samedi 23 août 2014

274 On ne faisait même plus l'amour

« On ne faisait même plus l'amour » : propos péremptoire que m'a tenu une amie il y a plus de vingt-cinq ans, pour m'expliquer pourquoi elle avait du quitter son petit copain et ne pouvait pas faire autrement. Ce qui signifie implicitement qu'un petit copain, c'est celui avec lequel on baise. Et on doit le faire régulièrement. L'acte sexuel servant en quelque sorte de « péage d'entrée » dans « la vie à deux ». Avec renouvellement régulier, sinon faillite du « contrat ». Jeune fille, tu aimes ? Alors, écartes les jambes ! Jeune homme, tu aimes ? Alors bandes et mets ton engin dans le trou ! Bon dieu, quelle poésie !

« Poésie » qu'on voit répercutée par mille canaux divers : rubriques du courrier du cœur de conseils aux amoureux, discours pseudo-scientifiques, etc. Et en effet, si on prétend « former un couple », c'est qu'on « sort ensemble ». Ce qui doit se faire avec une seule et unique autre personne, sinon « on fait n'importe quoi ». Le « sexe », bien sûr exclusif, serait la marque identificatrice de l'amour réussi. Ne dit-on pas « faire l'amour ? » Mais où se trouve l'amour dans tout ça ? Avec une telle façon de voir les choses, il survit tant bien que mal, et plus souvent mal que bien.

L'acte sexuel pratiqué régulièrement est promu au rang de « certificat de garantie » de l'amour. A partir du moment où la gymnastique réglementaire est pratiquée dans l'alcôve conjugale, on est en droit d'ajouter l'élément complémentaire à la relation ainsi établie : le contrôle de l'autre. C'est-à-dire la légitime, féroce et sans pitié jalousie : « si tu fais crac crac avec un ou une autre, je te tue ! » (variante ancienne). « Si tu fais crac crac avec un ou une autre, je te quitte ! » (variante moderne).

L'amour se résumerait donc au fond à « crac crac » ?

Et puis, cette gymnastique permettra de planifier la venue des enfants, fruits de l'amour. Car sans « crac crac » pas d'enfants possible. Ce qui donne l'horrible formule suivante que j'ai entendu : « nous voulons un enfant. On y travaille. »

L'acte sexuel devient ici un travail, comme chez les prostitués. Mais, il y a aussi, déversé par mille canaux divers le matraquage permanent à propos de « l'épanouissement sexuel » possible et o-bli-ga-toi-re ! Hier, l'épanouissement consistait à éviter de baiser hors du mariage et pour autre chose que pour avoir des enfants. Ça a changé. A présent, il faut baiser et rebaiser régulièrement, sinon on est un malheureux, un malade, un déviant, un raté, un moins que rien.

Articles, livres, émissions de radio ou télévision, on n'y échappe pas. Faire l'amour au minimum deux ou trois fois par semaine devient une obligation hygiénique au même titre que se brosser les dents trois fois par jour ou s'essuyer le zizi après l'avoir lavé, pour éviter les champignons.

Et les statistiques tombent : « les Français font l'amour trois fois par semaine. Ils sont épanouis, bons amants. Etc. »

Et voilà qu'au milieu de ce concert lénifiant surgit un mec bizarre, moi. Qui prétend que l'acte sexuel ne doit se pratiquer qu'à condition qu'existe un désir authentique, qui est plutôt rare. Et que sinon, pratiqué en d'autres circonstances, l'acte sexuel va ruiner la relation entre les personnes concernées.

Mais qu'est-ce que je dis là ? Si on me suit, une bonne partie du relationnel proclamé s'effondre. Si on ne baise qu'en de rares occasions, alors pas de contrôle exigible, pas de planning pour avoir des enfants, pas d'« épanouissement ». Mais, c'est l'anarchie !

Plutôt que chercher à me répondre, on va me remettre en question. Je dois être un mec bizarre, asexuel, pas épanoui, homo qui s'ignore, etc. A quoi je réponds que je me porte très bien, me sens très bien et ne cours pas plus après les hommes que les femmes ou les mulots.

Me suivre, en dépit du caractère simple de mes propositions, signifie suivre seulement et uniquement le désir authentique, sinon éviter l'acte sexuel. Mais me suivre alors, remet en question toute une partie du discours erroné de l'homme sur lui-même.

L'acte sexuel galvaudé est vu aujourd'hui par une multitude de personnes comme la porte de l'amour, une chose unique et merveilleuse, la marque de l'émancipation de la femme (en imitant l'homme qui drague), la marque de l'arrivée à l'âge « adulte », la récompense des riches qui sont « couverts de femmes », le but du dragueur, une chose qui permet un plaisir mythique plus long que quelques misérables minutes, plaisir qui s'exalte dans la pornographie (où les « acteurs » et « actrices » le plus souvent simulent et s'emmerdent), etc.

Et il faudrait remettre en question tout ça ? En proposant simplement de s'écouter au lieu de suivre le discours abrutissant régnant ? Allons bon !

Il y a peu de chances que beaucoup de gens me suivent. Mais, à propos, comment en suis-je venue aux idées que j'avance ?

J'avais une amie proche. On se disait tout. Et on rigolait ensemble à l'idée qu'un tas de gens autour de nous s'imaginaient que nous étions amants. Puis, un jour, on s'est rapproché physiquement. On s'est dit alors qu'on était « un couple ». On a mis à l'ordre du jour le fait de faire crac crac et la vie à deux. Ça a très bien fonctionné, sauf crac crac. Et au bout de deux années merveilleuses, ce furent presque deux années et demie d'enfer. A la fin, quand nous nous sommes séparés, il y avait de la haine entre nous deux. Mais comment avons-nous pu en arriver là ?

Comme crac crac n'a jamais bien fonctionné, un ami proche m'a suggéré que c'est à cause de ça que ma compagne, insatisfaite, m'avait quitté. Discours bien dans le sens de la « pensée unique » mais qui n'explique pas tout. Pourquoi et comment avons-nous pu passer de l'amitié à la haine ? J'y ai bien réfléchi.

Au début, nous étions authentiques. Nous étions amis. Mais, après nous être rapprochés physiquement, nous avons choisi de quitter l'authenticité. Si la relation a dérapé, c'est parce qu'au lieu de rester nous, nous avons voulu, de bonne foi, placer notre relation dans un moule. Le moule de « la vie à deux », et dans celui-ci, il y avait le fameux péage d'entrée renouvelable : crac crac. Or faire l'amour est tout, sauf un geste anodin. Chercher à le faire parce qu'on se dit qu'on est ensemble, est la plus belle ânerie qui soit. Et le plus sûr moyen à terme de détruire la relation.

Des millions de personnes de bonne foi commettent chaque jour l'erreur que nous avons commise. Et leur relation fini par exploser au bout d'un temps variable. Et comme à l'origine il s'agit d'une vraie relation, adultérée ensuite avec l'acte sexuel et la vie à deux artificiellement convoqués, les personnes concernées vivent très mal leur séparation.

J'avais plus ou moins bien compris ce phénomène depuis quelques années. Là, j'ai fini par acquérir la certitude que s'il y a bien une chose à exclure de l'amour : c'est l'acte sexuel intellectualisé. Dont le choix de la pratique relève d'un raisonnement et non d'une faim véritable, authentique et partagée.

Si demain la femme la plus merveilleuse possible me propose de « faire l'amour » et vivre avec elle alors que je n'en ressens pas l'authentique envie, je dirais non. Quitte à ce qu'elle m'envoie au diable suite à mon refus. Car je sais où l'acte sexuel mal venu et la vie à deux non souhaitée conduisent. Et ne veux pas m'y retrouver à nouveau : avec la haine, le désespoir et la solitude ressentie.

