Les jeunes, les femmes et
les artistes et poètes forment trois catégories de personnes qui
ont en commun de voir nier leur activité.
Voyez un jeune élève à
l'école, au collège, au lycée, à l'université, qui travaille.
Lit, étudie, prépare et passe des examens... A-t-il une activité ?
Pas du tout ! C'est quand il va aller au chagrin gagner trois francs
six sous qu'on déclarera alors, et alors seulement, qu'il est enfin
« entré dans la vie active » ! Et avant ? Il ne faisait
rien, sans doute ? Une amie, mère de famille, élève trois grands
enfants. Du matin au soir elle n'arrête pas de bosser à la maison.
Son mari, qui travaille à l'extérieur lui sort tranquillement :
« toi tu ne fais rien, moi je travaille ». Et les
artistes et poètes ? Ils partagent avec les jeunes et les femmes
cette négation de leur activité. À
l'artiste, on dit, c'est classique : « toi, tu ne fous rien ».
Parce qu'écrire, peindre, réfléchir, rêver, rire, préparer et
organiser des fêtes, ce n'est rien, sans doute ? Et pourquoi donc ?
Parce que soi-disant une activité n'existe que quand elle s'effectue
en échange d'argent. Le travail n'est un travail qu'à condition de
s'échanger contre la substance magique financière. Et le plomb de
la prétendue inactivité se métamorphose subitement en or. Ce n'est
plus l'inactivité vicieuse et honteuse mais le valeureux et
splendide travail !
Si étudier, élever des
enfants, écrire, peindre, c'est soi-disant ne rien faire, c'est
parce que ce n'est pas payé. Une mère élève ses enfants, ce n'est
rien. Une nourrice élève les enfants des autres contre de l'argent,
elle a une « activité professionnelle » ! Pourtant, elle
fait exactement comme la mère, mais contre espèces sonnantes et
trébuchantes.
Comment dresse-t-on les
animaux de cirque ? Le plus souvent en les récompensant pour leurs
numéros, ou en les brutalisant. Bien rares sont les animaux de
cirque qui n'obéissent pas à une de ces raisons. Peut-être que les
otaries jouent au ballon pour le plaisir ? Mais tous les autres
animaux de cirque font leurs numéros en échange de caresses ou
friandises ou par peur des coups. Ou pour éviter des privations de
nourriture. Jusqu'à ce que l'habitude, le conditionnement aidant,
elles fassent ce qu'on attend d'elles, y compris sans récompenses ou
punitions.
Les humains sont
strictement pareils, mis à part que leurs dresseurs sont de la même
espèce qu'eux. Qu'est-ce qui fait accepter un boulot de merde ? La
paye à la fin du mois ou la peur de la misère ou les deux.
Parfois, certains passent
à travers les mailles du filet. Ils sont riches, se débrouillent,
sont des artistes. Ils s'attireront souvent jalousies ou mépris.
Il est infiniment plus
honorable aujourd'hui dans notre société de fabriquer et vendre des
canons, et payer des impôts sur les bénéfices ainsi obtenus, que
vivre de peu. Être exempté d'impôts pour cause de modestie de
revenus. Et peindre des tableaux ou écrire des poèmes.
C'est ça, la
« Civilisation ». Avec de telles valeurs dominantes, on
comprend que les humains ne paraissent pas avoir dépassé le stade
des croc-magnons... Mais le futur est beau. Il est louable et
autorisé d'admirer les poètes, une fois qu'ils sont morts. Avec les
artistes-peintres et les artistes en général c'est pareil. Vous
êtes un feignant de votre vivant. Après votre mort, si tout va
bien, on spéculera sur vos tableaux. Et puis aussi, on rédigera de
magnifiques biographies qui se vendront très bien où on expliquera
comment votre vie était dure et s'est achevée dans la misère. De
toutes façons, cette misère vous l'avez bien choisi. Vous n'aviez
qu'à fabriquer et vendre des canons plutôt que fabriquer des
peintures ou des recueils de poésies. Ceux qui ont choisi de faire
et vendre des canons s'offriront plus tard vos recueils et vos toiles
pour agrémenter leurs grandes villas!
Basile, philosophe
naïf, Paris le 21 octobre 2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire