mercredi 30 janvier 2013

84 A propos de la Procréation médicalement assistée


Suite au débat passionné sur « le mariage pour tous », j'entends beaucoup de bruit fait autour de la PMA, c'est-à-dire la Procréation médicalement assistée. Doit-on ou non l'autoriser aux couples formés de deux dames ? Telle est la question posée. En substance, une dame qui aime une dame, pour être aussi maman devrait obtenir l'autorisation du juge, de la police et du législateur. Pour ne pas traumatiser l'enfant à venir, on se demande s'il faut l'autoriser à naître. Ce qui m'intrigue, c'est la façon dont la question est formulée. En effet, le secours de la médecine est nécessaire dans des cas de problèmes de fécondité. Par exemple, si le sperme est insuffisamment fourni en spermatozoïdes on va le centrifuger pour le rendre plus potentiellement fécondant.

Mais si les deux individus mâle et femelle appelés à se reproduire n'ont pas de soucis particuliers avec leurs capacités reproductives, la médecine n'a rigoureusement aucune utilité.

Oui, mais, feront remarquer certains, si la dame ne souhaite pas recevoir en elle le zizi du monsieur, comment pourra-t-elle faire pour se retrouver enceinte ? Tout simplement en utilisant avec le monsieur le matériel vétérinaire canin simple d'utilisation, sans danger, pas cher et en vente libre.

Il peut aussi être utilisé chez un couple hétérosexuel où l'homme éprouve des difficultés d'érection.

Ce matériel que j'ai reproduit ici en photo se compose d'un long entonnoir en plastique souple, dans lequel par masturbation est recueilli le sperme du chien. Il va au fond du tube en verre gradué. Dans celui-ci la précieuse liqueur de vie est ramassée avec la seringue dépourvue d'aiguille. Puis, avec ladite seringue on fait comme si elle était le pénis du chien. On pénètre vaginalement la chienne. Ensuite on vide. Et le tour est joué. La même façon de procéder peut être suivie avec des humains.

Pas besoin de faire dix années d'études de médecine pour réussir la procréation artificielle. Il suffit de savoir manier un entonnoir et une banale seringue en plastique. Elle est pas belle, la vie ?

Que le matériel vétérinaire puisse servir pour les humains n'a rien d'étonnant. C'est souvent le même. J'ignore cependant dans quel récipient est recueilli le sperme dans les banques de sperme humain. Il paraît qu'il en manque en ces endroits. Rien d'étonnant.

Il y a des années de ça, après mûres réflexions et hésitations, j'ai appelé le CECOS qui gère ces banques. Je voulais aider des couples inféconds. Les rendre heureux de manière totalement désintéressée. Ce ne fut pas possible. Motif ? On me demanda au téléphone si j'étais marié. J'ai répondu non. On a alors décliné mon offre. Pour le CECOS, en tous cas à l'époque, un don de sperme n'était imaginable qu'à condition qu'il soit le fait d'un couple à un autre couple. Et mariés en plus !

Ce curieux règlement fait que les stocks sont insuffisants. Mais, si vous vous débrouillez avec le matériel vétérinaire, il n'est pas nécessaire d'être marié pour être donneur. Il suffit de suivre l'exemple canin. Et nous obtiendrons de splendides bébés humains. J'ai fait part de l'existence du matériel vétérinaire pour l'insémination artificielle des chiennes à un certain nombre de gens ou organismes qui soulèvent ces derniers temps la question de la PMA chez les humains. Aucun ne m'a répondu. La photo reproduite ici figure également sur la base Commons de Wikipédia : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Matériel_pour_insémination_artificielle_des_chiennes.JPG

Basile, philosophe naïf, Paris le 30 janvier 2013

mardi 29 janvier 2013

83 Jouer avec Carnaval

La base du Carnaval de Paris sont les goguettes. Au XIXème siècle, quand il est immense, celles-ci prospèrent. Leur esprit carnavalesque vit toute l'année. Comme elles remettent le monde à l'endroit, on y parodie ce qui en exprime le caractère le plus direct et violent : l'autorité. C'est pourquoi les responsables des goguettes s'y affublent généreusement de décorations de fantaisie. C'est un jeu. A la même époque, au niveau de l'état, les officiels portent dorures, épées, et titres ronflants.

Charles Gilles, illustre goguettier, exprime bien cette moquerie de l'autorité. Il crée en 1839 une goguette dont les membres sont des animaux. Les femmes sont des fauvettes, et Gilles, victime désignée, le Moucheron. Marc Fournier parle de la Goguette des Animaux en 1845 :
« L'homme, ont-ils dit, est un animal de toutes les manières, par la figure comme par les passions. Il embrasse, dans ses variétés innombrables, les quatre grandes divisions zoologiques: il est vautour ou hibou, rat ou lion, vipère ou hareng saur, car nul animal n'est plus animal que l'homme ! »
C'est par suite de ces magnifiques découvertes que le bouchon de la rue de la Vannerie recèle dans la personne de ses habitués une ménagerie qui eût fait pleurer d'attendrissement défunt M. de Jouffroy lui-même. Les Animaux, admettant, d'ailleurs, avec Descartes, toute l'importance du langage philosophique, ont étayé leur système d'un argot aussi riche que figuré. Le président du cénacle s'appelle le Moucheron, en vertu du privilège dont il jouit de bourdonner beaucoup pour ne rien dire. Le marchand de vin chez qui se tient l'assemblée se nomme le Terrier, parce que son local ressemble plutôt à une cave qu'à un boudoir. Le Cricri, c'est le maître des chants, animal monotone et soporifique. Carter, ce fameux dompteur de bêtes féroces, est devenu le plus impérieux des commandements, et signifie silence ! La séance s'ouvre par ces mots : La grille est ouverte ! La formule des libations est celle-ci : Du vin dans les auges ! Les battements de mains sont proscrits comme indignes de tout animal honnête, et la satisfaction s'exprime en frappant sur la table, de la patte ou du sabot. Le visiteur, par un sentiment d'hospitalité fort remarquable, a été nommé Rossignol. Quand un Rossignol veut passer bête, on ferme la grille et l'on procède à la cérémonie du baptême. Le Moucheron monte sur la table, tenant dans ses pattes un verre de trois-six médiocrement coupé, et le néophyte est introduit. Il faut que le jeune aspirant vide l'auge sans la plus légère grimace, en récompense de quoi le Lion lui impose les griffes et le Sapajou le consacre au râtelier par un geste sublime, ce geste qui déploie si bien les grâces du gamin de Paris ! La cérémonie se termine par une aspersion d'eau fraîche que le nouvel animal reçoit sur les oreilles, après quoi on l'émancipe par ces mots : Vu, tu es bête ! – Les Animaux, pensant avec Figaro que la femme est une créature aussi décevante que perfide, ne lui infligent jamais le baptême et ne l'admettant qu'à titre de visiteuse sous le pseudonyme de Fauvette.  ...
A l'époque, les goguettes sont tenues de faire savoir aux goguettiers réunis, en début de séance, qu'il faut éviter la politique. Gilles, paraît-il, au contraire, annonce : « Ici, on peut dire merde au roi ». Quand il se retrouve filé en permanence par un mouchard, il lui paye à boire.
Certains récupérateurs ont voulu faire de Gilles un révolutionnaire, alors qu'il est juste un carnavaleux. S'agissant de politique, il n'est pas révolutionnaire, ses opinions exprimées dans sa chanson Le Bataillon d'Afrique épousent parfaitement la cause coloniale :
Chef de la tribu perfide
Qu'Abd-el-Kader soudoya,
Monte ton coursier numide,
Si tu crains la razzia,
Surtout fais passer devant
Ta sultane et ta barrique.