J'ai renoncé catégoriquement à poursuivre l'erreur que je partageais avec mon entourage : croire qu'il faut quelque part absolument chercher et trouver la personne avec qui on vivra ensemble et on fera régulièrement crac crac. Ce renoncement à l'erreur a entraîné un phénomène qui m'a surpris. Je suis largement sorti du conditionnement général de la sexualité et de l'amour. Ce qui fait que je n'ai plus de projet en amour. Je suis prêt à aimer sans à-priori, tout simplement. Et ignore la pression générale en faveur de la recherche obsessionnelle de la bonne personne avec laquelle on fera crac crac. Crac crac qui est une chose relativement secondaire et occupe une place mineure dans la vraie vie. Crac crac qui est enfin pour moi mis à sa juste place : petite et hors projet planifié.

Quelle est l'origine dudit projet ? On est matraqué dès l'enfance par le discours impliquant de trouver un jour la bonne personne. A force de ne pas la trouver, on fait comme tout le monde, on commence à l'imaginer. Et, les années passant, l'imagination complète le portrait de la relation rêvée. On va chercher celle-ci autour de soi. On cessera de voir la réalité ambiante pour chercher à matérialiser une situation, une personne imaginaires. Conséquence, on verra par exemple une personne seule vouloir le rester pour que la place de la personne qu'elle rêve de rencontrer soit libre pour son arrivée.

La relation rêvée se construira autour de l'image de la compagne ou du compagnon qu'on rêve de rencontrer. Cette figure imaginaire et fabuleuse sera le pivot, la charpente, les fondations, la clé de voûte du rêve. J'avais déjà remarqué que ladite personne rêvée par moi avait des caractéristiques physiques précises. Répondait à un modèle précis. Je n'avais pas identifié son origine exacte.

Quand mon projet en amour s'est évaporé, le modèle est parti avec et j'ai pu identifier sans problème son origine. Petite, brune, pas spécialement portée sur le sexe : ma mère, vue par mes yeux de petit enfant. Le sexe elle n'en parlait jamais. Et si je peux dire « vue par mes yeux de petit enfant », c'est que ses cheveux n'étaient foncés qu'en un temps où j'étais petit. Après, ils ont changé et se sont éclaircis. Elle avait quarante-trois ans passés quand je suis né.

Quand le projet et le modèle disparaissent, on découvre la réalité des relations homme-femme. Elle est surprenante. Tant que je vivais à la recherche du rêve je ne la voyais pas. Là, je vois le comportement féminin que mon idéalisation de la femme m'empêchait de voir.

Ainsi il en est, par exemple, de la stratégie de la tartine (mis et enlevé) dite également du frigidaire à éclipses. Quantité de femmes vont apparemment aller vers vous, vous ouvrir leurs bras au sens propre ou figuré. Et puis repartir à toute vitesse en arrière. Quand on beurre une tartine, on y met un tas de beurre. Puis, on racle la tranche de pain en enlevant presque tout le beurre. Et quand on répète l'opération, froid, puis chaud, puis froid, on est comme un frigidaire à éclipses.

Ce comportement contradictoire s'explique ainsi : au fond de chacun de nous se trouve le désir de contact physique et moral, d'intimité partagée. Qui est exempt de la sexualité impérative que la Culture acquise lui a associé, indépendamment d'un désir vrai. La femme sait qu'en cas de situation tendre, elle se retrouvera avec un homme qui exigera, une pression générale de la société qui imposera la recherche de l'acte sexuel. Cette situation est pénible. Alors, sans l'analyser, elle va d'abord aller vers la tendresse authentique, puis esquiver la sexualité artificielle en prenant la fuite.

Pour la même raison hommes et femmes sont mal à l'aise à l'idée d'aller directement vers l'autre. Qui signifie dans notre société « civilisée » : aller directement à la tendresse polluée par l'acte sexuel obligatoire indépendamment de la présence d'un désir vrai. La cuillerée de goudron du sexe obligatoire dans le tonneau de miel de la tendresse rêvée. Il y a de quoi être absolument dégoûté.

Envie d'aller vers l'autre. Impossibilité d'y arriver sans l'ajout mal venu d'un acte sexuel « intellectualisé ». Que faire alors ? C'est la quadrature du cercle. Certaines femmes chercheront l'issue dans l'irresponsabilité, l'alcool. Pour arriver à « quelque chose » on va boire en compagnie masculine et risquer de se retrouver dans des situations scabreuses, voire même dangereuses.

