lundi 28 janvier 2013

82 Société à l'envers et fête à l'endroit


Quand on consulte des écrits d'érudits qui cherchent à donner un sens au Carnaval, on trouve fréquemment la référence faite à « l'inversion des valeurs ». Le Carnaval serait « la fête à l'envers ». Elle poursuivrait une tradition rencontrée déjà dans les Saturnales de la civilisation antique romaine où l'esclave prenait momentanément la place du maître durant la fête.

Je propose une vision inverse de la chose. C'est la société qui marche sur la tête. Le Carnaval, lui, remet momentanément le monde à l'endroit.

Que sont les « grands de ce monde » ? Des hommes comme vous et moi, avec des cheveux, des ongles, des dents, un œsophage... Pourtant, nous sommes bombardés en permanence de textes, propos et images agressives qui cherchent à en faire plus que des hommes. Ce qui fait qu'on éprouve de la difficulté à imaginer Vladimir Ilitch Lénine, illustre fondateur du Communisme, ou Sa Sainteté le Pape, en pyjama, assis sur la cuvette des WC en train de déféquer.

En 1980, je disais à un jeune et gentil Anglais qu'à mon avis le prince et la princesse de Galles, avant d'être prince et princesse, étaient des êtres humains comme lui et moi. A quoi il me répondait : « je ne suis pas d'accord. »

En 2011, j'assistais au défilé militaire du 14 juillet depuis une tribune dont l'accès se faisait sur invitations. Pour une raison inconnue j'en avais reçu une. J'ai vu passer de près le président de la République. A la fin du défilé, il est repassé, dans une voiture plus discrète. Près de moi, un homme était littéralement en extase : « j'ai vu passer le président de la République ! J'ai vu passer le président de la République ! Il m'a salué de la main ! » répétait-il très excité. On a tout à fait le droit d'admirer le président. Mais est-ce une créature merveilleuse ou un homme ?

On voit ici que le simple être humain promu chef d'état, d'Église ou d'idéologie, se métamorphose aux yeux de certains en une sorte d'être supérieur à l'homme.

Or, qu'arrive-t-il au Carnaval ? Grâce au déguisement, tout le monde peut changer de sexe, identité, rang, grade, couleur de peau, culture, nationalité. On a libre accès à toutes ces caractéristiques. En fait, en agissant ainsi, on nous ramène tous à la seule identité réelle : humain et pas plus.

Le théâtre social où le président, le roi ou le pape habite une maison trop grande, c'est-à-dire un palais, suggérant ainsi qu'il est très très grand, s'évanouit au moment du Carnaval.

Ce que révèle cette fête, c'est que le monde marche à l'envers et la fête marche à l'endroit.

On comprend pourquoi les rois, chefs et autres bénéficiaires de l'ordre habituel régnant n'aiment pas le Carnaval. En Allemagne, par exemple, là où il existe, c'est l'occasion pour les chansonniers de se moquer des hommes et femmes politiques en place, devant une foule de carnavaleux en train de boire joyeusement de la bière dans d'immenses salles. Les hommes et femmes politiques ont beau faire comme s'ils aimaient le Carnaval. En fait ils le détestent. Le maire de Münich est un exemple. Il y a quelques années, il venait faire risette aux organisateurs du Carnaval. Mais quand ces derniers voulaient organiser un défilé, il faisait savoir par ses services qu'un tel défilé nécessitait de suspendre le trafic des trolleybus et les remplacer par des autobus. Conclusion : il fallait que les organisateurs du défilé règle une facture faramineuse pour faire venir et circuler ces autobus dans la ville le temps du défilé. Faute de moyens financiers, ceux qui voulaient organiser le défilé y renonçaient. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de l'hostilité des politiques envers le Carnaval.

Basile, philosophe naïf, Paris le 28 janvier 2013

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