La peur en héritage
est un des plus surprenants et omniprésents phénomènes qu'on rencontre chez les humains.
« Tous les hommes
sont frères », « aimes ton prochain comme toi-même »,
« aimez-vous les uns les autres »... si ces concepts ont
eut un si formidable écho depuis qu'ils ont été avancé, c'est
parce qu'ils répondent exactement à une réalité fondamentale de
l'être humain. Il n'est pas seulement bon et sympathique de s'aimer
les uns les autres, c'est également un besoin fondamental propre à
l'espèce humaine et ancré au plus profond de chacun de nous.
Cependant, ce besoin est mis à mal ô combien et gravement de très
multiples manières. Les contradictions sociales, les oppositions
culturelles qu'elles entraînent, amènent à de très fréquentes
occasions les humains à des comportements inverses à ceux leur
correspondant. Guerres, indifférences, hostilités, intolérances
diverses sont le lot quotidien de très nombreux humains...
Ces nuisances très
graves perturbent la vie humaine. Elles sont tellement étrangères,
affreuses, troublantes, opposées à la réalité de l'être humain,
qu'elles entraînent avec l'incompréhension, un sentiment de peur.
Le problème qui s'ajoute à ce sentiment, c'est que souvent il se
transmet en héritage. Élevés par des humains apeurés, nous
acquérons cette peur, sans les éléments qui l'ont causé. Alors,
cette peur d'origine incompréhensible et obscure va susciter en nous
ses faux justificatifs intellectuels. Nous avons peur tout le temps,
mais de quoi au juste ? La pensée va venir attribuer un motif
logique et personnel à une peur parasite d'origine extérieure et
étrangère.
Voyons quelques exemples
:
Si nous avons peur, nous
dirons-nous, c'est de tomber malade... ou d'avoir un accident. Ou que
quelqu'un de cher tombe malade, ou ait un accident. Il n'y a aucune
raison de le penser spécialement, mais pourtant, de manière absurde
nous allons cultiver cette peur. Ou bien encore la peur de nous
suicider ou que quelqu'un de cher se suicide. Et cela sans aucune
raison valable justificative. Je connais bien quelqu'un, appelons-le
A, qui s'imagine dès qu'un ami s'éloigne que celui-ci a connut un
accident mortel... Si A éprouve une légère douleur à la poitrine,
ça y est, c'est une menace immédiate de mort cardiaque. Quand on se
moque du caractère absurde d'une de ses peurs, A refuse de se
critiquer et paraît être très attaché à ce sentiment qui le
tourmente. Ses peurs sont en quelque sorte identitaires,
indispensables car liées à lui. L'angoisse le fait souffrir, mais
il y tient absolument. Et quand quelqu'un de proche est vraiment
gravement malade, A s'empresse de minimiser sa maladie et affirmer
qu'elle sera facilement guérie.
Ce comportement a une
origine qui n'a rien n'a voir avec son emballage intellectuel. A a
hérité d'une peur. Sa mère, qui l'a élevé, a connu des années
très dangereuses et difficiles durant la guerre qu'elle a connu dans
les années 1940. La peur panique de ce qu'elle a vécu, elle l'a
transmise à son fils, né après la fin du conflit.
Quand la peur est là, sa
victime cherche à y échapper de façon parfois totalement absurde,
nuisible, dangereuse. Avec l'amour sous une forme maladive et
caricaturale... ça donne une recherche frénétique de la protection
de « l'amour », mais quel « amour » ? De quoi
s'agit-il ?
B est une jeune femme
dotée de toutes les qualités possible, qui se retrouve
régulièrement amoureuse d'hommes méprisables et manipulateurs.
Pourquoi ce paradoxe ? B est la fille de C.
C est née après la
guerre. Elle a été élevée par des parents qui ont très
douloureusement vécu le conflit. Ils ont transmis leur peur à C.
Résultat, quand on visite la maison de C, on croirait visiter un
mémorial de la guerre. Les livres sur cette période abondent... et
en extension, les livres sur d'autres conflits qui l'ont précédé.