Sinon, en général, on va jouer, sans aller « jusqu'au bout ». On baptise ça « le jeu de la séduction ». En 1880, un jeune étudiant en médecine parisien notait dans son journal que les jolies filles apercevant un beau jeune homme, relevaient leurs jupes et jupons un peu plus haut que nécessaire pour éviter les flaques d'eau les jours de pluie. Aujourd'hui, les mêmes comportements s'observent toujours.

Il en est ainsi de l'art du décolleté indiscret. Il s'agit de montrer sans montrer tout en montrant, faisant croire de montrer, ou laissant voir par « inadvertance » ses nichons.

Il en est ainsi également de l'art de la culotte. Il s'agit de montrer sans montrer tout en montrant, faisant croire de montrer, ou laissant voir par « inadvertance » sa culotte ou une partie de celle-ci.

Tout en jouant ainsi, les femmes observent discrètement leurs cibles. Elles ne regardent pas franchement et directement. Elles usent de toutes sortes de techniques : regard latéraux, regard porté un instant et détourné aussitôt, balayage oculaire de la zone où se trouve la cible, port de lunettes de soleil pour cacher ses yeux, sommeil simulé, etc.

Le manque d'amour et de tendresse est permanent et envahi tous les strates de la société. Une des causes jamais évoquées de la consommation tabagique réside dans le fait que sucer sa cigarette, sa pipe, son cigare, compense l'absence de bisou sur la bouche éventuellement avec la langue.

Car le bisou sur la bouche est un acte tendre et intime plus intime que quantité de gestes classés « sexuels ». Et son manque fait d'autant plus souffrir. Regardez bien un fumeur de cigarettes : devant tout le monde il se branle la bouche, les lèvres, la langue avec sa cigarette !

Les amateurs de cigare, sous prétexte de l'humecter vont jusqu'à le lécher soigneusement et sans se cacher. Qu'ils en soient conscients ou non, ils compensent ainsi le manque de léchage d'eux-mêmes et de leur prochain. Derrière l'humain « civilisé » le singe originel est toujours là.

D'autres compensations du manque d'amour, de tendresse, sont particulièrement dévastatrices : ainsi la recherche frénétique du pouvoir ou de l'argent pour l'argent (la chrématistique) qui conduit aujourd'hui notre Civilisation à l'abîme.

Chercher obsessionnellement le pouvoir et l'argent pour l'argent est une déviance. Et l'origine de cette déviance est le manque d'amour et de tendresse causé par la recherche de l'acte sexuel indépendant du désir authentique et véritable. Notre société est bien malade.

Et pourtant, la sortie de l'impasse pour chacun de nous est si simple : « écoutez-vous vous-mêmes ! Ne cherchez à faire l'amour que quand vous en avez authentiquement envie, sinon évitez absolument ! » Mais une vieille sagesse orientale dit que : « un jour les dieux voulurent cacher un secret aux hommes là où ils ne sauraient pas le trouver. Alors, ils le cachèrent dans l'homme lui-même. » Se remettre en question, se corriger soi-même n'est pas la chose la plus simple.

Et se corriger soi-même ne suffit pas pour remettre en état la société dans son ensemble, gangrenée par les pouvoirs et les cupidités multiples d'humains égarés qui persistent dans l'erreur. Il faudra un jour trouver la solution pour qu'enfin ils lâchent prise et nous laissent vivre paisiblement et libres.