Nous venons, sans plus d'entraves,
Pour régler certains écots ;
Vous allez danser, mes braves,
La danse des moricauds ;
C'est nous qui, dorénavant,
Vous fournirons la musique.
L'esprit de dérision du Carnaval est toujours bien vivant au Carnaval de Dunkerque. Comme me le disait il y a une quinzaine d'années une carnavaleuse, quand je lui faisais remarquer que le maire de Dunkerque participait aux festivités : « on ne lui demande rien. » Sous-entendu : « s'il est là, on s'en fout qu'il soit là. Ça ne nous dérange pas. Mais s'il ne serait pas là, ce serait pareil. Nous on fait la fête ! » Comme traditionnellement le maire jette des « kippers », des harengs le Mardi Gras du haut du balcon de l'Hôtel de Ville de Dunkerque, une année, de la foule où ils atterrissaient on se mit à scander : « Delebarre du homard ! » Delebarre étant le maire de la ville. Voulant jouer le jeu et plaire aux carnavaleux, la mairie par la suite ajouta aux kippers cinq homards en plastique grandeur nature. Il fut annoncé qu'en échange de ceux-ci serait remis à ceux qui les rapporteraient un vrai homard. Las ! C'était ne pas connaître l'esprit de dérision du Carnaval. Depuis ce moment, jamais aucun homard en plastique n'est revenu à la mairie de Dunkerque. Ils sont soigneusement conservés comme trophées. J'en ai vu un dans une « société philanthropique et carnavalesque » dunkerquoise. On me l'a exhibé fièrement. Témoin de la joyeuse bataille qui a du se livrer pour s'en emparer le jour du Carnaval, il était un peu amoché. Il lui manquait une antenne.
Les carnavaleux, par leur esprit, leur costume, montrent qu'ils s'en fichent de tout le décorum, la mise en scène étatique. Certains ont voulu en faire des révolutionnaires. Ce ne sont pas révolutionnaires. Car le révolutionnaire fait partie du système politique général. Il veut remplacer une institution qu'il critique par une autre sensée fonctionner qu'il dirige. Le Carnaval se moque de l'institution. Là où des singes jouent à être plus qu'ils ne sont. Le carnavaleux lui est un singe et le revendique bien fort. Ce rejet de l'autorité se retrouve dans le refus du code de convenances et morale sexuelle qui vient introduire la police jusque dans l'intimité des chambres à coucher. Ce qu'il est convenu d'appeler des débordements dans le domaine des mœurs au moment du carnaval, plus que les orgies des classes dirigeantes riches, sont en fait la négation de l'hypocrisie régnante.
En pleine foule de carnaval dunkerquois, j'ai senti une main me tripoter un endroit précis. Une jeune femme un peu éméchée, en rigolant avait entrepris sans se cacher de chercher à déboutonner ma braguette ! L'esprit régnant du Carnaval a fait que j'ai ri et me suis écarté. A un autre moment, là c'était en regardant le rigodon final de Malo-les-Bains, j'ai senti une main sur moi dans mon dos. Je me suis retourné et ai vu un masque de Carnaval dont j'étais incapable de préciser le sexe exact. Qui me regardait fixement. Dans ces deux cas, je me suis fait la réflexion qu'en temps normal j'aurais mal pris ce qui me faisait rire ou ne me faisait rien parce que c'était le Carnaval.
Bien sûr, si on veut, on peut certainement, comme me disait un sapeur-pompier de Paris à propos des Carnavals d'Allemagne, avoir une aventure sexuelle par jour de Carnaval. Mais plus encore que la possibilité d'aventures, le Carnaval, en se moquant de l'autorité efface les règles dominants la relation homme-femme. Et, en particulier, assure aux femmes la liberté d'exister. En Guyane, société extrêmement machiste, au moment du carnaval, elles se déguisent en touloulous. Et draguent ouvertement, comme le font les hommes, tout le reste de l'année.
Basile, philosophe naïf, Paris le 29 janvier 2013

lundi 28 janvier 2013

82 Société à l'envers et fête à l'endroit


Quand on consulte des écrits d'érudits qui cherchent à donner un sens au Carnaval, on trouve fréquemment la référence faite à « l'inversion des valeurs ». Le Carnaval serait « la fête à l'envers ». Elle poursuivrait une tradition rencontrée déjà dans les Saturnales de la civilisation antique romaine où l'esclave prenait momentanément la place du maître durant la fête.

Je propose une vision inverse de la chose. C'est la société qui marche sur la tête. Le Carnaval, lui, remet momentanément le monde à l'endroit.

Que sont les « grands de ce monde » ? Des hommes comme vous et moi, avec des cheveux, des ongles, des dents, un œsophage... Pourtant, nous sommes bombardés en permanence de textes, propos et images agressives qui cherchent à en faire plus que des hommes. Ce qui fait qu'on éprouve de la difficulté à imaginer Vladimir Ilitch Lénine, illustre fondateur du Communisme, ou Sa Sainteté le Pape, en pyjama, assis sur la cuvette des WC en train de déféquer.

En 1980, je disais à un jeune et gentil Anglais qu'à mon avis le prince et la princesse de Galles, avant d'être prince et princesse, étaient des êtres humains comme lui et moi. A quoi il me répondait : « je ne suis pas d'accord. »

En 2011, j'assistais au défilé militaire du 14 juillet depuis une tribune dont l'accès se faisait sur invitations. Pour une raison inconnue j'en avais reçu une. J'ai vu passer de près le président de la République. A la fin du défilé, il est repassé, dans une voiture plus discrète. Près de moi, un homme était littéralement en extase : « j'ai vu passer le président de la République ! J'ai vu passer le président de la République ! Il m'a salué de la main ! » répétait-il très excité. On a tout à fait le droit d'admirer le président. Mais est-ce une créature merveilleuse ou un homme ?

On voit ici que le simple être humain promu chef d'état, d'Église ou d'idéologie, se métamorphose aux yeux de certains en une sorte d'être supérieur à l'homme.

Or, qu'arrive-t-il au Carnaval ? Grâce au déguisement, tout le monde peut changer de sexe, identité, rang, grade, couleur de peau, culture, nationalité. On a libre accès à toutes ces caractéristiques. En fait, en agissant ainsi, on nous ramène tous à la seule identité réelle : humain et pas plus.

Le théâtre social où le président, le roi ou le pape habite une maison trop grande, c'est-à-dire un palais, suggérant ainsi qu'il est très très grand, s'évanouit au moment du Carnaval.

Ce que révèle cette fête, c'est que le monde marche à l'envers et la fête marche à l'endroit.

