samedi 5 janvier 2013

54 Pensées mouches et souvenirs en conserve


Comprendre comment nous fonctionnons peut nous aider à vivre en nous délivrant de certains problèmes. C'est pourquoi je voudrais exposer ici deux aspects de notre fonctionnement : les pensées mouches et les souvenirs en conserve. Les pensées mouches : il s'agit d'un phénomène que j'ai trouvé décrit dans un roman de Gustave Meyrinck : « Le visage vert ». En fait il ne s'agit pas exactement d'un roman, mais plutôt d'un ouvrage initiatique présenté sous la forme d'un roman. Tout le monde a entendu parler de l'intuition. Meyrinck dénonce ici une forme très subtile de fausse intuition. Vous pensez quelque chose et, l'instant d'après, d'une certaine façon, vous oubliez que c'est juste votre pensée et elle revient vers vous comme une mouche. Vous avez l'impression que vous devinez ce qu'en fait vous vous êtes simplement autosuggeré. Meyrinck a baptisé cette forme de pseudo-intuition : les « pensées mouches ».

Il y a vingt-cinq ans de cela, à une époque de ma vie où je n'étais pas du tout sûr de moi, je m'étais laissé envahir par les pensées mouches. « Tiens, me disais-je, incertain dans mes décisions, je sens ou j'ai l'impression qu'il faut faire ou choisir ci ou ça ». En fait, je venais de penser « ci ou ça » à l'instant et juste après je me suggérais que « ci ou ça » venait « d'ailleurs ». Découvrir la description du phénomène dont je souffrais m'en a aussitôt délivré. Je pense que beaucoup de gens sont confrontés à un moment de leur vie à ce phénomène de fausse intuition.

L'autre phénomène, je l'ai baptisé « les souvenirs en conserve ». Voilà de quoi il s'agit : à une époque de votre vie il vous arrive quelque chose qui vous bouleverse effroyablement. Vous allez parfaitement vous en souvenir, mais comme d'un événement anodin.

Ainsi, quand j'avais huit ans, ma sœur de trois ans plus âgée a commencé, sous prétexte de me soulever dans ses bras, à me mettre la main au bas du ventre. Ce comportement incompréhensible et sournois a commencé à se reproduire. Je ne savais rien de la sexualité et ne ressentais à ces occasions aucun plaisir, ni même le moindre chatouillement. Cette façon d'agir m'a excédé, car elle était visiblement volontaire et décidée sans explications aucune par ma sœur avec laquelle je m'entendais bien. A la fin, je décidais de réagir en lui rendant la pareille. Je fis mine un instant de la soulever tout en prenant son sexe à pleine main à travers ses vêtements. J'ai senti comme une fente. Elle a poussé quelques « oh ! » et « ah ! » en réaction. J'étais content d'avoir rendu la pareille. Et ensuite, à ma grande satisfaction, elle a cessé de me soulever de cette façon bizarre. Tout ceci, je m'en suis toujours souvenu comme d'un événement curieux et original, sans plus. Mais, en fait, il s'agissait d'un souvenir en conserve. Au fond de moi il avait déstabilisé quelque chose.

Sans m'en rendre compte, pour moi tout avait changé. Ma mère m'a dit, bien après l'incident avec ma sœur dont je ne lui ai jamais parlé : « au début tu étais toujours gai, tu riais tout le temps, et puis un jour, ça a cessé brusquement sans que je comprenne la raison ». En me le disant elle paraissait attendre une explication de ma part, que je ne suis enfin parvenu à trouver que beaucoup plus tard.

J'ai été élevé dans une famille où le côté singe était totalement nié. Pas de câlins, pas de bisous, pas d'explications sur la sexualité, rien, que des mises en garde, des condamnations, des sous-entendus qui firent que, par exemple, j'avais enfant une peur panique des « pédérastes », tout en ignorant ce qu'ils faisaient exactement pour mériter d'être appelés ainsi. L'attitude de ma sœur révélait ce qui était le plus nié et caché possible à la maison : le côté singe. J'ai alors eu faim mais ne connaissait même pas le sens du mot manger. Cela a suscité un malaise, une démoralisation qui m'a accompagné très fidèlement et longtemps. Sa source d'origine restant inconnue, incompréhensible. C'est seulement après des dizaines d'années d'introspection que j'ai fini de comprendre mon histoire et m'en sortir. Seul, pratiquement sans aide extérieure, sans hôpital, médecins ou médicaments.

Basile, philosophe naïf, Paris le 5 janvier 2013

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