Basile, philosophe naïf, Paris le 23 août 2014

jeudi 21 août 2014

273 Trouver les bonnes règles pour aimer

La philosophie est importante, car le principal fléau dont souffre l'Humanité, ce sont les idées fausses que les humains se font sur eux-mêmes. Alors que tous les besoins matériels et moraux de l'Humanité pourraient être très aisément et rapidement satisfaits, une conséquence tragique de ces idées fausses est qu'il n'y a jamais eu autant de pauvres. L'abondance engendre la faim et la misère organisées. On en meurt en masse dans bien des pays. Et cet état de choses ne fait que s'aggraver et gagner du terrain partout dans le monde. Car les chefs d'états et de gouvernements que nous avons sont pratiquement tous persuadés que leur bonheur implique de prendre des décisions à l'encontre de la population. Que la faim du plus grand nombre assurera la félicité du petit nombre auquel ils appartiennent. Ils ne sont ni fous, ni méchants, mis à part quelques-uns d'entre eux. Ils sont égarés et ne comprennent pas du tout où ils vont en entraînant les autres. Et si la masse les suit, c'est qu'elle aussi ne comprend pas sa situation et où elle va, où elle est entraînée. Déjà en 1549, Étienne de La Boétie avait souligné ce fait dans son Discours de la servitude volontaire ou le Contr'un.

Les idées justes abondent. Ce qui ne signifie pas qu'elles sont suivies. En vérité quand on les invoque, généralement on les altère et les réduit à néant. Par exemple on va citer les propos bibliques : « tous les hommes sont frères », « aimez-vous les uns les autres ». On vantera la justesse de ceux-ci. Pour ajouter aussitôt : « mais, dans certains cas... » et on videra complètement ces principes de leur substance. Un exemple fameux aussi est celui des pseudo adversaires de la peine de mort qui déclarent être contre elle. Pour ajouter aussitôt que, dans certains cas, bien sûr, elle ne peut pas ou ne pouvait pas ne pas être appliquée. Résultat, on trahira la position d'opposition à la peine de mort soi-disant adoptée.

Trahir ainsi, c'est ce qui arrive généralement avec la position de base de mon analyse de l'Humanité. J'affirme, chose peu original, qu'en chaque être humain s'oppose une base naturelle et un apport culturel. Quantité de gens acquiesceront. Diront que c'est vrai. Pour ajouter ensuite que, bien sûr, l'homme n'est pas à la base tout à fait un animal, etc. Et videront complètement de son sens la position soi-disant défendue par eux. Ce qui est original, c'est d'être intraitable, d'aller jusqu'au bout de la position Nature originelle contre Culture acquise. Ce que je fais. Oui, à la naissance nous sommes des petits singes parfaitement sauvages. La Culture vient ensuite nous contrarier.

Je ne défends pas la Nature bonne contre la Culture mauvaise, ou l'inverse. La Nature admet très probablement le vol, le viol et le meurtre entre humains. Je suis contre. Ce qui signifie qu'ici je m'éloigne de la Nature. Ce qui ne signifie nullement que j'encense sans limites la Culture. La Culture nous a donné entre autres le sandwich jambon-beurre, le sparadrap et la Vénus de Milo, qui sont de bonnes choses. Mais elle nous a également donné, entre autres, les mines anti-personnelles, la cupidité accumulatrice d'argent dite « chrématistique » et la lapidation des femmes accusées d'adultère. Choses qui me paraissent parfaitement mauvaises et négatives.

La Culture égare les humains et les prive le plus souvent du bien vital le plus précieux : l'amour. Cette privation prend une forme complexe qui rend très difficile la compréhension de son mécanisme.

Dans la vie des humains, il y a les trois âges de la sexualité :

J'observais récemment une aire de baignade familiale sur les rives du Tarn. Il y avait des petits enfants. Les petits garçons portaient des culottes pour se baigner. Les petites filles s'y voyaient ajouter des « soutiens-gorges » pour soutenir les seins qu'elles n'avaient pas encore. Ces tenues pouvaient être jolies, de beaux tissus, de vives couleurs. Mais que devons-nous en penser ? Voilà des petits enfants qui sont très loin de l'acte sexuel. On leur attribue des caches en tissu qui recouvrent certaines parties d'eux-mêmes. Ce qui signifie que ces parties d'eux-mêmes sont déclarées avoir un statut particulier. Il faut les cacher au regard d'autrui. Ce qu'on cache est honteux.

On voit ici s'articuler le message : ces petits garçons, ces petites filles, doivent cacher une partie déclarée honteuse d'eux-mêmes. Ce faisant, ils préfigurent l'exemple des adultes. On inculque ainsi aux petits enfants dès très jeune le fait qu'il existerait un domaine particulier, régit par des règles particulières et concernant un organe précis en particulier : le sexe. Alors qu'il n'est nullement question pour eux de « faire l'amour » on sous-entend que les organes dévolus à cette activité sont déjà à cacher. Si on réfléchit bien, on voit que cette manière de présenter les choses est obscène.