On comprend pourquoi les rois, chefs et autres bénéficiaires de l'ordre habituel régnant n'aiment pas le Carnaval. En Allemagne, par exemple, là où il existe, c'est l'occasion pour les chansonniers de se moquer des hommes et femmes politiques en place, devant une foule de carnavaleux en train de boire joyeusement de la bière dans d'immenses salles. Les hommes et femmes politiques ont beau faire comme s'ils aimaient le Carnaval. En fait ils le détestent. Le maire de Münich est un exemple. Il y a quelques années, il venait faire risette aux organisateurs du Carnaval. Mais quand ces derniers voulaient organiser un défilé, il faisait savoir par ses services qu'un tel défilé nécessitait de suspendre le trafic des trolleybus et les remplacer par des autobus. Conclusion : il fallait que les organisateurs du défilé règle une facture faramineuse pour faire venir et circuler ces autobus dans la ville le temps du défilé. Faute de moyens financiers, ceux qui voulaient organiser le défilé y renonçaient. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de l'hostilité des politiques envers le Carnaval.

Basile, philosophe naïf, Paris le 28 janvier 2013

samedi 26 janvier 2013

81 La base des « couples qui marchent »


De nos jours, le divorce est une pandémie. Et les couples non déclarés en mairie qui se séparent sont innombrables. Avant, les enfants de parents divorcés détonnaient au milieu d'une classe. Aujourd'hui on serait presque tenté d'affirmer le contraire. On remarquerait plus les enfants de couples toujours mariés. Une dame née en 1913 me répétait souvent il y a une dizaine d'années : « je ne comprends pas pourquoi les gens se séparent tant ». En fait, s'il est vrai que l'indépendance morale et matérielle des femmes plus fréquente aujourd'hui qu'hier y est pour quelque chose, il existe une autre raison. Ceux qui, en apparence, se « séparent » ainsi n'ont en fait jamais été vraiment ensemble. Et les vieux couples qui durent ou les nouveaux appelés à durer n'ont pas vraiment souvent compris exactement la nature de leur relation, au point de savoir l'expliquer à d'autres.

Dans les années 1980, une dame née vers 1930 me disait : « je ne comprends pas les jeunes qui se séparent pour un oui ou pour un non. Nous, avec mon mari, on avait des objectifs communs. Par exemple : acheter une salle à manger. »

Ce propos m'avait intérieurement fait rire. Je me disais que cette vision de la relation de couple était vénale, matérielle, sordide et pas sentimentale. Moi, je mettais l'amour en avant. Je l'ai tant et si bien mis en avant qu'un jour de 1992 j'ai dû réviser ma façon de faire et penser. Sinon, jouet de dames qui s'amusaient de ma personne à la façon du gentil chat avec la malheureuse souris, j'étais arrivé au bout de mes peines. Seule me restait la souffrance avec la perspective du suicide. J'ai préféré mettre dans le vin du sentiment l'eau du raisonnement et rester en vie. La dame à la salle à manger n'avait pas forcément tort. En ce sens que son mari et elle n'étaient probablement pas liés simplement par des objectifs matériels. Mais comment aurait-elle pu m'expliquer une chose qu'aucun livre n'explique jusqu'à présent ?

La base de la société humaine, la relation fondamentale, c'est le binôme. Le plus connu est le binôme mère-enfant. Il existe aussi entre les adultes.

Quand on cherche à expliquer à un malheureux solitaire comment rencontrer l'amour, on est amené à lui dire de prendre son temps. Cesser de chercher. Connaître l'autre... en fait, laisser le temps que s'établisse éventuellement une relation binomale. Relation souvent dissimulée à la vue par nos idées toutes faites sur « le couple », « l'amour », « le sexe », « la fidélité », « le mariage ».

Une amie très jolie vit seule avec sa fille. Très tôt, s'établit un binôme très solide entre elles deux. Par exemple, quand la mère un jour pleure, sa fille, qui n'a alors que trois ans, lui dit : « t'en fais pas, maman, ça va s'arranger. » La mère cherche l'amour. Et croit que c'est en couchant qu'elle va identifier la perle rare. Autour d'elle tournent des parasites masculins qui voient une jolie femme pauvre qui cherche un mari. Alors, ils lui chantent des chansons. Lui promettent du travail. Et la traitent comme une pute gratuite. Elle vit un binôme très réussi avec sa fille. De ce fait, elle ne peut pas confondre ceux qui profitent d'elle avec ce qu'elle cherche : un binôme avec un homme. Alors elle souffre sans comprendre. Et continue dans l'impasse en rêvant au prince charmant.

Un homme vit mal sa vie de famille. Il a deux enfants. Le second est de lui. Le premier non, il a épousé une femme enceinte de quelqu'un d'autre. Et il a cru bien faire de cacher son origine au premier enfant. Il fait comme s'il était le père. C'est une grave erreur. Car il sait la vérité. Elle l'empêche d'établir un binôme avec l'enfant qui n'est pas de lui. Et celui-ci sent que quelque chose cloche. Résultat : le père et son fils adoptif sont tous les deux malheureux.

Le binôme est omniprésent dans notre société. Comme présence, ou absence et besoin.

Basile, philosophe naïf, Paris le 26 janvier 2013

80 Binôme, couple et mariage


La base fondamentale d'organisation humaine est le binôme. Il consiste en l'association libre de deux individus. Ils peuvent bien sûr chacun participer librement en même temps à plusieurs binômes différents.

Un binôme n'est pas sexuel. Il consiste en ce qu'entre deux personnes on retrouve trois éléments : la confiance réciproque, la solidarité active et l'intimité. Concernant ce dernier terme, il signifie qu'on se sent à l'aise. Et on n'a pas grand chose à cacher à l'autre. Je me souviens d'une intimité très forte vécue avec une amie. Un de ses moments privilégiés était non pas quand elle se déshabillait, mais au contraire, quand elle s'habillait pour partir travailler. On se sentait absolument ensemble parce que ce geste intime consistant à s'habiller, elle le partageait avec moi. J'ai senti aussi cette proximité avec une autre amie du temps où elle se construisait une mezzanine chez elle. Je me sentais parfaitement en accord avec elle. J'ai éprouvé le même sentiment au cours d'une randonnée à vélos avec elle le long du chemin de halage du canal de l'Ourcq. C'est dire à quel point la notion d'intime que j'évoque ici est loin de toutes connotations obligatoires avec la sexualité.

Le binôme est fréquemment caché à la vue par la notion de « couple » qui implique une relation sexuelle. En fait, le couple est une invention culturelle. Il est inexistant dans certaines cultures. Et régit de façons très différentes suivant les lieux géographiques et les individus concernés. L'enfumage rencontré fréquemment consistant à prétendre que le couple suit un modèle unique et immuable. Une jeune femme a été jusqu'à m'affirmer un jour que le couple était en démonstration dès la petite enfance ! Quand un enfant déclare avoir un amoureux, il serait déjà en quelque sorte « en couple ». Prétention absurde quand on écoute attentivement la parole enfantine. De même que les enfants rêvent souvent d'être pompier, aventurier, vétérinaire, cow boy ou explorateur, ils s'imaginent papa, maman et mariés. Une petite fille me disait il y a une vingtaine d'années « j'ai échangé mon amoureux avec ma meilleure copine contre un sac de billes. »

Cette rage de justifier les structures existantes de la société se retrouve aussi chez ceux qui justifient le couple humain en faisant référence aux espèces animales qui vivraient en couple leur vie durant telles que l'oie, le loup ou le manchot. Cette prétention est comique. Car elle consiste à invoquer un aspect de la vie animale en oubliant les autres. Si nous sommes des loups, nous mangeons de la viande ou des manchots nous mangeons du poisson, crus et rien d'autre. C'est absurde. De plus cette invocation de la Nature est sélective. Si nous sommes réduits à notre nature, alors il faut aussi justifier pour la même raison par exemple le fait d'aller nu dehors quand il fait chaud.

