Durant plus de seize
années, j'ignorais absolument ce que l'on baptise fréquemment « les
frayeurs existentielles ». Je me souviens parfaitement, par
exemple, qu'étant enfant et montant dans une rame de métro
parisien, il m'est arrivé plus d'une fois de me dire : « dans
100 ans toutes les personnes présentes dans ce wagon seront mortes.
Comme c'est curieux. » Je trouvais ça curieux, mais sans plus.
Et puis, au tout début de l'année 1968, j'allais sur mes 17 ans,
voilà que soudain une pensée absolument terrorisante me vient :
« je vais fatalement mourir un jour, n'existerais plus, ne
penserais plus ». Et voilà que cette terreur me prends. Me
reprends. Me re-reprends. Impossible de me défaire de cette pensée
glaçante. Je n'ose pas en parler. Me dis finalement : « je
deviens fou. » Comme ma famille se soigne à l'homéopathie, je
cherche le remède dans un petit livre qui indique toutes sortes de
problèmes de santé avec les médicaments homéopathiques
correspondants. En identifie un qui doit correspondre à mon problème
: le Stramonium. Je demande à ma mère de me l'acheter, sans
lui dire pourquoi. Le prends. Ça à l'air de s'arranger. Mais, par
la suite, ces frayeurs me reviendront, par périodes d'une semaine
environ. Puis passeront à chaque fois. Ce problème durera durant
bien des années. Jusqu'à ce que je devienne croyant et m'en
débarrasse en 1983. Ce qui signifie que du début 1968 jusqu'en 1983
ces frayeurs m'ont pourri la vie à un certain nombre de reprises
avant que ça cesse. J'ai raconté cette histoire dans mon blog en
novembre 2012.
Chose nouvelle, je me
suis posé la question il y a quelques jours : mais pourquoi
précisément les manifestations de cette frayeur ont commencé à ce
moment de ma vie, soit vers mes 17 ans ? La réponse à présent me
paraît évidente. Cette frayeur en dissimulait une autre bien plus
forte : celle de la sortie de mon enfance prolongée. Une frayeur si aveuglante que les humains l'habillent avec autre chose qui
leur fait très peur, mais moins : ici, la mort. Ailleurs, ça pourra
être autre chose.
Toutes sortes de peurs
terrifiantes épousent ainsi notre terreur intérieure qui en prend
le visage terrifiant mais moins que la terreur intérieure vue
directement. Cet habillage peut être partagé avec un nombre très
important de gens. Ainsi, il y a de nombreux millions de gens qui
tremblent en croyant être effrayés par « la mort ».
Alors qu'il s'agit en fait de la sortie de leur enfance prolongée qui
les tourmente et dont ils n'ont pas conscience. C'est vrai y compris
pour des chefs d'états, des responsables économiques, des
célébrités diverses. Dans le livre qu'elle a consacré à sa
liaison avec l'actuel chef d'état français, Valérie Trierweiler
explique, je crois à la page 170, que son ex amant a une trouille
carabinée de la mort et des maladies graves et des malades atteints
de ces maladies. Ce passage m'a frappé. J'en ai un peu parlé autour
de moi. La réponse que j'ai reçu était : « il a peur de la
mort ? Mais comme tout le monde ! » Cette réponse est
partiellement vraie : la peur en question est effectivement en
apparence partagée par quantité de gens. Mais elle dissimule en
fait la vraie terreur : la terreur intérieure suscitée par la
sortie de l'enfance prolongée. Si on se contentait de chercher
comment on ressent la vie, elle nous apparaîtrait pour ce qu'elle
est : rassurante et sans fin. C'est ainsi que les petits enfants
souvent la perçoivent objectivement. C'est ainsi que je la percevais
spontanément durant presque 17 ans.
Quand la terreur
intérieure veut s'exprimer en nous, elle prend des sortes de
déguisements, qui vont nous entraîner à des conduites absurdes
auxquelles nous serons passionnément attachés sans même chercher à
savoir pourquoi. Par exemple, on commencera à éviter soigneusement
de marcher dans la rue sur tout ce qui ressemble à une plaque
d'égout. On se dira pour se justifier : « mais ainsi j'évite
par avance de marcher un jour sur une plaque qui va m'engloutir ».
Et ce délire discret va s'installer. Comme un autre auparavant se
sera installé. Oh ! Rien de bien grave : compter ses pas. On
commencera à se dire : « si avant que la voiture qui arrive au
bout de la rue me dépasse j'ai fait cinq pas, ce sera bien ».