A moins de pratiquer le naturisme ou appartenir à un des rares peuples qui vivent nus, on ne se retrouve « au naturel » que pour se laver, être soigné médicalement ou « faire l'amour ». L'obligation de cacher aux tiers son anatomie, l'interdiction de voir celle des autres crée un traumatisme qu'on fini par ne plus remarquer, à force de le vivre, y être habitué. Imaginer que certaines personnes soient à la base nues dans leurs vêtements paraît même incongru. Imagine-t-on le pape tout nu ? Il est difficile de l'imaginer autrement qu'habillé.

Les années passent, et, après ce premier âge de la sexualité, arrive le deuxième. Vers onze, douze, treize ans ou plus tard, les garçons et les filles commencent à être attirés puissamment les uns par les autres. Va-t-on les autoriser à « faire usage » de leur zizi ? Pas du tout, ils sont considérés comme trop jeunes pour. On va procéder avec eux à une sorte de castration provisoire. La loi elle-même le proclame. Même désirant et consentant, en dessous d'un certain âge baptisé « majorité sexuelle », toutes activités sexuelles est prohibées et pourchassées avec une extrême sévérité.

Arrive enfin, après nombre d'années, le troisième âge de la sexualité. Le sexe devient enfin autorisé. Mais en suivant quels exemples, quelles règles ? On a habitué dès l'enfance les garçons et les filles à l'idée qu'il existe ici un domaine particulier, régi par des lois particulières. On va les chercher. Chercher à les suivre. Et ce faisant on va complètement s'égarer.

Car « le sexe » est en fait régi par les lois générales du comportement humain et pas par des règles différentes, spéciales, particulières.

La première des lois générales à suivre consiste à trouver la réponse à la question : « qu'est-ce que je veux ? » Ici on la remplacera par autre chose : l'obligation de suivre telle ou telle règle, quand bien-même elle nous contrarierait. Ainsi, par exemple, on croit que si on est d'accord pour « faire l'amour », et qu'on cherche à le faire, tout va bien. Alors que la question de fond, niée, bien cachée est : « en ai-je authentiquement envie ou est-ce juste une approbation d'origine culturelle ? »

La plupart du temps, quand des humains « font l'amour », ils suivent un raisonnement intellectuel et pas un désir véritable. Et cette manière de faire ronge et ruine à la longue tout accord entre les humains concernés. Je suis arrivé à cette conclusion après cinq dizaines d'années de réflexion. Il ne s'agit nullement pour moi de condamner l'acte sexuel, ce qui serait absurde et a aussi déjà été fait. Mais de considérer celui-ci bienvenu seulement quand existe un désir authentique et non une démarche qui relève du conditionnement reçu. Ce conditionnement reçu amène également à croire en la nécessité de se mettre en ménage avec la personne qu'on a choisi intellectuellement comme partenaire sexuel.

La source de la confusion entre sympathie, tendresse et sexe obligatoire avec vie à deux si « c'est sérieux », vient de l'existence de l'économie sexuelle. C'est-à-dire du corpus d'implications économiques qu'on accorde à la sexualité. Dans celui-ci, traditionnellement, la femme dépend matériellement de l'homme. Elle est également un objet de consommation, une sorte de meuble appartenant à l'homme. Il s'agit d'une tradition très ancienne. Ainsi, par exemple, la femme apparaît dans le dixième commandement biblique comme la propriété de l'homme : Tu ne convoiteras ni la femme, ni la maison, ni rien de ce qui appartient à ton prochain. Un âne, un tapis, une maison, une femme... sont définis comme des propriétés du « prochain », qui, par définition, est de sexe masculin. Seul l'homme est propriétaire. La tradition prétend aussi que si une femme est « infidèle » à l'homme, son propriétaire, il doit la massacrer. Il le fait avec l'aide, le soutien et la complicité de la communauté masculine à laquelle il appartient. L'amour ici est absent. Il s'agit de possession-domination. L'économie sexuelle ignore l'amour. Vouloir subordonner ce dernier à elle, c'est le nier.