Ce que je récuse dans la prétention à l'existence du couple et à sa réglementation légale : le mariage, c'est la prétention à l'intrusion de la chose publique dans la vie privée. Il est question ici de « consommation » officielle du mariage. Comme si en quelque sorte on le mangeait ou on mangeait l'autre ! De « séparation de corps » : mais de quoi le législateur se mêle-t-il donc ? En particulier je trouve un aspect de la loi que je rejette absolument : « les époux se doivent fidélité »; Ce qui dans le jargon légal signifie qu'ils sont tenus à baiser ensemble ! La Magistrature met son nez dans nos slips et sous nos draps. Je n'ai pas de compte à rendre ainsi aux autorités. Je suis libre y compris de vivre avec quelqu'un sans coucher avec. Ça ne regarde que nous deux et pas l'État.

Ou alors on fait comme la nuit de noces du Dauphin de France à laquelle s'invitait le roi en spectateur pour vérifier que les nouveaux mariés consommaient bien le fruit défendu.

Un ami qui était fiancé avec une jeune fille grecque dans les années 1950 m'a raconté une histoire similaire qui lui est arrivé en Grèce. Une nuit il sent que quelqu'un retire doucement le drap sous lequel il dort nu vu la chaleur. Il fait semblant de continuer à dormir. Et observe très discrètement. Il voit ses futurs beaux-parents et quelques autres membres de sa future belle-famille le regarder un long moment. Pour vérifier s'il est bien conformé physiquement. Puis ils remettent le drap. J'ignore si ce fut la raison, mon ami ne me l'a pas dit, mais par la suite il a rompu les fiançailles.

Croire que le binôme c'est le couple et que son ciment est sexuel est une prétention courante de nos jours. Au début des années 1990, une amie m'expliquait comme inéluctable la séparation qu'elle avait connu d'avec son petit copain. Pour preuve, elle invoquait qu'ils ne faisaient même plus l'amour. Le certificat d'amour se passe et remet à jour au lit. C'est un contrôle continu. On est un binôme parce qu'on couche régulièrement ensemble. Hier, c'était parce qu'on était marié ensemble.

Réduire la binômie au couple et au mariage indissociable d'une obligation sexuelle exclusive. Le coït impératif avec un partenaire qui occupe tout le champ de votre vie. Me paraît abusif et inhumain. Je revendique le droit légitime de vivre la relation de confiance, solidarité, intimité avec le nombre de gens que sera. Et être libre d'avoir avec ou non une relation à caractère sexuel ou pas.

L'équation jalousie ou débauche est caricaturale. Si on suit son cœur, on est très loin de vouloir coucher frénétiquement. On est plutôt calme, serein, tranquille. Ce sont les personnes liées par contrats et enfermées dans la jalousie qui se sentent frustrées, rêvent d'orgies et en font parfois.

Le contrat de mariage présente une anomalie. Il est en principe, sauf dénonciation, à durée illimitée. Or un engagement officiel à vie ne devrait jamais exister. Ça n'est pas humain. Il faut qu'il soit reconductible. La reconduction donnant lieu à autant de fêtes correspondantes. Si on s'entend bien, on se remarie un grand nombre de fois avec la même personne. Chaque échéance est une fête. Et si on ne s'entend plus, eh bien on ne renouvelle pas.

On fait aujourd'hui beaucoup de bruit autour du mariage pour tous. Le président de la République qui le défend a passé sa vie en concubinage. Son prédécesseur lui a divorcé trois fois ! Nous avons vraiment à la Magistrature suprême de la France des spécialistes de l'union matrimoniale à vie.

Le mariage n'est pas lié à l'amour. On peut se marier sans s'aimer. Ce qui est triste c'est de voir certains croire que le mariage régit l'amour, l'union entre les êtres. Alors que seuls les sentiments inter-agissent entre deux personnes. Et échappent au contrôle étatique.

J'ai l'impression que certains homosexuels s'imaginent qu'en accédant au mariage, ils feront reculer les comportements homophobes. En fait, l'homophobie est intolérante et irrationnelle. Seules les personnes qui rejettent l'homophobie verront dans le mariage pour tous un progrès. Les homophobes se replieront un peu plus sur eux-mêmes et en voudront encore plus aux homosexuels.

L'actuelle campagne contre le mariage pour tous en fait bien la démonstration. Les homophobes sont littéralement déchainés contre l'octroi d'un bout de papier légal que déjà des millions de personnes en union libre ne cherchent pas à mettre dans leur vie.

Chacun de ceux qui plaident pour ou contre le mariage homosexuel font du mariage un droit fondamental alors qu'un grand nombre de gens y ont déjà renoncé. La promotion de la binômie m'apparaît nettement plus importante que ce qui concerne l'arsenal juridique qui prétend régler la relation intime entre les humains dans notre société. Je vais sans doute me marier, y compris à l'église, pour faire plaisir à mon amie. Mais seule la relation avec elle m'importe. La cérémonie, les discours et papiers officiels m'apparaissent appartenir au folklore. Un peu comme ces châteaux-forts de jadis, hier disputés et symboles de pouvoir, et aujourd'hui réduits au rang de tas de cailloux touristiques. Le mariage est un cœlacanthe social, un souvenir des temps anciens, une relique du passé. C'est un reste de l'époque où le cocufiage était en France puni de prison pour les dames.

Basile, philosophe naïf, Paris le 25 janvier 2013

vendredi 25 janvier 2013

79 Le Grand Je


Préambule

Considérant que la société où nous vivons est trop souvent triste, sordide, médiocre, vénale, conflictuelle et sans idéal. Pour la rendre amusante, poétique, conviviale, joyeuse, caressante, festive et chantante. Nous allons lancer au printemps 2013 le Grand Je.

Voilà de quoi il s'agit :

Nous allons reprendre en l'actualisant l'expérience festive de nos aïeuls. La remettre au goût du jour et en profiter.

Nous en ferons un jeu. La base sera nous. Le but sera nous amuser ensemble.

Le Grand Je est là. La vie change. Le bonheur s'installe.

Nous créons notre propre soleil.

Même si le ciel grisaille. En nous et autour de nous il y a des couleurs.

1 – Quelques obstacles à éviter

Nous devons éviter certains obstacles au nombre desquels :

La fierté personnelle qui menace dans un cadre associatif. Généralement, dans le monde où nous vivons, on ne vous fait jamais des compliments directs. Dans une association, il est courant qu'on vante ou critique son président. Ce qui fait que, au contraire de ce qui est habituel, des compliments sont faits ouvertement. Il faut que celui à qui ils sont faits prenne garde à éviter qu'ils ne lui montent à la tête. Car il risquerait alors de se prendre au sérieux. Et se croire être plus que ce qu'il est. C'est-à-dire une fraction de l'Humanité.

Il arrive aussi qu'il soit trop critiqué. Car on le prend pour un mauvais dieu. Qui n'est pas à la hauteur des miracles qu'on attend de lui. Ainsi, par exemple, en préparant le Carnaval de Paris il y a quelques années, une adhérente de la Compagnie Carnavalesque des Fumantes de Pantruche partait dans un grand exposé sur un char de carnaval orné de ballons à construire pour préparer la fête. Le président lui fit remarquer que son projet n'était pas réalisable. Car l'association ne disposait ni d'un local, ni des moyens matériels nécessaires. Il s'est alors entendu accusé d'être un casseur de rêves. En fait, dans de tels situations, il ne faut pas dire que le projet est irréalisable. Même si c'est le cas. Il faut poser la question : « et toi, comment envisages-tu de faire pour réaliser ton projet ? » Alors, c'est celui qui rêve qui va comprendre par lui-même qu'il rêve. Et va renoncer à son projet sans se sentir désavoué. Des soucis associatifs peuvent aussi surgir parce qu'un groupe se prends pour ce qu'il n'est pas. C'est arrivé en 2001 chez les Fumantes de Pantruche. Plusieurs d'entre elles se sont crues une élite. Car elles faisaient partie des pionniers de la renaissance du Carnaval de Paris, Elles ont voulut alors tout changer. Il ne faut pas se monter la tête ainsi, même si on est les premiers.

Un point sur lequel il faut insister est que dans le groupe festif on fait exclusivement ce qui nous fait plaisir. Suivons l'oracle de la Dive Bouteille de François Rabelais : « Trinch » : trinque. Profite de la vie. Amuses-toi. Si on ne se fait pas plaisir dans le cadre du groupe festif, à quoi sert-il alors ? Nous sommes empoisonnés par d'innombrables discours vantant d'accepter aujourd'hui la souffrance pour obtenir demain en échange un bien-être supérieur. Que ce soit à l'école, au travail, en politique, dans une salle de sports, on n'arrête pas de nous claironner qu'il faut renoncer à ce qui nous fait plaisir en échange de ce qui nous fera plaisir. Ainsi, en culture physique on nous dit de faire des efforts douloureux au moins un peu, afin de progresser. Ce qui fait que la plupart des gens vont accepter un temps d'agir ainsi. Puis trouver forcément ensuite des motifs d'arrêter l'entraînement. Résultat, ils ne feront plus rien parce qu'on leur a demandé trop d'efforts.

2 – Le binôme de Carnaval

Dans notre triste société, quand on est adulte, on se prend souvent un ultimatum sexuel dans la figure si on veut éviter la solitude : « trouve-toi une petite amie ou un petit copain ! Sinon, reste seul dans ton coin ! »

Durant des années, on peut ne pas rencontrer une personne avec qui on veut partager sa vie. Résultat, on reste seul.

Quantité de dames âgées veuves restent seules. Leurs enfants ont grandi et sont partis de la maison depuis des années. Elles n'ont pas l'envie ou la possibilité de se remettre en couple. Dans ce cas, pour elles, c'est pareil : « reste seule dans ton coin ! »

Le Grand Je permet aussi de sortir de ce problème.

A la base du Grand Je se trouve la plus petite unité organisationnelle carnavalesque : le binôme de Carnaval.

Il est le produit de l'expérience. Quand on se retrouve seul à s'occuper d'un projet. Même entouré de sympathisants. Ce n'est pas du tout pareil que si on est ne serait-ce que deux. Et on entraine beaucoup plus facilement les autres.

Dans quantité d'occasions il est facile de constater qu'agir en binôme offre d'énormes possibilités qu'on n'a pas quand on agit seul. C'est aussi valable pour organiser la fête et la joie.

D'où cette idée de binômes de Carnaval.

3 – La goguette

La base du Carnaval et de l'activité festive en général, c'est la goguette. Ce groupe festif et chantant compte nécessairement moins de dix-neuf personnes. A Dunkerque et dans ses alentours, presque toutes les goguettes, appelées là-bas sociétés philanthropiques et carnavalesques, comptent chacune douze adhérents. Et le Carnaval dunkerquois est le plus beau qui soi.

Les goguettes du Grand Je sont composées de six binômes de Carnaval chacune. Qui fonctionnent en assemblée. N'ont pas de chef. Et sont rigoureusement indépendantes.

Pour en former une il n'est pas nécessaire que le Carnaval existe et qu'on y participe. Bien que ce soit la fête principale des goguettes. On peut également être membre de plusieurs goguettes.

4 – Au delà de la goguette

Trois goguettes ensemble forment un Compagnie, avec à sa tête un Connétable-à-Vaches.

Trois compagnies forment un Régiment de Carnavalerie commandé par un Colonel de Carnavalerie.

Trois Régiments de Carnavalerie forment une Armée de Carnaval commandée par un Général de Carnaval.

Trois Armées forment une Légion Carnavalesque, dirigée par un Sire Rond. Dont l'emblème est le ciron ou six ronds.

Les Légions dépendent de villes. Qui sont des subdivisions géographiques. Les villes sont dirigées par des Empereurs.

Les structures au dessus de la goguette appartiennent au monde des rêves. Tous les grades de commandement sont auto-attribués, décoratifs et honorifiques. Ils peuvent être en surnombre. Une goguette peut ainsi compter trois généraux et quatre empereurs, par exemple.

Notre première goguette, celle des Jardiniers, dépend de la ville d'Atlantide et Éléphantine. Elle n'est accessible qu'en ballons dirigeables. Ses habitants sont les Atlantins et les Éléphantins. Nous n'avons pas encore inventé toutes ses caractéristiques. Mis à part qu'elle est jumelée avec la Lune. Et qu'en son centre se trouve un Temple du Chocolat. Cette ville disposera bien sûr d'un écusson, un guide touristique, des souvenirs, cartes postales, etc. Sa fanfare bigophonique montera à Paris.

Dans le Grand Je la goguette est toujours la base de tout. Y compris du délire qui vient avec.

5 – Le Jargon Je

Dans le Grand Je peut être utilisé un jargon.

Comme dans la fameuse Goguette des Animaux créée en 1839 par Charles Gilles. Pour rétablir le silence, il criait « Carter ! », nom d'un très célèbre dompteur de l'époque.

Nous reprendrons ce mot.

Conclusion

Voici en résumé les premiers éléments pratiques du Grand Je :

Commençons à élaborer les armes, drapeau, hymne, sceau, services de table, plan, horaires de dirigeables, monnaie de notre ville. A nous occuper de nos diverses tenues goguettières. Fabriquer nos insignes. Recruter et remettre en marche la Goguette des Jardiniers. Qui participera à la renaissance de la Compagnie Carnavalesque Parisienne des Fumantes de Pantruche.

Nous ferons selon notre bon plaisir. Nos vies sont à nous. Et le temps pris à rire n'est jamais perdu. Verser des larmes est excellent. A condition qu'elles soient celles du fou-rire.

Naissance officielle du Grand Je en mai 2013 autour d'une table après avoir fait la cuisine ensemble. Notre liste de douze est prête. Chacun sera prévenu s'il ne l'est déjà et invité à venir au rendez-vous. Que chacun de nos actes soit guidé par la recherche du plaisir et de la joie partagée.

