Une publicité pour le
Musée de l'Homme que je voyais ces jours-ci dans le métro proclame
: « L'homme évolue, son musée aussi ». Ce discours
publicitaire est joliment construit. En revanche, si on le prend à
la lettre il représente une contre-vérité flagrante et
fondamentale. L'homme n'évolue pas, ou si on préfère, il n'a
autant dire pas évolué depuis des dizaines, des centaines de
milliers d'années. A la naissance, nous sommes rigoureusement pareil
aux petits singes humains de l'époque où aucun outil n'avait encore
été inventé. Et c'est cette contradiction entre notre humanité
naturelle et la culture humaine qui nous fait tels que nous sommes.
Le temps de transmission du savoir a créé le trouble majeur de
l'entrée et la sortie de l'enfance prolongée. La terreur intérieure
qui en résulte nous a amené à inventer quantité de trucages
intellectuels de fuite. Par exemple, nous imaginer vivant à une
époque passée. Ce trucage va nous faire adorer les objets anciens.
En les contemplant, les touchant, les collectionnant, vivant avec,
nous nous bercerons de l'illusion que nous ne sommes pas de notre
époque. Nous vivons en d'autres temps, loin de notre terreur
intérieure. C'est là l'explication du charme incompréhensible
que dégagent pour nous bien souvent les objets vieillots. Une
démarche exactement pareille sera de privilégier les objets
nouveaux, les objets sensés appartenir au futur. En nous en sentant
proches, pareillement, nous allons fuir le temps actuel où la
terreur intérieure nous terrorise. Collectionner est un moyen de
chercher à nier notre terreur intérieure. Le collectionneur se sent
appartenir à sa collection, en faire partie. Ainsi il se détache de
sa réalité à lui qui inclus cette terreur intérieure qui lui fait
peur. On peut collectionner beaucoup de choses. On peut ainsi par
exemple collectionner les territoires qu'on va conquérir, ou les
meurtres qu'on va commettre. Les conséquences de la collectionnite
peuvent être dramatiques.
Pour se convaincre
« qu'on n'est pas là » on va s'inventer des entités
imaginaires. « Dura lex, sed lex » disaient des Romains
de jadis. « La loi est dure, mais c'est la loi ». « Au
nom de la loi, je vous arrête ! » s'exclame le gendarme. Comme
s'il existait une chose, pourtant inventée par l'homme, qui se
trouverait au dessus de lui et le commanderait. C'est le culte de
« la loi ». Il existe également le culte du papier. Des
traces d'encre déposées au bas de morceaux de papier commanderaient
les hommes. On l'a vu avec la Grèce cette année. Les « traités
européens » devaient décider du sort des Grecs vivants. Soit
des morceaux de papier contenus dans des armoires devaient avoir le
pouvoir sur des humains vivants. C'est un discours absurde. C'est le
discours officiel adopté par les états. Les négociateurs grecs ont
assez rapportés comment à leurs arguments les représentants des
autres pays auxquels ils s'adressaient répondaient par des regards
abrutis et hallucinés. Seuls comptaient pour les hallucinés les
traités signés, au diable les arguments et les raisonnements quels
qu'ils soient ! La terreur intérieure de certains exigeait le
sacrifice des Grecs poussés dans la misère pour satisfaire au dogme
Moloch de la liberté totale d'exploiter les humains jusqu'à ce
qu'ils en crèvent : l'ultra-libéralisme. Jadis, dans certaines
cités, pour se convaincre de ne pas être concernés par leur
terreur intérieure, les élites sacrifiaient leur bien le plus
précieux. Ils mettaient à mort leur fils aîné offert à quelque
divinité barbare. On n'a pas changé. Sauf que le nom de la divinité
n'est plus à consonance étrange. Il se prononce ainsi :
« concurrence libre et non faussée », profit à tous
prix.
On a suffisamment dénoncé
ces temps derniers le fait qu'un groupe de quelques dizaines
d'individus possède autant que la moitié la plus pauvre de
l'Humanité, qui a faim. J'ai toujours entendu dire qu'il faut que la
liberté des uns s'arrête là où elle empiète sur celle des
autres. Pourquoi ne pas décider qu'il existerait un niveau de fortune
maximale autorisée ? Au dessus de celle-ci, la richesse reviendrait
à la collectivité ?
Ces fortunes gigantesques
nuisent au monde et ne servent pas ceux qui les possèdent. Si ce
n'est à les aider à oublier leur terreur intérieure en les convainquant qu'ils sont autre chose qu'eux-mêmes. Il doit
certainement exister des moyens de les rassurer qui nuisent moins à
l'intérêt public général.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 28 octobre 2015
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