Le mariage tant vanté est juste un contrat. La famille est une unité économique reproductive. Le mariage et la famille peuvent être beaucoup plus que ça. Mais compter juste sur leur existence administrative pour assurer le bonheur est un fantasme.

Il existe des problèmes généraux, des problèmes individuels et également des problèmes individuels qui sont l'expression de problèmes généraux. On tend souvent à nier le caractère général de problèmes particuliers quand il s'agit de la relation homme-femme. Si ça ne marche pas, c'est qu'on n'a pas « trouvé la bonne personne », « on a trop attendu de l'autre », c'est la faute à « pas de chance », ce sont les femmes « qu'on n'arrive jamais à comprendre », ou bien les hommes « qui ne veulent pas s'engager »... C'est toujours la faute à l'autre, à des impondérables. Mais, quand les mêmes incidents touchent simultanément des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, comment ne pas voir là l'expression d'un phénomène général vécu au plan individuel ?

Je connais quelqu'un qui voue un véritable culte à l'institution matrimoniale. Pour cette personne, le mariage est un acte fabuleux porteur des espoirs les plus grands, assurant des lendemains qui chantent. J'ai aussi dans mes connaissances une jeune fille qui considère sa virginité comme un bien précieux à préserver. Je ne partage pas ces convictions. Cependant, elles ne me dérangent pas. Simplement je vois les choses différemment. Peut-être que pour ces personnes effectivement le mariage est un acte fabuleux et la virginité un bien précieux.

Je ne conteste les convictions des autres que quand elles portent atteintes à l'intégrité des gens. Si quelqu'un est pour l'excision des petites filles ou l'assassinat des femmes accusées d'adultère, je suis opposé. Car ce sont des positions qui portent atteinte à l'intégrité des gens.

Une amie m'a dit à propos de mes convictions concernant l'amour et la sexualité que j'avais tort de généraliser mes impressions. Que chaque culture nationale différait, chaque comportement, chaque individu était unique. Cette manière de présenter les choses à mon avis conduit à noyer le poisson. Que ça nous plaise ou non, il existe des lois générales, même si elles sont mal connues, voire niées.

Quand un mariage sur deux à Paris et un sur trois en province fini par un divorce, ça signifie quelque chose. Des quantités de gens ont cru avoir vécu « le plus beau jour de leur vie », qui allait changer leur existence. Et voilà que tout vole en éclats. Le problème vécu ici directement par deux personnes est l'expression à leur niveau d'un problème de société. Et que dire d'autres graves dégâts surgissant dans les relations homme-femme à grande échelle ? Dépressions, suicides, crimes « passionnels », viols, agressions sexuelles, recours à la prostitution, etc.

Pour éviter de réfléchir devant cette situation, c'est trop facile de renvoyer les victimes à un sort individuel malchanceux. Il existe autre chose. Des règles à trouver pour éviter tant de souffrances et de malheurs. J'en propose certaines. Je peux me tromper. Mais en tous cas le débat doit être et rester ouvert. Et chercher à comprendre comment et de quelle façon se présentent les problèmes c'est déjà commencer à les résoudre.

Basile, philosophe naïf, Paris le 21 août 2014

vendredi 15 août 2014

272 L'invention du désir permanent et les enfants des premiers jours

Pourquoi les humains se plaignent-ils tant de ne pas arriver à connaître l'amour ? Très simplement parce qu'ils ignorent ce que c'est et cherchent dans de mauvaises directions.

Parmi celles-ci on peut en identifier plusieurs :

Le « mariage » : se « marier » assurerait le bonheur. Mais, le mariage, qu'est-ce que c'est ? Juste un contrat passé devant les autorités civiles ou religieuses. Pourquoi juste un contrat assurerait-il le bonheur ?

