lundi 3 décembre 2012

15 Nomades-sédentaires : un conflit ancien et méconnu

Depuis des siècles et probablement des millénaires, la société humaine, y compris aujourd'hui en France et à Paris, est traversée par un conflit sans merci dont l'existence n'est pas reconnue : le conflit entre nomades et sédentaires.

Avoir un domicile fixe, en être même si possible propriétaire, est un des fondements de nos sociétés sédentaires. Et en politique, le territoire, les frontières diverses, marquent également les limites d'entités siégeant dans des palais emblématiques de leur existence-même. Que serait le Président de la République française sans son Palais de l'Élysée ? Et que seraient nos ministres ou nos maires sans les imposants bâtiments de leurs ministères et les plus ou moins imposants bâtiments sièges de leurs mairies ?

Le Palais de l'Élysée est doté, en permanence et y compris en temps de paix, d'une protection impressionnante, allant jusqu'à l'interdiction au public du trottoir le long de son mur d'enceinte, chose que je n'ai vu nulle part ailleurs dans Paris.

Le Palais de l'Élysée est doté, en permanence et y compris en temps de paix, d'un arsenal de guerre imposant. Un gendarme me disait, il y a une trentaine d'années : « il y a là de quoi faire sauter tout le quartier ! ».

Cet attachement identitaire et viscéral du sédentaire au territoire, au bâti, tout cela, de par son organisation-même, le nomade le nie. Il se déplace en roulotte, vit sous une tente. La petite roulotte en bois clame par sa seule existence-même au palais doté d'une armée, à la villa pourvue de gardes et de caméras de surveillance : « vous n'êtes rien, vous me faites rigoler ! Une simple baraque sur roues, pas de terrain fixe, ça suffit bien pour vivre, et pas d'attaches, un jour ici, un jour ailleurs, vive la liberté ! »

Le sédentaire voue au nomade une hostilité traditionnelle totale. Quand, pour le plaisir momentané des vacances, le sédentaire adopte la roulotte, il lui faut inventer un mot nouveau : la « caravane ». Il fait du « caravaning » et n'adopte pas des mœurs tziganes durant ses vacances !

En Roumanie, une réforme de l'orthographe a supprimé jadis le « a » accent circonflexe pour désigner un son particulier. Seul le « i » accent circonflexe est resté pour le représenter. Excepté pour un seul mot et ses dérivés, le nom du pays et de ses habitants : România, român... pourquoi ? Pour rappeler graphiquement Roma, la ville de Rome, les Romains... et surtout éviter que ces noms rappellent rom !

L'hostilité anti-nomades va jusqu'à inventer des mots nouveaux ou conserver des orthographes anciennes.

Les nomades, eux, ont souvent le dessous. Sauf en des temps reculés, où on vit par exemple Timur Lang chef nomade conquérant la Chine. Il abattait les clôtures, ne voulant voir dans les terres que des prairies sans limites pour les chevaux !

Sinon, depuis des siècles, les nomades ont perdu face aux sédentaires. On oublie, par exemple, mais il faut le rappeler, que les guerres indiennes aux États-Unis, étaient aussi en partie des conflits nomades-sédentaires. Certaines nations indiennes, pas toutes, étaient nomades.

Pour régler la question des nomades, les sédentaires ont avancé deux solutions : la première, c'est « l'assimilation ». Soi-disant, le nomadisme serait un état inférieur à la sédentarité. Améliorer le sort des nomades consisterait à les obliger à se sédentariser.

Pour y arriver, on use y compris de moyens hypocrites. La scolarité obligatoire de leurs enfants devant se faire dans des écoles fixes (pourquoi ?), les nomades sont tenus de se fixer tout le temps de l'année scolaire. Résultat, certains nomades ne nomadisent que durant les congés scolaires. Mais d'autres ne mettent simplement pas ou peu leurs enfants à l'école.

Au côté de la sédentarisation forcée, on remarque une « solution » criminelle : elle consiste à assassiner les nomades. Cette politique a été appliqué à grande échelle en Europe par les nazis. Elle semble avoir conforté, parmi les sédentaires, quantité de gens qui ont en quelque sorte « oublié » ce massacre. Au point qu'un rescapé a baptisé le livre qu'il a écrit sur le sujet : « Le génocide oublié ».

Des meurtres de tziganes continuent à se perpétrer de nos jours, commis par certains partis politiques extrémistes, dans les pays d'Europe où la communauté nomade est importante.

D'une façon générale, la nomadophobie est très forte dans tous les pays d'Europe. Quand mon amie et moi avons été victimes de pickpockets dans un tramway de Turin, il y a quelques années, le policier qui a reçu ensuite notre déposition, a écrit d'office que les voleurs étaient de type zingari, c'est-à-dire de type gitans. Nous n'avons jamais dit, ni remarqué cela, s'agissant du groupe dont faisaient partie nos voleurs. Mais, pour ce policier, un voleur était forcément gitan.

La nomadophobie s'est traduite en France, depuis quelques années, par les expulsions de campements roms. Elles sont organisées autant sous le gouvernement Sarkozy, dit « de droite », que sous le gouvernement Hollande, dit « de gauche ». Les policiers détruisent des bidonvilles, qui vont ensuite se reconstituer ailleurs, car leurs habitants nomades n'ont pas d'autre solution pour s'abriter. Encouragés par l'exemple officiel, il arrive à présent que des particuliers sédentaires organisent eux-mêmes les opérations de destructions.

Il est dommage de voir se perpétuer un conflit. Si on souhaite y mettre un terme, il faut au départ reconnaître le fait nomade, accepter le nomadisme et l'aménager pour le rendre vivable dans de bonnes conditions. Ce qui signifie aussi que la scolarité puisse se dérouler en nomadisant. Que les nomades aient du travail et pourquoi pas ? demain, une université nomade, tout ce qui assure une vie décente et agréable.

Mais, en des temps où quantité de sédentaires se retrouvent jetés à la rue et sans domicile, peut-on espérer un tel changement de politique ? On peut en douter. Plus tard, si la politique change, alors là, oui, on pourra chercher à mettre un terme au conflit nomades-sédentaires. Pour l'harmonie et l'enrichissement mutuels de ces deux communautés en guerre depuis si longtemps.

Ögödei, chef nomade, avait créé en 1235 sa capitale : Karakorum. Elle était fixe et il y plantait sa yourte. Peut-être, un jour, verrons-nous naître une nouvelle capitale créée par les nomades, mais entièrement mobile, cette fois : Karakorum II. C'est là que pourra se trouver l'université nomade.

Basile, philosophe naïf, Paris le 5 novembre 2012








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