Alors, on compte ses pas : « Un, deux, trois, quatre, cinq, ouf
! La voiture me dépasse. » Mais voilà qu'à un autre moment,
elle est passée avant le nombre de pas réglementaire. Alors on se
dit : « ça ne fait rien, ça va s'arranger si la personne qui
marche juste près de moi dans le métro, je la dépasse d'au moins
trois pas. » « Un, deux, trois... voilà, c'est
arrangé. » Mais déjà, bien avant, on a débuté un autre
trouble : l'accumulation d'objets. On conserve des choses
encombrantes qui ne servent à rien et rendent la vie, voire même la
circulation difficile dans son habitation. Et tous ces troubles, on
n'a aucune conscience de leur existence. On n'en parle pas. On s'en
donne des explications fausses. Et, chose plus grave, on s'enferme
dedans. On s'isole. Jusqu'au jour où, éventuellement, on peut en
prendre conscience quand ils prennent un tour aigu et cliniquement
visible. Alors, on se renseigne, et on apprend qu'on a « des
TOCS ». Ce qui signifie : « Troubles obsessionnels
compulsifs ». Il s'agit d'un trouble psychiatrique. Les
médecins cherchent à vous en soulager. Mais les TOCS sont en fait
beaucoup plus répandus qu'on ne le pense.
Les TOCS épousant la terreur intérieure sont la forme-même de pensées d'innombrables gens, et causent des dégâts extraordinaires. La base-même de quantité de décisions dévastatrices en économie et en politique sont des TOCS partagés. Ainsi, il en est aujourd'hui de « la dette » et « l'austérité ».
Les TOCS épousant la terreur intérieure sont la forme-même de pensées d'innombrables gens, et causent des dégâts extraordinaires. La base-même de quantité de décisions dévastatrices en économie et en politique sont des TOCS partagés. Ainsi, il en est aujourd'hui de « la dette » et « l'austérité ».
On a vu cette année
comment s'est organisée la suite du martyre de la plus grande partie
du peuple grec. Elle est poussée dans une dramatique misère par la
volonté forcenée de dirigeants financiers et politiques grecs ou
« européens » et autres de faire à tout prix payer une
absurde et odieuse dette. Pour ramasser des milliards d'euros qui ne
serviront à rien, on va, par exemple, affamer les retraités grecs,
faire croître toujours plus le taux de la mortalité infantile en
Grèce, pousser au suicide un tas de malheureux Grecs... Mais,
pourquoi un tel acharnement sadique ? À
cause de TOCS.
Payer « la dette » est-ce si vital que ça ? Regardons ce qui s'est passé avec la
dette de deux pays : l'Islande et l'Équateur. En Islande, petit pays de 323 002 habitants, ils ont refusé de payer une dette
absurde et colossale. Ils ont chassé leurs gouvernants et même mis
des banquiers en prison. Résultat : aujourd'hui il n'y a plus de
dette, le pays va bien et l'Islande n'est pas pour autant mis au ban
des Nations. Avec l'Équateur, la sortie de la dette est passée par
des élections. Le nouveau président, Rafael Correa, a dit aux
créanciers : « je ne paie rien comme prévu. Vos titres de
dette dans ces conditions ne valent rien. Je vous les rachète à
30 % de la valeur qu'ils avaient officiellement. » Et les
créanciers pingres, plutôt que conserver des titres qui ne valent
plus rien ont accepté. L'Équateur a racheté tous les titres de sa
dette. Il n'y a plus de dette. Tout va bien. Sauf, sans doute, pour
les sanguinaires créanciers qui ont « perdu » 70 % de ce
qu'ils croyaient posséder.
Rafael Correa, qui est
économiste, a donné le 6 novembre 2013 une conférence-débat à la
Sorbonne à Paris. A la question de ce qu'il faut faire avec la
dette, il a répondu en souriant : « d'abord, il ne faut pas
suivre les conseils du Fond Monétaire International. »
Qu'ont fait les
dirigeants grecs qui ont été élus le 25 janvier 2015 pour en
finir avec l'austérité ? Exactement le contraire, et comment ça
s'est passé ? La politique ici montre son visage, qui relève
souvent de la psychiatrie. Car, cette austérité sans issue ne sert
à rien. Si ce n'est à satisfaire les TOCS partagés entre un
certain nombre de personnes : dirigeants et peuples.
Les dirigeants financiers
et politiques favorables et inconditionnels de la dette, et de
l'austérité qui lui est liée, sont ici attachés par leurs TOCS à
une doctrine : l'ultra-libéralisme, la concurrence libre et non
faussée, l'accumulation absurde et infinie de milliards d'euros qui
ne serviront à rien. Cependant que des peuples entiers sombrent dans
une misère artificiellement provoquée. Et qu'en est-il ici des
dirigeants grecs ? Ils sont, hélas pour le peuple grec, attachés
par leurs TOCS au fonctionnement des institutions européennes et à
l'euro, qui n'est qu'une monnaie. C'est-à-dire juste un outil plus
ou moins bon et rien de précieux ou irremplaçable.
