dimanche 30 décembre 2012

39 Faim d'amour et médecine


Que dirait-on d'un hôpital où on soignerait les affamés avec des médicaments ?

Docteur, j'ai des crampes d'estomac. - Bien, on va vous donner un médicament contre les crampes.

Docteur, je suis pris de vertiges. - On va vous donner un médicament contre les vertiges.

Docteur, je me sens faible. - On va vous donner des tonifiants.

Docteur, je me suis évanoui. - On va vous mettre un masque à oxygène.

Docteur, j'ai faim, ne pourrais-je pas recevoir à manger quelque chose ? - Vous êtes fou ! Le rôle de l'hôpital est de soigner, pas nourrir les gens.

Vous trouveriez cette pratique médicale curieuse ?

C'est pourtant, d'une certaine façon, celle utilisée aujourd'hui avec nombre de personnes hospitalisées en « psychiatrie ».

Elles meurent de faim... d'amour.

Le personnel hospitalier n'a pas le droit de leur faire l'amour, ou seulement les caresser, leur faire des bisous ou leur dire des mots doux.

Alors, entre malades ? Pensez-donc ! Les malades n'ont pas le droit de faire l'amour entre eux, se faire des caresses, des bisous, se dire des mots doux.

On pousse la vigilance jusqu'à interdire aux malades l'entrée des chambres d'autres malades. Officiellement pour préserver leur tranquillité. Est-ce vraiment l'unique raison de cet interdit ?

Alors, les malades, peuvent-ils au moins compenser leur manque par la masturbation ? Sans doute, mais s'ils cherchent l'inspiration pour cela sur Internet, ils ne trouveront rien. Comme pour les enfants, l'accès à Internet sur le poste dont ils ont éventuellement payé l'accès dans leur chambre d'hôpital est bridé. Impossible d'accéder à un site « Interdit aux moins de dix-huit ans ».

Existe-t-il une réponse médicale possible au manque d'amour et de caresses ? D'une certaine façon oui. Rêvons à un hôpital différent :

Ce qui manque énormément, ce sont les caresses. Passée l'enfance, on n'en reçoit guère que dans le cadre « sexuel », c'est-à-dire plus ou moins lié à la recherche, l'arrivée ou la suite de l'acte sexuel entre des humains. Il suffit de fréquenter un milieu peu tactile, d'être solitaire ou en vieux couple conventionnel et ayant oublié les caresses depuis longtemps, pour se retrouver dans un parfait désert tactile. Plus personne ne vous touche. Certaines dames âgées fréquentent assidument les salons de coiffure d'abord et avant tout pour se faire papouiller la tête, plus que par coquetterie capillaire.

Les très petits enfants sont l'objet d'attentions physiques nombreuses. On reconnaît aux mourants, dans les services de soins palliatifs, le droit à quelques câlins, et encore pas trop. Entre les deux, rien n'existe d'institutionnel, excepté la prostitution, bien sûr. C'est peu, orienté et bien triste.

Mon amie Alexandra, travaillant dans un service hospitalier accueillant des personnes âgées se permettait de leur faire un petit bisou sur le front au moment où elles allaient dormir. Leur sommeil était encore plus paisible que d'ordinaire. Ce bisou, il faut le dire, était clandestin et interdit par le règlement.

Si on voulait faire des caresses un soin, créer une véritable calinothérapie, il faudrait les sortir du cadre obligé de la sexualité. Plus précisément les émanciper d'une référence possible, celle-là ou une autre. On pourrait, imaginer un local où le soigné serait toujours au contact de deux soignants minimum, un référent qui n'interviendrait pas et un caresseur, habillés sobrement tous les deux. Des proches pourraient être présents.

La partie caressée serait délibérément choisie comme n'ayant pas de connotations sexuelles trop fortes. Cela pourrait être le haut du dos, les bras et mains, les pieds, le visage, la tête. Un éclairage coloré, doux et indirect, une musique de fond apaisante.

La séance de caresses durerait au minimum une demi heure.

Ce genre de soin ne risque pas d'être créé en France. Peut-être dans d'autres pays, comme, par exemple, les Pays-Bas, sa création pourrait être envisagée. Pourquoi les Pays-Bas ? Parce que l'approche du corps souffrant y est différente de chez nous. Il existe-même des prostitués thérapeutiques chargés de donner des satisfactions sexuelles aux personnes très lourdement handicapées.

Si un tel type de service existe déjà aux Pays-Bas, créer un service de calinothérapie non sexuelle paraît plus facilement réalisable là-bas que chez nous.

En particulier, cette réappropriation de la sensualité des caresses serait utile pour des personnes victimes de violences, qui ont une conscience traumatisée par celles-ci.

J'ai eu l'occasion d'en parler il y a bien des années à plusieurs personnes dont un sapeur-pompier de Paris. Elles étaient d'accord avec l'intérêt thérapeutique des caresses. Mais j'ai perçu aussi leur sentiment quant à l'impossibilité de faire effectivement quelque chose, du fait de notre culture hyper-sexualisant tout ce qui touche à la caresse entre adultes.

Quelquefois mon propos n'a même pas été compris. Une amie m'a dit qu'à un moment il fallait forcément passer à la sexualité active. Un couple, lui, a cru qu'à travers mes réflexions écrites, je recherchais en fait des contacts libertins.

C'est dire que notre société est loin d'être capable d'admettre une thérapie des caresses. Le peu qui se fait aujourd'hui étant présenté comme des « massages », notamment dans les services de gériatrie. Le mot « caresse » reste tabou.

Quand, par exception, il arrive que souffrant de carence tactile aiguë, nous échangions, ou donnions ou recevions quelques caresses, cela crée un trouble chez nous. Réveil d'une faim tactile refoulée. Crainte de mal faire. Recherche d'un cadre relationnel précis pour lesdites caresses, et prétention à leur donner un « débouché », généralement sexuel. Inconscience et maladresse caractérisent très souvent ces moments où, malgré tout, nous avons partagé quelques éléments de nourriture tactile.

La plupart des humains sont des analphabètes tactiles, fuyant leurs propres besoins, ceux des autres, et les moyens de les satisfaire. Ils préfèrent le plus souvent ignorer leurs besoins, cherchant des comportements de compensations : fuite dans le travail, les tranquillisants, les « rêves d'amour, de mariage et de famille », l'alcoolisme, etc.

Basile, philosophe naïf, Paris le 30 décembre 2012

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