lundi 3 décembre 2012

22 Origine de notre mal-être « sexuel »

Au moment des événements politiques de mai et juin 1968 fut créée une « crèche sauvage » à l'École des Beaux-Arts. Cet organisme parisien privé a fonctionné durant plusieurs années. Il était installé à l'étage, au dessus de l'atelier de croquis, le Cours Yvon. Vers 1973-1974, un incendie dévasta la crèche. Une fillette de quatre ans en fut victime. Quand on avait évacué la crèche, au moment de l'incendie, elle avait été oubliée. Du moins, c'est ce que j'entendis dire alors : « les pompiers ont dit que s'ils avaient su qu'il restait une fillette dans la crèche, ils auraient été la chercher et l'auraient sauvée ». Après le sinistre, la crèche disparu.

Elle avait, à ce qu'on m'a dit, rempli très positivement sa fonction jusqu'à ce jour tragique.

A l'École des Beaux-Arts, quand j'y entrais en 1972, tous les ateliers de dessin, peinture ou sculpture, excepté l'atelier de peinture Caron, disposaient le matin d'un modèle nu, généralement féminin, âgé d'une trentaine d'années. Un modèle plus âgé, Madame Dimitrova, d'origine bulgare, ancienne danseuse, affichait la soixantaine et faisait merveille dans les ateliers de sculpture.

Un jour, j'ai ramassé par terre dans l'école un assez grand dessin d'enfant en couleurs. Il représentait un modèle d'atelier, en train de poser.

J'en ai conclu que les enfants de la crèche sauvage étaient emmenés dessiner aussi dans les ateliers. Ils étaient donc familiarisé avec la nudité des modèles.

Près du Palais des Études, grand bâtiment de l'école, se trouvaient plusieurs objets « sauvages ». Une grande sculpture en plâtre, œuvre d'élèves de l'atelier Étienne Martin et aussi, montée sur des pieds, une grande lentille en métal formant bassin et large de plusieurs mètres.

Un jour, un élève m'a raconté qu'il avait vu avec ébahissement, quand il faisait très chaud, en pleine journée et au soleil, la jeune femme monitrice de la crèche avec l'ensemble des enfants, tous nus, en train de se rafraîchir joyeusement dans la lentille d'eau !

C'est dire que l'approche de la nudité était différente dans cette crèche sauvage par rapports aux autres crèches dites « classiques ».

Qu'on en juge : dans les crèches « officielles », les personnes encadrantes, quand il fait très chaud, ne se mettent ni nues, ni même en maillot de bains. Et, s'agissant des petits enfants, comme me l'a raconté dernièrement une assistante en puériculture travaillant dans les crèches parisiennes, non seulement on ne les mets jamais nus, ni en slips. Mais bien plus encore, il est imposé d'habiller les enfants à tous prix, même légèrement. Il est exclu de les laisser torse nu, par exemple.

Cette manière de couper l'enfant du contact visuel et physique avec lui-même et les autres via l'interposition systématique de vêtements, trouve un écho, y compris chez les naturistes.

Il existe chez eux deux règles non écrites et impératives.

L'une concerne les filles. Comme un ami naturiste me l'a raconté, il a vu une jeune mère aller vers un groupe composé de deux petits garçons et de sa fille âgée de quatre ans. Elle a engueulé cette dernière parce qu'assise elle écartait largement les jambes !

Chez des naturistes et à quatre ans, il faut le faire ! Mais cette règle non écrite concerne également les adultes. Une amie qui était assise, les jambes écartées, dans un camp naturiste, se l'est vu reproché par une autre amie également naturiste.

La vue du sexe féminin est tabou dans notre société, ou relève de la pornographie, ce qui revient au même.

Si vous allez contempler au musée du Louvre la célèbre statue en bronze de Houdon figurant Diane nue debout, regardez-là bien. Avec difficultés, vous constaterez qu'il y a bien des années, sa fente pubienne a été rebouchée !!!

S'agissant des garçons, un règlement non écrit existant chez les naturistes, interdit l'érection publique. Règlement pratiquement impossible à suivre quand on a douze, treize, quatorze, quinze ans et qu'on a devant soi de jolies filles nues... Cette condamnation de l'érection publique revient à réprouver et faire honte d'entrer dans un âge mature pour l'acte sexuel. Cette situation, s'ajoutant à l'absence de photos de vacances à montrer aux amis, fait que beaucoup de garçons s'éloignent du naturisme après l'avoir pratiqué enfants. Ils y reviennent par la suite, mais pas tous.

Les enfants voient bien que quantité de choses restent cachées quand elles sont associées au « sexe ». Ce que l'on cache est forcément honteux, sinon on ne le cacherait pas. La honte et la peur se transmettent ainsi, de génération en génération.

L'enfant lui-même est contrarié et dépossédé de lui-même. S'il « se touche » on lui fera comprendre qu'il ne faut pas le faire. Le contact physique, la vision de la nudité seront réglementés, ritualisés, rationalisés, prohibés.

Privés largement de contacts et de visions des autres et de lui-même via le barrage des vêtements et des interdits et conventions, l'enfant arrivera à un âge où l'acte sexuel devient envisageable et désiré. Il est devenu « grand », mais va-t-il pour autant « faire l'amour » ? En aucun cas. Après que ses hormones aient cornaqués des désirs d'accouplements, il se passera généralement plusieurs années durant lesquelles son activité « sexuelle » se limitera aux fantasmes, rêveries et masturbations.

Quand enfin l'être humain sera confronté à la satisfaction possible de son besoin de coït, il sera le plus souvent maladroit, ignorant, rempli de peurs et préjugés et mal éduqué par la pornographie.

Vis-à-vis des câlins et des accouplements, il sera comme quelqu'un qui n'a jamais mangé ou bu, a eu ensuite très faim durant plusieurs années, n'a jamais vu manger et boire son entourage. Et, subitement, pour la première fois, il se retrouve devant une table garnie de nourritures et boissons.

Il va ne pas savoir s'y prendre, renversera des plats, s'étranglera, mangera trop, pas assez, tremblera la bouche sèche, sera paralysé, reculera devant certaines saveurs nouvelles et inconnues, etc.

Si nous rencontrons jeune, et aussi après, tant de problèmes avec notre « sexualité », cela n'a rien d'étonnant. Car nos parents, amis et enseignants se sont appliqués, depuis des années, et sans en être souvent bien conscients, à nous rendre malades et incapables d'assumer nos désirs, les identifier et entendre ceux des autres. Privés de références, nous sommes comme des ignorants lâchés parmi les livres d'une très belle et riche bibliothèque, alors que nous ne savons pas lire. Désarmés face à nos responsabilités, nous accumulerons maladresses, sottises, énervements, croyant nous heurter aux mystères de la « sexualité ». Alors qu'il n'y a pas de mystères, mais juste de l'ignorance organisée. Dans une relation humaine n'existe pas le « sexuel » et « l'asexuel ». Il faut aller au delà de cette dualité soi-disant obligatoire. Une relation est une et vivante. A l'occasion elle peut intégrer le coït ou ne pas l'intégrer. Ce n'est pas du tout l'essentiel. L'essentiel est qu'elle soit responsable, satisfaisante et équilibrée. Le reste n'a aucune importance et relève de l'abus de stéréotypes.

Basile, philosophe naïf, Paris le 24 novembre 2012

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