Comme on l'a vu ici, le but du Grand Je est de nous amuser. Si on nous fait remarquer que ça n'est pas sérieux. Nous répondrons : « le Grand Je est sérieux, car la seule activité vraiment sérieuse consiste à nous amuser. » Pour certains, résignation et réalisme, ennui et sérieux sont synonymes et indispensables. Pour nous, ce qui n'est pas sérieux, c'est se prendre au sérieux. La vie est-ce sérieux ? Oui, à condition d'en rire. Aaaah !!! aaahh !! AahhH ! AAAh !

Basile, philosophe naïf, Paris le 25 janvier 2013

mercredi 23 janvier 2013

78 Traverser la rue et s'en aller seule


J'ai observé en moi un phénomène. Quand je traverse une rue ou une route, si je suis complètement persuadé que je ne risque pas d'être bousculé par une voiture. Que la rue ou la route est parfaitement calme. Au point que je ne regarde pas en traversant ou avant de traverser si un véhicule arrive. Je ressens un sentiment particulier de grande paix intérieure. Pourquoi ? Parce que habituellement devoir regarder si une voiture peut arriver, revient à accepter l'idée que peut-être, quelqu'un qui ne vous connait pas, va arriver aux commandes d'une machine métallique pesant des centaines de kilos et vous écrasera. C'est habituel et prudent de l'envisager. C'est aussi parfaitement inhumain.

C'est dire que nous vivons en permanence avec des peurs auxquelles nous sommes habitués. Mais qui nous traumatisent malgré tout. Ces peurs ne sont pas les seules. Ainsi, fermer sa porte à clef sous-entend que peut-être un intrus sinon pénétrera chez vous, va voler, endommager, agresser, menacer. Devoir fermer soigneusement sa porte relève aussi d'un sentiment habituel d'insécurité.

Un soir à Paris je sortais à une heure tardive de la station de métro Alésia et suivait la rue du même nom. Le hasard faisait qu'une jolie fille inconnue et seule me précédait et avait pris le même itinéraire. Je devais tourner plus loin dans la rue Didot. Il se trouve qu'elle tourna au même endroit juste avant moi. Comme elle s'approchait d'une entrée d'immeuble et visiblement avait peur que je la suive, je m'avisais de lui dire : « ne craignez rien, j'habite plus loin, je ne vous suit pas. » Elle a paru rassurée. D'autant plus que confirmant mon propos, j'ai poursuivi mon chemin. Cependant qu'elle entrait dans son immeuble.

Une autre fois à Paris, il était une heure du matin passé. Je raccompagnais deux amis jusqu'à la rue Raymond Losserand où à cette heure tardive passent souvent des taxis. Ils en prirent un. Tout à côté, une grande jeune femme attendait visiblement de pouvoir héler un taxi. Je m'approchais d'elle et lui dis : « je vois que vous attendez un taxi. Comme il est très tard, je vous propose de rester avec vous jusqu'à ce qu'il en arrive un. » Elle accepta. Le temps que son taxi arrive, elle me parla de ses déboires en tant que femme qui passe dans la rue, le métro, seule. Un jour, un homme inconnu lui a touché subitement le mollet dans un escalier du métro et s'est ensuite enfui en courant. Cette femme, allemande et blonde, en robe et manteau longs, était jolie. Et habillée de manière très sobre, pas du tout sexy. Pourtant elle se faisait très fréquemment harceler par des imbéciles frustrés.

Nous vivons sans le réaliser en permanence avec la peur de se faire écraser en traversant la rue ou la route. Mais, qu'en est-il des femmes s'agissant de la peur d'être harcelée, agressée, violée ?

Certains évaluent à 75 000 le nombre de femmes adultes violées chaque année en France. Je pense que ce chiffre dont j'ignore l'origine ne rend pas compte de la réalité. Elle est que des millions de femmes vivent plus ou moins en permanence sur leurs gardes, voire la peur au ventre. Et n'en parlent pas ou bien peu. Elles sont habituées à un risque affreux qui les traumatise.

Si je rentre tard le soir, que puis-je craindre au pire ? Une agression gratuite, ou bien être dévalisé. Une femme, c'est différent, elle peut craindre d'être violée. Et cela fait une très grande différence d'avec les hommes, qui eux, sont beaucoup plus rarement agressés sexuellement.

Et s'il y a chaque année des dizaines de milliers de femmes adultes violées, cela revient également à dire qu'il y a des dizaines de milliers de violeurs. Où sont-ils ? Comme la plupart échappent à la justice, ça signifie que nous en côtoyons tous les jours. J'en ai rencontré deux fois. C'est toujours indirectement que j'ai su que c'était des violeurs. J'ai aussi rencontré un certain nombre de femmes qui m'ont dit avoir été violées. Notre monde apparemment « civilisé » est en fait bien barbare.

Basile, philosophe naïf, Paris le 23 janvier 2013

77 A propos de nos seigneurs


Bien souvent, à lire les propos des journalistes et politiques, quand un adversaire politique est à fustiger, on ne se contente pas de critiquer ses idées et prises de positions. C'est forcément aussi, au choix ou en même temps : une canaille, un voleur, un idiot ou un fou. Il ne peut en aucun cas prétendre être quelqu'un d'ordinaire, même de bon, avec qui on n'est pas d'accord. D'une certaine façon il doit être quelqu'un de bien avec qui on est d'accord ou le diable qui est contre vous.

Pour ma part, j'ai fini, pour des raisons qui ne sont pas politiques, par rencontrer des gens de bords politiques différents. Il y en a de très bien partout et des moins bien aussi. J'ai ainsi rencontré un élu de droite très sympathique et sincèrement convaincu que le capitalisme est un système excellent. Auparavant, je n'avais guère qu'entendu parler de telles personnes et surtout en mal. Car les personnes qui me parlaient se situaient toutes à gauche. Et les gens de gauche souvent ne se fréquentent qu'entre eux, pareil pour les gens de droite. La diabolisation des gens du bord opposé est dans ce cas d'autant plus facilité.

Il serait temps d'arrêter d'insulter systématiquement ceux avec qui on n'est pas d'accord en politique. Il est parfaitement possible de critiquer et respecter. Ne pas être d'accord sans dire du mal de l'autre, mais seulement de ses opinions. Pourquoi il suffirait d'être du bord opposé pour être un voyou, une fripouille ? La vie peut nous amener à penser différemment. Nous restons néanmoins tous des êtres humains. Personne n'est obligé d'aimer ou être d'accord avec un autre. En revanche, tout le monde a droit au respect.

En France, quand on a un projet, on va souvent nous expliquer que pour le réaliser il faut des moyens financiers. Et pour les obtenir il faut demander une subvention. On nous apprend ainsi qu'il faut effectuer une tonne de démarches. Au bout, la plupart du temps on ne reçoit rien, ou très peu. Et on perd de toutes façons son indépendance. Les politiques, il faut le savoir, s'ils devaient satisfaire toutes les demandes de subventions devraient chacun disposer de ressources sans limites. Mais s'ils commençaient par refuser, ils perdraient les élections.

