mercredi 28 octobre 2015

441 L'homme n'a pas changé

Une publicité pour le Musée de l'Homme que je voyais ces jours-ci dans le métro proclame : « L'homme évolue, son musée aussi ». Ce discours publicitaire est joliment construit. En revanche, si on le prend à la lettre il représente une contre-vérité flagrante et fondamentale. L'homme n'évolue pas, ou si on préfère, il n'a autant dire pas évolué depuis des dizaines, des centaines de milliers d'années. A la naissance, nous sommes rigoureusement pareil aux petits singes humains de l'époque où aucun outil n'avait encore été inventé. Et c'est cette contradiction entre notre humanité naturelle et la culture humaine qui nous fait tels que nous sommes. Le temps de transmission du savoir a créé le trouble majeur de l'entrée et la sortie de l'enfance prolongée. La terreur intérieure qui en résulte nous a amené à inventer quantité de trucages intellectuels de fuite. Par exemple, nous imaginer vivant à une époque passée. Ce trucage va nous faire adorer les objets anciens. En les contemplant, les touchant, les collectionnant, vivant avec, nous nous bercerons de l'illusion que nous ne sommes pas de notre époque. Nous vivons en d'autres temps, loin de notre terreur intérieure. C'est là l'explication du charme incompréhensible que dégagent pour nous bien souvent les objets vieillots. Une démarche exactement pareille sera de privilégier les objets nouveaux, les objets sensés appartenir au futur. En nous en sentant proches, pareillement, nous allons fuir le temps actuel où la terreur intérieure nous terrorise. Collectionner est un moyen de chercher à nier notre terreur intérieure. Le collectionneur se sent appartenir à sa collection, en faire partie. Ainsi il se détache de sa réalité à lui qui inclus cette terreur intérieure qui lui fait peur. On peut collectionner beaucoup de choses. On peut ainsi par exemple collectionner les territoires qu'on va conquérir, ou les meurtres qu'on va commettre. Les conséquences de la collectionnite peuvent être dramatiques.

Pour se convaincre « qu'on n'est pas là » on va s'inventer des entités imaginaires. « Dura lex, sed lex » disaient des Romains de jadis. « La loi est dure, mais c'est la loi ». « Au nom de la loi, je vous arrête ! » s'exclame le gendarme. Comme s'il existait une chose, pourtant inventée par l'homme, qui se trouverait au dessus de lui et le commanderait. C'est le culte de « la loi ». Il existe également le culte du papier. Des traces d'encre déposées au bas de morceaux de papier commanderaient les hommes. On l'a vu avec la Grèce cette année. Les « traités européens » devaient décider du sort des Grecs vivants. Soit des morceaux de papier contenus dans des armoires devaient avoir le pouvoir sur des humains vivants. C'est un discours absurde. C'est le discours officiel adopté par les états. Les négociateurs grecs ont assez rapportés comment à leurs arguments les représentants des autres pays auxquels ils s'adressaient répondaient par des regards abrutis et hallucinés. Seuls comptaient pour les hallucinés les traités signés, au diable les arguments et les raisonnements quels qu'ils soient ! La terreur intérieure de certains exigeait le sacrifice des Grecs poussés dans la misère pour satisfaire au dogme Moloch de la liberté totale d'exploiter les humains jusqu'à ce qu'ils en crèvent : l'ultra-libéralisme. Jadis, dans certaines cités, pour se convaincre de ne pas être concernés par leur terreur intérieure, les élites sacrifiaient leur bien le plus précieux. Ils mettaient à mort leur fils aîné offert à quelque divinité barbare. On n'a pas changé. Sauf que le nom de la divinité n'est plus à consonance étrange. Il se prononce ainsi : « concurrence libre et non faussée », profit à tous prix.

On a suffisamment dénoncé ces temps derniers le fait qu'un groupe de quelques dizaines d'individus possède autant que la moitié la plus pauvre de l'Humanité, qui a faim. J'ai toujours entendu dire qu'il faut que la liberté des uns s'arrête là où elle empiète sur celle des autres. Pourquoi ne pas décider qu'il existerait un niveau de fortune maximale autorisée ? Au dessus de celle-ci, la richesse reviendrait à la collectivité ?

Ces fortunes gigantesques nuisent au monde et ne servent pas ceux qui les possèdent. Si ce n'est à les aider à oublier leur terreur intérieure en les convainquant qu'ils sont autre chose qu'eux-mêmes. Il doit certainement exister des moyens de les rassurer qui nuisent moins à l'intérêt public général.

Basile, philosophe naïf, Paris le 28 octobre 2015

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