J'ai lu il y a des années
que si une fourmi se retrouvait isolée de sa fourmilière, elle ne
survivait pas. Et celui qui rapportait le phénomène s'interrogeait
: « les fourmis sont-elles des êtres indépendants ou des
parties d'un ensemble ? » La même question à mon avis peut
être posée à propos des humains. On vante souvent aujourd'hui
l'individualisme. Mais sommes-nous à proprement parlé si
« individuel » que ça ? Isolé des autres humains,
survivons-nous ? Et même pensons-nous vraiment individuellement ?
Je me suis posé la
question il y a deux jours. Une réunion venait de s'achever où
divers participants dont moi avaient pris la parole. Je réalisais subitement
que j'avais oublié de préciser au public une chose importante. Il
m'aurait alors suffit d'alerter d'une voix forte l'assistance. Mais,
inexplicablement, je me suis senti sans force, incapable de réaliser
cet effort pourtant minime. Je me suis demandé pourquoi une telle
subite impuissance ? L'explication m'est apparut alors d'évidence :
« les derniers orateurs avaient insisté deux ou trois fois sur
le fait que le débat était clos. Qu'on avait dit « le mot de
la fin ». Et alors je me trouvais entouré par quelques
dizaines de personnes persuadées que la réunion, le débat était
terminé. Qui le pensaient ensemble à cet instant. C'était cette
pensée collective qui m'avait paralysé, ôté l'énergie pour
intervenir.
Cette pression n'était
peut-être pas que psychologique ? Les pensées des personnes
m'entourant agissaient-elles directement sur moi ? J'avance cette
hypothèse. Le cerveau des gens, ou du moins le lieu où se forment
nos pensées et qu'on considère généralement comme le cerveau,
enverrait des ondes. Ceci expliquerait beaucoup de phénomènes.
Quand on se retrouve dans
une grande ville en pleine nuit, Paris par exemple, on ressent
souvent une impression de calme étrange. Bien sûr, quantité de
bruits ne se font pas entendre, l'activité est moindre. Mais ne
serait-ce pas aussi le fait que dorment autour de nous des millions
de gens ?
Dans les sectes, on voit
des gens raisonnables en temps normal croire des absurdités débitées
par leurs chefs. Ne serait-ce pas là l'expression de l'influence de
pensées identiques dans un lieu fermé, la secte ? Nous ne serions
pas en fait des créatures individuelles mais des parties d'un
ensemble. Et ici nous n'échapperions pas à ce phénomène. Au point
de voir accaparer nos pensées par un groupe malade : la secte.
En 2015, nous avons vus
le gouvernement grec d'Alexis Tsipras commencer par dénoncer
l'austérité et ses plans. Puis s'y rallier et s'en faire le
serviteur zélé. On pourrait alors s'interroger ainsi : est-ce une
faute ou une félonie ? La réponse est peut-être ailleurs. Le
peuple grec souhaitait ne pas quitter l'Europe et l'euro. Ce choix,
qu'il en ait conscience ou non, impliquait cette capitulation. Si
on admet l'hypothèse de l'émission d'ondes produites par la pensée,
les dirigeants grecs se sont retrouvés à la fin dans l'incapacité
complète de s'opposer à l'austérité. Pour qu'ils puissent s'y
opposer, il aurait fallut que le peuple grec nourrisse d'autres
pensées.
Le même phénomène
interviendrait dans les autres pays. Les dirigeants seraient
influencés par la pensée collective de millions de citoyens.
Résultat : même quand ce sont des personnes compétentes et
intelligentes, elles suivraient y compris des politiques absurdes et
suicidaires.
Le problème numéro un
de l'Humanité aujourd'hui est la sur-accumulation de « richesses »,
c'est-à-dire essentiellement d'argent. Selon OXFAM France 62
individus possèdent autant que la moitié la plus pauvre de
l'Humanité soit trois milliards de personnes. Le Crédit suisse cité
dans un article sur l'Inde paru dernièrement dans La Stampa,
journal italien, précise que un pour cent des habitants de l'Inde
possède cinquante-huit pour cent de la richesse du pays. Cette
accumulation absurde d'argent tue l'économie. Mais presque toute la
population adore l'argent, le place au dessus de tout, en fait sa
valeur suprême. Dans ces conditions comment les dirigeants
politiques, économiques, financiers du monde pourraient-ils se
détacher de cette façon de voir les choses ? C'est impossible !
