Il y a aujourd'hui des
problèmes politiques importants, il y en avait hier aussi,
avant-hier également, avant-avant-hier et demain très certainement.
On peut se raconter ce qu'on veut pour se faire plaisir, se rassurer,
se dire que ça avance quand même. Mais, à regarder bien, les
problèmes souvent ne se résolvent que peu, pas ou guère. Ils se
déplacent. Ça va mieux là. Telle chose va mieux, mais une autre
s'aggrave. Et la masse des gens ne réagit pas. Cependant que les
dirigeants n'arrivent pas à des résultats probants. Comment
expliquer ce piétinement qui n'en finit pas ? D'abord, la masse ne
bouge pas pour deux raisons. L'une est positive, l'autre ne l'est
pas. La raison positive est que la masse foncièrement aspire à la
paix, la tranquillité, l'évitement des conflits, les solutions
douces et pacifiques. Elle espère que tout finira bien par
s'arranger sans bagarres. Elle veut rester optimiste malgré tout ce
qui lui arrive.
Qu'est-ce que
l'espérance, l'optimisme et ses contraires : la désespérance, le
pessimisme ? On leur donne des explications chimiques. Mais elles
sont autant satisfaisantes que prétendre résumer une joyeuse soirée
amicale dîner réussie avec une explication technique du
mécanisme digestif.
La raison négative qu'à
la masse pour ne pas réagir à ce qui la tourmente est d'adopter une
identité négative : « nous souffrons parce que nous
appartenons à ceux qui souffrent toujours. Il y a des profiteurs qui
nous tourmentent, mais il y aura toujours des profiteurs. La Nature
est ainsi. »
De temps en temps se
passe une sorte de court-circuit dans la conscience de la masse. Alors elle se révolte. Pour revenir ensuite au calme. On l'a bien vu ainsi
par exemple en mai et juin 1968. En mai et juin 1968 des motifs de
mécontentement déjà anciens ont poussé à la grève dix millions
de personnes, ont poussé à la manifestation quelques millions
d'entre elles. Et puis, tout est retourné à « la normale ».
Une affiche de juin 1968 figurait un troupeau de moutons surmonté de
l'inscription : « Retour à la normale ».
La masse est ainsi. Mais,
comment fonctionnent ses leaders, ses dirigeants politiques ? Voyons
un exemple de sa conduite par rapport aux prix des produits
alimentaires. Ceux-ci, en, France, en particulier à partir du 1er
janvier 2002, date maudite de l'arrivée de la monnaie actuelle, ont
grimpé à une vitesse folle. La vie n'a jamais été si chère. Et
la faim est reparue comme fléau dans notre pays. Pourtant, à la
production, les produits n'ont pas augmenté de prix. Ils ont même
souvent reculé. La cause de cette situation est connue : c'est « la
grande distribution ». Elle règne, décide d'acheter aux
producteurs aux prix les plus bas, vendre au consommateur, nous, le
plus cher possible. Et payer ses employés le moins possible. La
seule solution pour arrêter ces abus consiste à créer un service
public de la grande distribution, en expropriant les quelques
sociétés qui sont à présent responsables de la cherté des
produits alimentaires. Cette démarche de salut public élémentaire
étant incompatible avec les « règles européennes »
implique également la rupture d'avec les traités européens. Aucun
parti politique français, fut-il autoproclamé révolutionnaire, ne
préconise la création pourtant évidente d'un service public de la
grande distribution. Les différentes partis politiques parlent au
mieux d'augmenter les salaires. Mais le système est un : d'un côté
les salaires sont bloqués. De l'autre, les prix montent. On appelle
ça : « la dévaluation intérieure ». Autrement dit la
promotion de la misère pour le plus grand nombre, qu'il travaille ou
pas.
L'explication de ce
désintérêt des partis politiques pour changer le fonctionnement de
la grande distribution ne se trouve pas dans un complot quelconque.
Elle est beaucoup plus simple.
Les dirigeants
politiques, comment vivent-ils ? En général, ils vivent plutôt
bien. Les prix excessifs des produits alimentaires ne les touchent
absolument pas. Quantité de dirigeants sont des élus rémunérés,
d'autres, des permanents municipaux rémunérés, ou des permanents
d'organisations politiques. Ils ne sont pas à plaindre socialement.