Ce mémorial apparaît aussi dans les propos et sujets d'intérêts
de C. J'ai envie, devant ses sujets d'intérêts sinistres de lui
dire : « mais, enfin, la guerre est terminée depuis
soixante-dix ans ! » Mais cela ne servirait à rien. C s'est
choisie de plus des conflits existants en ce moment, loin de chez
elle et les faits siens. Elle ne sort pas de la situation
conflictuelle. Cette peur, héritée de ses parents, elle l'a
communiqué à B, sa fille. B, pour échapper à cette peur va
chercher... une protection.
Celle-ci prendra pour
expression intellectuelle... l'« amour ». C'est-à-dire
la protection d'un homme aimé, modélisé sur... son père. Un
excellent père pour elle, mais absolument pas à l'image d'un mari
lui convenant. B va enchaîner les « échecs amoureux »,
qui sont en fait l'expression de tout à fait autre chose que la
recherche de « l'amour », mais l'expression de la peur
qu'elle a reçu en héritage, des décennies après la guerre. Elle
est une victime de guerre née après la guerre.
La perpétuation de la
peur transmise sur plusieurs générations m'est apparut éclatante à
deux reprises, au contact de représentants de la vieille noblesse
française. Celle-ci a été massacrée il y a plus de deux siècles,
au cours des années 1790...
Il y a une quinzaine
d'années, je rencontre un jeune étudiant qui me donne son nom. Je
l'identifie aussitôt comme le représentant d'une antique famille
noble remontant au temps des Croisades. Chose qu'il me confirme.
Ajoutant qu'il héritera un jour d'une bague qui se transmet dans sa
famille de générations en générations depuis le quinzième
siècle. Quelques temps après, je l'aperçois parmi ses camarades et
l'appelle par son nom. Il prend un air effrayé et me prie de
l'appeler autrement, d'un nom abrégé qui ne laisse pas voir son
origine noble. A une autre occasion, j'ai rencontré une dame dont
j'ai reconnu la titulature. C'était une princesse. Elle m'a demandé
d'éviter de l'appeler avec son nom entier, mais avec un nom abrégé
anodin ne rappelant pas ses origines. Et pourquoi donc ? Parce que,
c'est mon explication, depuis la période des années 1790 où leurs
ancêtres étaient massacré comme nobles, ils ont hérité de la
peur. Elle est passé de générations en générations.
Cette peur était
certainement plus vivace en 1871. Quand des nobles ont vu se dresser
la Commune de Paris qui se réclamait de la Révolution française,
ils sont devenus enragés contre elle. Un des ordonnateurs de la
répression de la Semaine sanglante s'appelait le Marquis de
Galiffet.
Un trouble extrême
entraîné par l'héritage de la peur est la volonté absurde de se
protéger en accumulant le plus d'argent possible, qu'on ne sera pas
en capacité de dépenser. C'est la chrématistique. Elle fait des
ravages gigantesques. C'est un fléau qui menace aujourd'hui la
survie de l'Humanité.
Il arrive, très
rarement, qu'on croise une personne qui paraît épargnée par
l'héritage de la peur. Ce qui frappe alors, c'est son extraordinaire
joie de vivre.
Toutes choses
inhabituelles, même totalement inoffensives, réveille la peur chez
ceux qui en ont hérité. J'ai vu ainsi des personnes très dérangées
par mon obstination à faire renaître le Carnaval de Paris. Projet
sympathique et pacifique... mais projet inhabituel, donc dérangeant.
Tout ce qui est différent
de l'habituel entre en accord avec la peur et entraîne ostracisme,
rejet, hostilité. Y compris vis-à-vis d'actes sans conséquences
mauvaises ou importantes. Dans les grands magasins parisiens se vendait dans
les années 1920-1930 des parties de service à thé en porcelaine
pour remplacer des pièces cassées. Ma mère eu la facétie
d'acheter un service formé de pièces dépareillées et servir le
thé avec chez ses parents. Ce qui fit une impression horrible aux
invités, et entraîna très vite la disparition du service. Ma mère
avait, avec cette petite blague, réveillé la peur.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 23 décembre 2014
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