La pensée collective
guiderait le monde, y compris vers sa perte. Et rendrait des plus
difficiles, voire impossible, même rien que l'énoncé de solutions
pour y remédier.
Essayez-donc d'échapper
à la pensée collective. Par exemple de dire que vous avez choisi de
vivre seul et refusez l'idée de vous mettre « en couple ».
On vous traitera d'égoïste, de malheureux, de quelqu'un qui n'a pas
encore « rencontré la bonne personne ».
Avisez-vous de dire que
vous ne souhaitez plus avoir quelque activité sexuelle que ce soit.
On vous regardera de manière bizarre. Ou on vous demandera si vous
n'avez pas une orientation sexuelle refoulée, par exemple :
l'homosexualité, que vous n'assumez pas.
On vous demandera aussi
si vous êtes « contre le sexe » ou « pour le
sexe », pour ou contre « le mariage ». Mais au fond
il n'y a rien à faire qui puisse vous permettre de convaincre le
plus grand nombre de vos positions « non conformistes ».
Aux yeux de la masse des gens, vous avez le droit de renoncer au
piano, à la confiture, au jogging, mais pas au sexe, ou à « la
vie à deux ».
La pensée collective
règne et impose sa dictature. Elle empêche toutes formulations
iconoclastes ou en défigure le sens. Depuis un certain temps je suis
sorti de l'ultimatum : caresse entre adultes égal sexe. J'arrive à différencier
le sexe masturbateur qui utilise l'autre pour se masturber du sexe
authentique. Mais impossible d'énoncer une autre vision du monde que
celle régnante. La pensée collective refuse de voir affirmer une
autre conception des rapports humains que la sienne. J'ai
l'impression d'avoir face à moi des murs. Pourtant il doit bien y
avoir d'autres personnes qui souhaitent sortir de l'ultimatum
tendressicide, câlinicide : caresses entre adultes égal sexe.
Les murs sont formés par
la masse des gens qui acceptent l'idée que la tendresse entre adultes est
forcément le préliminaire de l'acte sexuel. Que celui-ci peut se
décider indépendamment du désir authentique et véritable.
Mais les murs s'ils ne
peuvent pas être culbutés, peuvent être progressivement rongés.
Avec le temps, ce système s'effondrera. Il a fait de l'acte sexuel
l'acte de mariage, de son renouvellement régulier l'attestation de
la continuité de la relation. Ce discours prendra fin un jour, car
il n'est ni authentique ni supportable. La bêtise et le commerce
soutiennent la pensée collective. Il est facile de s'y rallier si on
ne souhaite pas voir bousculer les certitudes fausses et rassurantes
dans le domaine des mœurs et de l'amour.
Par millions se comptent
les victimes de la situation faite à l'amour. L'intempérance
alcoolique tue cinquante mille Français par an. Le tabac en tue
autant. Un mort par an sur cinq en France est victime de l'alcool ou
du tabac. Les suicides, conduites à risques, font combien de victimes
chaque année ? La situation faite à l'amour est pour beaucoup dans
toute cette hécatombe.
Un enseignant me disait
hier avoir beaucoup de très jeunes filles très dures parmi ses
élèves. Mais, face à presque cent pour cent de jeunes hommes qui
les traitent comme des trous à branlettes, qui sont des drogués
endorphinomanes de la masturbation, comment ces filles ne pourraient
pas devenir dures ? Une chanson de Pierre Perret dit que « le
trois-quart des hommes sont des salauds ». Il serait plus juste
de dire « plus du neuf dixièmes ». Pour sortir de la
pensée collective actuelle, il faudra beaucoup de temps et
d'efforts. Nous sommes très loin du bout du chemin. Les prairies
ensoleillées de l'amour et la liberté sont-elles encore très loin
? Il faudra bien répondre un jour à cette question.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 10 décembre 2016
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