Après que le 27 juin
2015, le ministre des finances grec Yanis Varoufakis se voit foutre à
la porte de l'Eurogroupe qui va se réunir sans lui, que dit-il ? Que
fait-il ? On lui a mis le pied au cul, pour lui signifier que les
règles on s'en fout, l'essentiel est de vous écraser. Yanis,
congédié comme un pas grand chose geint alors faiblement : « on
va voir si c'est légal ». Alors qu'il faudrait répondre aux
fouteurs de pied au cul : « vous vous en foutez des règles ?
Alors, nous aussi, on nationalise nos banques et on cesse de vous
obéir ! »
Puis, la nuit du 12 au 13
juillet 2015, se déroule ce qu'on a appelé « la négociation »
entre le chef du gouvernement grec et les 18 autres chefs d'états
« européens ». Cette séquence met en scène 18
personnes atteintes d'un TOC : l'attachement absurde à l'austérité,
la dette, l'ultra-libéralisme. Et un dirigeant grec atteint d'un TOC
différent : l'attachement passionnel au fonctionnement des
institutions européennes et à l'euro. Le résultat est connu : au
bout de 17 heures il finit par capituler.
Et le peuple grec dans
tout ça ? Une proportion importante de celui-ci souffre également
d'un TOC partagé avec ses dirigeants : l'attachement à l'euro.
Aujourd'hui, parmi les
tenants les plus passionnés de l'austérité on trouve un homme
d'état. Avec lui, inutile de chercher sa motivation principale dans
la vie. Jeune, beau, riche et sportif, il a réalisé quand il était
lycéen le fantasme d'une multitude de ses camarades : il a dragué
sa prof. Mieux, il l'a même par la suite épousé. C'est son droit.
Ça exprime aussi ici le fait qu'il a traduit sa terreur de sortie de
l'enfance prolongée en y restant, d'une certaine façon.
On a très longtemps
cherché quelle était la base de la politique et de l'économie. Par
exemple existait au seizième siècle en Angleterre une théorie qui
expliquait l'Histoire par les rois et leur succession. Marx a parlé
de « la lutte des classes », etc. Mais, à la base de
l'Histoire on a en fait le processus suivant :
Au départ, comme toutes
les autres espèces animales, l'homme dispose pour se mouvoir dans la
vie de son instinct. Vue la catégorie d'animaux à laquelle il
appartient, les grands singes solidaires allant en groupe et capable
de mordre, il n'a pas de prédateurs. Seuls les petits humains
pourraient servir de proies aux fauves. Mais les petits humains sont
justement dotés de la capacité de courir très vite pour, en cas de
dangers, rejoindre le groupe et se placer sous sa protection. Les
petits humains qui, dès l'âge de quatre ans environ, sont autonomes
au sein du groupe, car capable de se nourrir seul.
Le « progrès »,
l'industrie humaine naîtra comme le produit du jeu. La naissance de
l'industrie fera apparaître trois choses : le savoir, le savoir
erroné ou erreur, et l'absence de savoir, l'ignorance. La
transmission du savoir suscitera un trouble majeur chez les humains :
l'enfance prolongée. Il faut du temps pour assimiler le savoir
acquis par les humains. La sortie de l'enfance prolongée, comme
l'entrée dans celle-ci, sera l'origine de la terreur intérieure.
Les humains seront incapacités par elle. Cette terreur intérieure
se traduira par des TOCS, dont beaucoup prendront un caractère
collectif et dévastateur. Il en est ainsi, par exemple, aujourd'hui de
l'attachement de millions de gens au système
austéritaire ultra-libéral et à l'argent. Un attachement
totalement irrationnel, dont les conséquences vont en s'aggravant.
Il y a de plus en plus de pauvres de par le monde, alors que le monde
n'a jamais été aussi riche. Les différents penseurs politiques et
économiques, les acteurs politiques et économiques, sont limités
par leurs TOCS pour percevoir la réalité. Ainsi, en 1872, Karl Marx
a vu l'Association internationale des travailleurs à laquelle
il contribuait, lui échapper. Avec d'autres, il l'avait créée pour
parvenir à une société émancipée de tous les pouvoirs. Mais,
souffrant du TOC du pouvoir, Marx avec ses amis ont alors intrigué
pour créer une nouvelle association internationale dont ils
resteraient les chefs et leaders. Plus tard, en 1914, la
quasi-totalité des différentes sections de cette nouvelle
association ont abandonné le combat émancipateur pour lui préférer
la guerre. Et ainsi de suite, quand on veut améliorer le monde, les
TOCS vous rattrapent à chaque fois. Si on veut vraiment
faire avancer le monde, il faut commencer par prendre conscience des TOCS. Et s'en débarrasser au profit de l'amour du genre humain. En
politique, quoi de neuf ? Jésus !!
Basile, philosophe
naïf, Paris le 25 octobre 2015
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