Pour eux, le prix des patates ou des fruits ne représente pas un
problème. Vers quoi vont-ils alors se tourner comme thèmes de
mobilisations de leurs « troupes » ? Des sujets qui
marquent moralement, qui accrochent : non pas le prix des patates,
mais tel conflit dans le monde. Le récit des malheurs du peuple
machin rempli les journaux télévisés. La souffrance du peuple truc
est proverbiale. Solidarité avec le peuple machin ! Ou bien : « ne
nous laissons pas envahir par les réfugiés du peuple truc qui
fuient un conflit et commencent à abonder à nos frontières ! »
Le peuple machin ou truc,
voilà des sujets qui mobilisent. Et pourquoi mobiliser ? Pour une
cause juste et généreuse ou injuste et égoïste ? En fait, ni l'un
ni l'autre, l'essentiel est que cette agitation augmente la
visibilité de ceux qui l'impulsent. Et leur confère... plus de
pouvoir. Le but en fait est là : augmenter son pouvoir. Et peu
importe au fond ce qui arrive aux peuples machin ou truc.
J'ai été étonné de
rencontrer cette manière de penser. Un jour, je me retrouve dans le
métro avec un groupe retour d'une manif. La manif a gagné. De quoi
parlent les manifestants ? De leur victoire ? Absolument pas. Un des
manifestants, visiblement un dirigeant, égrène avec délectation
toutes les réunions qu'il va à présent organiser. Et je sens que
pour lui, ce n'est pas la victoire qui lui importe, mais la masse de
réunions où... je l'ai compris treize ans plus tard, il sera « la
vedette ».
Une autre fois, dans une
cafétéria je me suis retrouvé à côté de deux militantes qui
parlaient de réunions tenues dans leur organisation. Une des deux
retraçait des confrontations survenues dans ce cadre avec un plaisir
qui révélait que, plus encore que les buts poursuivis, c'était la
position dominante obtenue par elle qui lui importait. Encore une
fois, la recherche du pouvoir motivait ici plus que les buts déclarés
de l'organisation.
Le plus étonnant que
j'ai rencontré fut dans une conférence. Un vieux militant racontait
une période militante politique de sa jeunesse très très dure,
avec tortures, tabassages, meurtres... pour finalement s'exclamer :
« ça était la plus belle période de ma vie ! » Comment
ça ? Une période ultra-violente, avec des meurtres, serait une
belle période ? Oui, parce que, sans s'en rendre compte, ce vieil
homme exaltait la période où il a eu de l'importance, était un
chef, encore une fois l'obsession du pouvoir et de sa jouissance.
Tant que la plupart des
dirigeants politiques poursuivront d'abord et avant tout la recherche
du pouvoir, il n'y a aucune raison qu'ils parviennent à faire
avancer les choses.
La recherche du pouvoir
est une maladie. Les hommes de pouvoir ne sont pas heureux. Mais il
leur est impossible le plus souvent de renoncer à leur drogue.
Louise Michèle disait
que le pouvoir corromps. Ce n'est pas tout à fait vrai. Certaines
personnes sont comme des sortes de porteurs sains du virus du
pouvoir. Dans certains cas la maladie se développe. Je l'ai vu dans
le cadre des associations à but non lucratif déposées selon la loi
de 1901. Il faut voir avec quelle gourmandise des messieurs d'un
certain âge s'adressent la parole entre eux : « Cher
Président »... Pour devenir président d'une association on
voit couramment des adhérents faire la guerre au président en
place. S'ils parviennent à leur but, ils peuvent se désintéresser
de l'association qu'ils ont traumatisé par leur combat. Et se
retirer en laissant crever l'association. Dans une très petite
association avec une poignée d'adhérents et presque pas d'argent en
caisse, les luttes de pouvoir peuvent se révéler acharnées,
furieuses, impitoyables... Alors, s'ils s'agit de grandes
organisations, de commander des états entiers, imaginez le genre de
catastrophes que ce genre d'appétit de pouvoir peut amener. Tant que
la maladie du pouvoir sera omniprésente en politique, rien
n'avancera vraiment. Et le problème du pouvoir est d'abord dans la
tête de la plupart des gens avant d'être ailleurs. Il est
malheureusement quasi général. À
chacun de savoir s'en débarrasser !
Basile, philosophe
naïf, Paris le 27 octobre 2015
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