vendredi 22 avril 2016

539 L'amour en permanence

Voulant rouler les mécaniques et jouer à la femme mariée, une dame me disait un jour : « mon cœur est pris ». Connaissant la vie tumultueuse de cette dame, dont le cœur a été « pris » un certain nombre de fois, cette affirmation pourrait faire rire, si elle ne soulevait un problème fondamental.

Quantité de gens croient qu'il existerait une sorte de clé nommée « amour » qui ouvrirait la porte d'un cocon confortable où on s'ennuierait confortablement à deux. La clé et la serrure pouvant affecter la forme d'organes génitaux : on baise, et hop ! On est « ensemble », « en couple », « on a trouvé l'amour ». Car on est « sorti » ensemble. Sorti d'où ? Mais du lot commun, pardi ! Des malheureux qui sont « seuls ». Et comme on est à deux, on a le cœur pris. Si on veut « se libérer », la solution consiste à baiser avec un tiers et l'annoncer à son ou sa partenaire. Comme si « l'amour » reposait sur une question de chatte et de bite. Pauvre amour réduit à une gymnastique réglementée.

Un homme disait un jour : « il ne faut pas croire quand on est en couple qu'on a conquit définitivement l'autre. Il faut le reconquérir en permanence. » Avec ses mots, il avait raison. L'amour est une activité relationnelle permanente qui ne s'arrête jamais, sauf quand l'amour s'achève et disparaît. Croire que par la magie d'un discours en mairie on se retrouve « lié par les liens du mariage » est une somptueuse ânerie. L'amour n'existe que quand il est vivant. Comme le disent les Anglais : « la preuve du pudding c'est qu'on le mange ». Une naïve jeune femme croyait un jour que son amour était durable, inaltérable, inoxydable... Pensez ! Il durait depuis qu'elle avait quinze ans et elle en avait à présent plus de vingt ! Alors, elle est partie seule à l'étranger juste pour un an. Et son amour s'est cassé la figure. Pour la très simple raison qu'elle avait de facto divorcée. Mais elle croyait à ce que l'amour est un cocon confortable où un jour on s'est enfermé à deux pour toujours. Et elle a tué la poule aux œufs d'or, a voulu le beurre et l'argent du beurre : quitter son compagnon et être toujours avec lui. La réalité l'a rattrapé. « Les faits sont têtus », comme disait Lénine parlant certainement de tout à fait autre chose.

Je connais une jeune fille qui envisage elle aussi de partir vivre à l'étranger. Mais elle ne se voit le faire qu'en emmenant son compagnon auquel elle tient. Elle a parfaitement raison.

Comme sont involontairement drôles les grandes affiches qu'on voit quelquefois dans le métro ! Elles montrent des jeunes gens hilares vantant les joies de la mobilité et de partir très loin de chez soi ! Il ne manque à ces affiches que quelques légendes style : « quelle joie ! Je divorce ! » « Quel bonheur ! J'abandonne ma copine ! » ou : « j'étais en couple, je vais me retrouver seul ! » Mais, la solution, la panacée universelle du bonheur, est-ce se retrouver « en couple » ? Je ne crois pas. Mais alors, quelle est la solution ? Le libertinage ? Je ne crois pas non plus. Le célibat, l'abstinence ? Pas plus. Mais, alors, quoi ? Je ne le sais pas encore. Mais toutes les « solutions » proposées me paraissent largement bancales. Peut-être n'existe-t-il pas de solution au problème posé de cette manière, car il faudrait le poser autrement. En tous les cas, dépendre d'un autre ou une autre me paraît lui accorder un privilège exorbitant.

Le printemps arrive ! Serait-ce le temps des « amours » ? Rien n'est moins sûr. C'est aussi, par exemple, l'époque où il y a le plus de suicides enregistrés dans le métro parisien. Très précisément les lundis de printemps. Alors, on le voit, cette saison n'est peut-être pas si idyllique et enchanteresse que cela sur le plan relationnel. N'imaginez pas être malheureux parce que d'autres éprouvent le besoin de paraître heureux. Et vous jettent leur bonheur à la figure. Exactement comme cette dame qui proclamait son cœur pris. Il a déjà été pris un tellement grand nombre de fois, qu'il faut espérer qu'il conserve encore un coin assez solide pour être encore « pris ». Les rodomontades de ceux et celles qui jouent au plus heureux que vous sont parfaitement dépourvues d'intérêt.

Basile, philosophe naïf, Paris le 22 avril 2016

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