Ce qui fait que naît un système vicieux. Demandez n'importe quoi à un élu, un membre du gouvernement, une ambassade d'un pays étranger. A moins que votre requête soit abominable, vous recevrez toujours une réponse favorable, souvent assortie de compliments et avec rien derrière. Pour parapher ce genre de courriers existent des machines à signer. Elles imitent la signature du responsable sensé signer le courrier que vous recevez. Et qu'il n'a même pas lu. Ces machines existent au moins dès le niveau des mairies d'arrondissements des grandes villes françaises. J'en ai vu une. Elle avait la taille d'une grosse imprimante de bureau.

Les grands de ce monde, même assez petits, disposent en France d'une quantité de personnels destinés aussi à signer ces courriers bidons : « conseiller technique », « chargé de mission », sont deux titres dont on peut les retrouver affublés. Ils ne signifient rien de précis, sauf que ce sont des collaborateurs rémunérés qui effectuent le travail du responsable officiel.

Si j'ai un conseil à donner pour réaliser un quelconque projet s'agissant des officiels : ne leur demandez rien, n'attendez rien d'eux. Vous vous décourageriez et perdriez votre temps. Le monde n'a pas changé depuis le temps des rois. Quantité de charges officielles sont en fait honorifiques et gratifiantes financièrement. Ceux qui les occupent ne font pas grand chose, voire rien, à part signer officiellement, lire des discours qu'ils n'ont pas écrit et poser pour des photos où ils apposent solennellement leur signature au bas de documents dont ils ignorent le contenu exact.

Un ministre impliqué dans une affaire judiciaire avait bien résumé un jour son rôle : « je suis responsable, mais pas coupable. » Car il avait apposé sa signature au bas de décisions dont il ignorait le contenu. Ce qui fait partie de l'ordinaire des ministres. Pour réaliser un projet, j'ai eu l'occasion de parler à deux ministres de la Culture et au maire de Paris. Toutes ces personnes sont très aimables. Mais, vous parleriez à leur manteau accroché à un cintre, ce serait aussi utile pour réussir votre projet. Les policiers entre eux appellent les grands de ce monde dont ils assurent la sécurité : « les gros poissons ». Ils les approchent. Les connaissent bien. Et ne les aiment pas.

J'ai chez moi une collection de courriers officiels sur plusieurs années, remplis d'accords positifs et compliments, félicitations. Ces courriers viennent de France, mais aussi de pays étrangers où le système est le même. J'ai arrêté d'écrire aux officiels quand j'ai compris que ça ne servait à rien.

Si vous repensez vos projets en vous affranchissant de vos illusions, le monde ne devient pas rébarbatif. Il devient comme il est. Nous avons de nos jours une caste dominante qui, à la différence de la noblesse d'antan, n'a pas d'existence officielle. Mais c'est elle qui détient tous les leviers du pouvoir. La dénoncer ou la renverser ne servirait probablement qu'à en amener une autre à sa place.

Être privilégié, profiter de ses privilèges, n'est après tout que l'expression du vieil adage : « on n'est jamais si bien servi que par soi-même. » Et on ne proteste que contre les privilèges des autres.

J'entendais il y a quelques années des gens râler après les payes mirobolantes de certains sportifs, artistes ou vedettes de la télévision. Je me disais, en les écoutant : « mais s'il s'agissait d'eux, protesteraient-ils ? »

A lire ou écouter les médias, on a l'impression que seuls des saints seraient dignes de nous gouverner. A défaut de saints, des personnes en offrant l'apparence. Les candidats aux élections doivent présenter bien. Cela devient finalement plus important que ce qu'ils sont sensés faire. D'ailleurs, officiellement opposés, ils ne sont souvent en fait que concurrents pour occuper des places.

Un ministre disait il y a quelque temps, qu'à la veille d'élections il fallait souvent accentuer des oppositions en fait inexistantes ou presque. Afin de convaincre les électeurs de voter plutôt pour vous que pour un autre.

Quand on développe de tels propos, on s'entend répondre : « mais, alors, pour qui faut-il voter ? » Et pourquoi le saurais-je, ou aurais-je toujours forcément une réponse à cette question ? Et si vous votez, en tous cas, n'accordez jamais une confiance absolue à quelqu'un, si extraordinaire vous paraîtrait-il.

Dans la Rome antique l'empereur était divinisé. A bien y regarder, ça n'a pas trop changé. Sauf que cette divinisation est officieuse. Regardez le culte voué à notre président. N'est-il pas en réalité en quelque sorte divinisé par ses admirateurs ? Et quand je parle de notre président, j'entends tous nos présidents de la République depuis le début. Quand apparu le premier président de la République française ? Et qui était-ce ? Dernièrement, j'ai posé ces questions à des amis très cultivés. Un a eu du mal à répondre. Les autres ont séché. C'est assez cocasse. La plupart des Français ne connaissent pas les réponses. Le premier président de la République française est Louis-Napoléon Bonaparte élu le 10 décembre 1848. Il s'est fait ensuite sacrer empereur sous le nom de Napoléon III le 2 décembre 1852.

Toutes ces fonctions officielles me font penser à un grand théâtre qu'on chercherait à nous faire prendre pour la réalité. En fait, il faut essayer de vivre sans trop y penser. Les grands de ce monde ne pensent pas à nous. Alors, autant que possible, ignorons-les.

Basile, philosophe naïf, Paris le 23 janvier 2013

mardi 22 janvier 2013

76 Siphonnage des masques et Carnaval à l'envers


Salvo, un passionné de musique et Carnaval, Italien que j'ai connu à Paris, m'a raconté ceci :

A Venise, de nos jours, les plus belles fêtes costumées du Carnaval se déroulent en privé dans des palais. Comme durant le Carnaval quantité de masques déambulent dans les rues de la cité, les plus beaux sont approchés par des personnes qui leur donnent des cartons d'invitation pour ces fêtes. Ainsi les organisateurs de ces événements s'offrent sans payer la participation de quantité de très beaux masques.

Cette manière de faire n'est pas nouvelle. Je l'ai baptisé : « le siphonnage des masques ». D'une certaine façon, des pratiques similaires existaient jadis au Carnaval de Paris.

Quand le Carnaval est actif et vivant, quantité de gens se costument. Font la fête en privé chez eux ou dans d'autres lieux fermés où ils se rassemblent. Mais, bien sûr, ils vont également dehors, souvent en groupes. Cette activité portait jadis un nom : « la promenade de masques ». Au XVIIème siècle, par milliers les masques allaient se promener dans l'artère la plus large de Paris, le « Cours Saint-Antoine » qui correspond à un tronçon de la rue Saint Antoine où se trouve notamment l'église Saint Paul-Saint Louis. Par centaines se retrouvaient là des voitures. Les uns se montraient, les autres venaient voir. L'animation régnait, avec les blagues traditionnelles du temps du Carnaval.

Au Carnaval de Paris au XIXème siècle, le même phénomène de promenades de masques se poursuit. Un tableau figure la voiture du prince Demidoff chargée de masques. Les blanchisseuses en voitures se retrouvaient sur les Grands Boulevards au moment de la Mi-Carême, avant de finir la journée de fête dans les bistros et salles de danses et restaurants des barrières.