Le « Grand Amour » : là, on joue avec les mots. On décrète qu'un « amour », soit une relation entre deux personnes est qualifié « Grand ». Une démarche sémantique qui relève de la magie. Je te baptise vert, si tu es rose, dorénavant tu es vert.

Le « sexe » fabuleux : la pratique de l'acte sexuel avec une personne donnée entraînerait une jouissance extrême. Encore un mythe qui a la vie dure. Et conserve ses adeptes.

La « beauté » : une femme ou un homme très « beau » physiquement assurerait le bonheur de par sa beauté. Une belle ânerie qui fait régulièrement le malheur d'une quantité de gens, notamment des dites très belles personnes qui se font pourchasser par des troupeaux d'imbéciles.

Le plus d'« aventures » possible : coucher avec un maximum de partenaires jeunes et jolies assurerait le « bonheur ». Cette recherche frénétique conduit à divers délires. Un homme riche et célèbre qui collectionnait les belles amours tarifées a même fini par se faire prendre à « entreprendre » une femme de ménage dans un hôtel et voir sa carrière politique terminée.

On voit proclamer des « catégories » qui seraient sensées chercher l'amour : homosexuelle, hétérosexuelle, bisexuelle, asexuelle. Les uns chercheraient l'amour avec des personnes du même sexe qu'elles, les autres avec des personnes de sexe opposé, les troisièmes avec des personnes des deux sexes, les derniers éviteraient le sexe. A tous ces gens-là, il est bon de dire : « votre démarche vous regarde, je ne suis pas concerné et ne fait pas partie de votre société ».

Car le sexe est une chose totalement secondaire. Il existe. Mais le plus important est une chose que vous ignorez tout en l'invoquant fréquemment : c'est... l'amour.

Aucune espèce animale, l'homme y compris, n'a en permanence l'envie de s'accoupler. Vous êtes de pauvres gens abusés par votre éducation et croyez que le « sexe » est une activité permanente à pratiquer ou rejeter en permanence.

L'amour, la plupart du temps ignore le sexe. Si le sexe était de la crème fouettée, vous feriez penser à des abrutis qui ramènent une quantité de crème fouettée à ajouter à tous les plats, toutes les boissons qui existent, pire même, toutes les activités. Je veux me promener ? Voici de la crème fouettée ! Je veux faire du sport ? Voici de la crème fouettée ! Je veux manger un sandwich au saucisson ? Voici de la crème fouettée !

Comment ? La crème fouettée te dérange ? Mais c'est très bon, la crème fouettée ! Si tu n'en veux pas, c'est que tu ne l'aimes pas, tu as « un problème » !

Voilà où en sont rendu les milliards d'imbéciles qui ramènent le sexe dans la relation humaine quand il n'a rien à y faire. L'acte sexuel n'est pas quelque chose d'anodin. Et, quand le jour J à l'heure H il n'a pas sa place dans une relation, si tendre et affectueuse soit-elle, on doit le laisser de côté.

Les humains, abusés par leur éducation, assimilent toutes leurs réactions génitales à « l'obligation » de « faire l'amour ». Ils croient aussi que la masturbation exprime le besoin de « faire l'amour ». Alors qu'elle est l'expression de la compensation du manque affectif causé par l'abus de la recherche systématique et permanente de l'acte sexuel. Celui-ci ne devant être recherché que quand un vrai désir réciproque existe, ce qui arrive rarement.

Quand on ne cherche plus systématiquement à mimer les gestes de la reproduction, on découvre la réalité de soi et des autres, qui est pour le moins surprenante. Et l'amour, on le voit partout.

On aime librement. On est libre. Débarrassé de la mythologie amoureuse et sexuelle, on vit enfin sa vie tranquille, loin de l'agitation stupide des autres : les proclamés homosexuels, hétérosexuels, bisexuels ou asexuels. On ne se rattache plus à une des quatre catégories qui s'agitent et croient chercher l'amour. On « est » la relation. On « est » l'amour.

On ne participe plus de la vaste cacophonie ambiante. On préfère et suit la petite musique des fleurs.

Et on se retrouve tel qu'on a toujours été, enfant des premiers jours.

Basile, philosophe naïf, Paris le 15 août 2014