elles fassent ce qu'on attend d'elles, y compris sans récompenses ou punitions.

Les humains sont strictement pareils, mis à part que leurs dresseurs sont de la même espèce qu'eux. Qu'est-ce qui fait accepter un boulot de merde ? La paye à la fin du mois ou la peur de la misère ou les deux.

Parfois, certains passent à travers les mailles du filet. Ils sont riches, se débrouillent, sont des artistes. Ils s'attireront souvent jalousies ou mépris.

Il est infiniment plus honorable aujourd'hui dans notre société de fabriquer et vendre des canons, et payer des impôts sur les bénéfices ainsi obtenus, que vivre de peu. Être exempté d'impôts pour cause de modestie de revenus. Et peindre des tableaux ou écrire des poèmes.

C'est ça, la « Civilisation ». Avec de telles valeurs dominantes, on comprend que les humains ne paraissent pas avoir dépassé le stade des croc-magnons... Mais le futur est beau. Il est louable et autorisé d'admirer les poètes, une fois qu'ils sont morts. Avec les artistes-peintres et les artistes en général c'est pareil. Vous êtes un feignant de votre vivant. Après votre mort, si tout va bien, on spéculera sur vos tableaux. Et puis aussi, on rédigera de magnifiques biographies qui se vendront très bien où on expliquera comment votre vie était dure et s'est achevée dans la misère. De toutes façons, cette misère vous l'avez bien choisi. Vous n'aviez qu'à fabriquer et vendre des canons plutôt que fabriquer des peintures ou des recueils de poésies. Ceux qui ont choisi de faire et vendre des canons s'offriront plus tard vos recueils et vos toiles pour agrémenter leurs grandes villas!

Basile, philosophe naïf, Paris le 21 octobre 2015

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