lundi 14 janvier 2013

67 Les commentateurs des ombres

Le mot est à la chose ce que l'ombre est à l'objet. Certains « philosophes », ou tout au moins proclamés tels, passent beaucoup de temps à définir les mots. Ce sont des commentateurs des ombres.

J'ai vu ainsi polémiquer autour du mot « travail ». Un étudiant en école dentaire, du nom de R***, il y a trente-six ans de ça s'accrochait avec moi et un autre à propos du mot « travail ». Il refusait d'accepter l'idée que les prostituées travaillaient. « Non ! Ce n'est pas un travail ! » s'entêtait-il à affirmer.

Plus récemment, j'ai retrouvé un écho de cette polémique sur le mot « travail » dans les annonces données par haut-parleur dans les stations du métro parisien. En gros, une de ces annonces dit : « Faites attention à vos affaires personnelles, des pickpockets sont susceptibles d'agir dans cette station ! » Le mot « travailler » est soigneusement évité.

Parce que voler des portefeuilles pour gagner sa vie ne serait pas un travail ? Si, c'est un travail malhonnête et risqué, mais un travail quand même.

Parce que fabriquer des armes dans une usine de guerre pour tuer des gens, ça, ce serait un travail ? Et ce ne serait pas un travail de voler des portefeuilles sans tuer personne ?

Cette comparaison défavorable m'en rappelle une autre. C'est très chic de s'en aller cigarette au bec. En revanche, se mettre les doigts dans le nez est considéré comme vulgaire et mal élevé. Pourtant, se mettre les doigts dans le nez n'a jamais donné le cancer, fumer si.

Revenons-en aux mots. On voit des kilos de pages couvertes d'écritures pour chercher à définir tel ou tel mot.

Et il y a pire encore. D'autres kilos de pages couvertes d'écritures pour commenter les commentateurs.

C'est, bien sûr, plus confortable que de chercher à étudier, décrire et analyser la vie-même. Ça nous implique moins et permet de noircir aisément beaucoup de pages pour lesquelles certains reçoivent même une rémunération. Beaucoup d'inutiles et somnifères ouvrages de philosophie commentent ainsi les commentateurs. Au lieu de se pencher sur le livre de la vie.

Ils sont pour la philosophie comme sont pour la musique ces mauvais professeurs de piano qui vous dégoûtent de l'étude et la pratique de la musique. Ou pour la littérature française comme ces ouvrages qui vous ôte définitivement envie de la lire.

Quand un livre se révèle pénible à lire, voire carrément illisible, ce n'est pas forcément parce que vous êtes bête ou pas assez cultivé. Cela peut être aussi parce qu'il est mal écrit.

Nos élites intellectuelles officielles débordent de singes savants, ou plutôt d'ânes savants. Mais arrêtons d'insulter indirectement les honnêtes ânes et honnêtes singes. Appelons nos lumières ténébreuses des imbéciles tout courts.

Ils sont les plus beaux fleurons de la culture officielle, autrement dit : la bêtise officielle, et de l'art officiel, autrement dit : la laideur officielle.

Basile, philosophe naïf, Paris le 14 janvier 2013

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