jeudi 3 janvier 2013

46 Un gigantesque fléau nous ravage : le hamsterisme


Probablement peu de Parisiens savent que le mot « magasin » est d'origine arabe. Il vient du mot arabe makhâzin, pluriel de makhzin, qui signifie « entrepôt » ou « bureau ». Au nombre des magasins parisiens les plus prestigieux, il y a, bien sûr, les Grands Magasins.

J'en ai connu deux qui ont aujourd'hui disparu : les Grands Magasins du Louvre et La Samaritaine. Les premiers ouvrirent en 1855, sous le règne de Napoléon III, et disparurent en 1974. Les seconds, ouverts en 1869, furent fermées en 2005 sous prétexte de travaux de sécurité. En fait pour permettre une opération immobilière. La même raison qui a fait disparaître les Grands Magasins du Louvre, qui ont laissé la place à des bureaux et aux très chics magasins du Louvre des Antiquaires.

Les Grands Magasins du Louvre présentaient une particularité attachante. Ils étaient silencieux. Quand on y entrait, c'était un oasis de calme. Par terre, la moquette étouffait le bruit des pas. Et aucun haut parleur ne venait vous agresser avec de la musique ou des slogans publicitaires.

Les Grands Magasins comportaient il y a plusieurs dizaines d'années une quantité extraordinaire de vendeurs. Si on s'y promenait et on avait le malheur de s'arrêter momentanément près d'un rayon, presque aussitôt un vendeur ou une vendeuse vous abordait pour vanter sa marchandise. Ma mère, qui n'avait pas un sou, et se promenait avec moi dans les Grands Magasins, avait horreur de ça.

Un jour, ça devait être dans les années 1970 ou 80, j'ai lu dans le journal que le propriétaire du Bazar de l'Hôtel de Ville, le célèbre BHV, était mort. Et, suite à cela, on vendait et dispersait aux enchères une fabuleuse collection de meubles de style qu'il avait accumulé tout le long de sa vie. Cette information m'a rendu mélancolique, car je me suis dis alors :

« Et dire que, durant des dizaines d'années, des centaines d'employés du BHV sont venus travailler, courant sous la pluie les jours d'hiver, se levant le matin quand ils étaient crevés, se faisant engueuler par leurs chefs, s'ennuyant des journées entières à leur travail, pour... bien sûr, gagner leur vie, faire marcher le magasin, mais aussi pour qu'un monsieur qu'ils ne connaissaient pas puisse satisfaire son désir futile d'accumuler un tas de meubles très chers qui, à présent, vont être dispersés. Tout ça pour ça. Tous ces efforts, ces soucis, ces ennuis pour mettre ensemble une masse d'objets qui vont être à nouveau séparés ! »

A quoi leur sert leur argent, aux très riches ?

Il peut servir à accumuler une collection. J'ai vu une émission de télévision il y a quelques années où on parlait de la collection de montres de prestige. Celles-ci comportent un mécanisme mécanique et coûtent des prix très élevés : plus de 30 000 euros pièce, soit, à l'époque où j'ai regardé l'émission, le prix d'un studio à Paris.

Les collectionneurs de ces montres en possèdent des dizaines. Quelle absurdité ! Elle arrange bien les marchands de telles montres. Pendant que des centaines de millions de gens ont du mal à joindre les deux bouts, quelques-uns se gargarisent de la vue d'un tas de montres hors de prix qui leur « appartiennent »... et que leurs héritiers s'empresseront de vendre et disperser quand ils seront morts.

Un jour, me promenant à Turin, je suis tombé par hasard sur une vente.

Il y avait là des dizaines de personnes forts bien habillées qui venaient dépenser des sommes  d'argent considérables pour emporter chez eux de microscopiques rectangles de papier coloré.

On l'a compris, il s'agissait de philatélistes riches.

Une fois encore, devant cette scène, je méditais sur le sort des pauvres comparé à ces lubies de riches. Un petit morceau de papier échangé contre une somme d'argent qui pourrait nourrir une famille nombreuse affamée durant plusieurs semaines...

Mais à quoi sert l'argent des riches, des très riches ?

Le milliardaire américain Henri Ford disait : « Si riche que je sois, je ne pourrais jamais faire plus de trois repas par jour. »

Un autre milliardaire américain, Mellon, je cite de mémoire, aurait dit : « La fortune ne m'a donné ni l'amour, ni l'amitié, ni même une bonne digestion. Quand je vois un couple d'amoureux, je suis jaloux. »

Alors, quel usage font-ils de leurs millions, milliards ?

Les riches doivent bien en faire quelque chose. Et il y en a de plus en plus. Le nombre de milliardaires augmente chaque année. Le nombre de pauvres aussi, et bien plus rapidement.

Une poignée de milliardaires dans un océan de pauvres.

Les milliardaires sont atteint par une maladie sociale : le hamsterisme.

Ce mot désigne l'amour des hamsters. Mais ici dans le sens de chercher à leur ressembler.

Le nom du hamster provient de l'allemand hamstern, qui signifie « faire des réserves ». Car cette sympathique petite bête possède une très bizarre particularité : elle amasse une quantité prodigieuse de graines dans son terrier, des kilos et des kilos. On a trouvé jusqu'à 90 kilos de graines accumulées dans un terrier ! Et après avoir accumulé tout ça pour l'hiver, le hamster hiberne et dort. Ses graines ne lui servent à rien, sauf à le rendre extrêmement nuisible aux yeux des agriculteurs.

Les très riches humains se conduisent exactement comme des hamsters. Ils font du hamsterisme. Passé leurs goûts de luxe, leurs collections, leurs fêtes, ils accumulent, accumulent, accumulent, des masses d'argent qui ne leur servent à rien. Pendant qu'une multitude de pauvres crèvent de faim, ils dorment sur leurs tas d'or.

Le hamsterisme est un problème majeur de la société humaine. Il y a dans le monde où nous vivons des millions de hamsters qui accumulent des sommes fabuleuses pendant que des centaines de millions de non hamsters sont dans la misère et leur nombre s'accroît chaque année.

Regardez ces gens qui touchent des revenus en millions d'euros. Ce sont des hamsters. Les milliardaires ? Encore des hamsters.

Il existe aussi de très petits hamsters, je les appellerais des hamsterions. Ce ne sont pas des gens très riches, mais qui accumulent des sommes importantes à leur échelle et n'en font strictement rien. Ils suivent le mauvais exemple qui vient d'en haut. « Le poisson pourrit par la tête » comme disaient les anciens Chinois. Il faudrait faire en sorte que l'accumulation très importante d'argent pour le seul plaisir de l'accumuler soit impossible, interdit, car il crée la misère du plus grand nombre. Que l'argent accumulé perde toute valeur et que le fléau du hamsterisme disparaisse une fois pour toute.

Basile, philosophe naïf, Paris le 3 janvier 2013

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