Il existait jadis à Paris un siphonnage involontaire des masques. On l'appelait le momon, ce qui signifie aussi « mascarade ». Quand un groupe de masques entendait qu'une fête de carnaval avait lieu chez un particulier, il s'y invitait d'office. Cette pratique, qui rappelle les actuelles « chapelles » dunkerquoises devait des fois susciter des incidents. Elle fut interdite et pourchassée.

On rapporte qu'un jour de Carnaval à Paris, au XVIIIème siècle, un groupe de jeunes gens costumés fut empêchée d'entrer ainsi dans une belle et riche fête. Le chef du groupe, en représailles, invita ses amis à bruler le portail d'entrée. Aussitôt dit, aussitôt fait, amassant du bois contre le portail, les jeunes gens l'incendièrent. Le lendemain, le propriétaire de la maison ainsi endommagée appris que la troupe pyromane était composée du jeune roi Louis XV et ses proches courtisans !

Le phénomène du momon connait à l'époque moderne une sorte de continuité. A la fin des années 1990, par exemple, un jeune homme habitant Vanves, en proche banlieue de Paris, m'a raconté que le groupe de jeunes qu'il fréquentait s'invitait ainsi quand ils repérait une fête chez des gens.

A côté du siphonnage involontaire, existait avant à Paris un siphonnage volontaire.

Quand, le 31 décembre 1715, le Régent crée le célèbre bal masqué de l'Opéra, il s'agit d'un siphonnage de masques. On sait qu'il y en a des masses à Paris durant le Carnaval. On leur propose l'accès à un bal payant. Le succès festif du bal est assuré par la participation de ceux et celles qui sont déjà costumés.

Le cortège du Bœuf Gras parisien entraîne à sa suite les carnavaleux. Encore un siphonnage de masques. Ce procédé sera utilisé pour créer le cortège institutionnel des reines de blanchisseuses de la Mi-Carême parisienne. Il existe déjà le regroupement des voitures de blanchisseuses en Carnaval. En 1891, on va les ordonner en cortège unique. Ainsi, on crée sans difficultés un événement. Pas besoin de costumer les blanchisseuses pour l'occasion. Elles le sont déjà.

Mais ces cortèges naissent du terreau du Carnaval. Certes ils prennent des formes institutionnalisées avec participations de figurants payés et de militaires. Mais ils reflètent l'existence du Carnaval vivant. En sont en quelque sorte indirectement l'émanation.

Au XIXème siècle, les parades carnavalesques organisées sont suivies par un cortège formé de groupes se rassemblant de manière spontanée. Entre les deux, des gardes municipaux veillent à éviter que la partie organisée soit envahie par l'autre.

Quand à partir de 1993 j'ai cherché à faire renaître le Carnaval de Paris, je me suis consacré à la renaissance du cortège du Bœuf Gras. J'y suis arrivé au bout de cinq ans. Mais de quoi était fait le cortège de renaissance en 1998 ?

Il était fait d'un assemblage de bric et de broc. A part quelques personnes qui s'étaient costumées dans un atelier improvisé au dessus d'un café de la porte des Lilas et la poignée de Pantruches, tous les autres étaient déjà organisés quelque part. La Fédération des Carnavals et Festivités avait été séduite par l'initiative. Habituée à l'impossibilité de défiler à Paris du fait des interdictions, l'opportunité de pouvoir défiler au Carnaval de Paris l'avait fait accourir. Avec son président et le Comité des Fêtes d'Argenteuil et un canon à confetti du Carnaval d'Hagondange avec 600 kilos de confettis. L'importance proportionnelle des Argenteuillais dans le cortège, qui ressortaient costumes et chars de carnaval qui venaient de servir en juin dans leur ville, fit dire à un Argenteuillais présent : « Mais on refait simplement le Carnaval d'Argenteuil ! »

A part eux, des gens venus en car d'une autre banlieue, une enrubanneuse décorée de fleurs en papier crépon avec deux carnavaleux costumés montés dessus, un groupe d'élèves de l'école de la Boucherie portant le Géant Bœuf, quelques personnes, une vache statue, la vache dans son camion fermé et Alain Riou. C'était à peu près tout. J'ai vu aussi au départ un groupe d'Antillais. Un groupe folklorique auvergnat s'est décommandé à cause de la pluie qui aurait abimé leurs costumes. Un autre groupe musical folklorique annoncé par le propriétaire de la vache n'est jamais venu.

Stimulant la venue des uns et des autres, une équipe de télévision tournait pour FR3 un documentaire sur la fête. Mais pour un Carnaval de Paris, c'était plutôt riquiqui.

Bien sûr, eut égard à l'Histoire, à nos efforts, à nos projets, c'était énorme. Le Bœuf Gras du Carnaval de Paris reparaissait enfin dans les rues de Paris après une éclipse et un oubli qui avait duré 46 ans. Comme me l'a dit mon ami Bernard le soir de la fête : « Basile, on appelle ça une réussite ! » Soulignant les difficultés et obstacles rencontrés, Alain Riou n'a pas cessé de dire après que ce Carnaval de Paris on l'avait fait renaître « aux forceps ».

Mais, pour ceux qui ignoraient tous ces attendus, cette histoire, ces efforts préalables. Et pour qui les mots « Carnaval de Paris » signifiait une fête grandiose, c'était plutôt décourageant. Dans ces conditions, ce n'est pas très étonnant que hormis les Pantruches et Alain Riou, tout le monde présent à la première édition brillait par son absence à la seconde un an après.

Les Pantruches, la batucada Muleketu et le show Buffalo Bill, des professionnels venus bénévolement du parc Eurodisney, formaient le second cortège. Le show Buffalo Bill avait annoncé qu'il ne participerait pas si la pluie survenait. Les parures en plumes des Indiens ne pouvant pas dans ce cas être utilisées. Seuls du Carnaval Alain Riou et moi connaissions cela et observions le ciel assez nuageux avec inquiétude. Vers 13 heures tombèrent deux gouttes, puis le temps resta sec. Nous l'avions échappé belle !

Après cette deuxième édition, le cortège du Bœuf Gras pris sa physionomie actuelle. C'est-à-dire essentiellement un ensemble de groupes musicaux ou dansants qui se retrouvent pour défiler derrière la vache. Son succès va en augmentant depuis à présent seize ans.

Mais, à part de petits groupes carnavalesques costumés qui le rejoignent, est-ce le Carnaval ?

Les cortèges carnavalesques surgissent du fait de l'existence d'une activité carnavalesque débordant dans la rue avec les promenades de masques et s'ordonnant pour former ensuite des cortèges constitués. C'est ce qui se passe à Dunkerque. Toute la ville est en Carnaval. Alors, par milliers les masques se forment en cortège chantant et chahutant derrière la fanfare et le tambour-major.

A Paris, l'activité Carnaval, c'était les innombrables goguettes, dont des centaines organisées en sociétés bigophoniques. Ces goguettes n'ont pas encore reparues. Pourtant, le cortège du Bœuf Gras est à nouveau là depuis 1998 et celui des Reines des Blanchisseuses de la Mi-Carême a recommencé à défiler en 2009.

Nous avons donc là ce qui est sensé être l'émanation de l'activité goguettière sans celle-ci. D'une certaine façon c'est le Carnaval à l'envers. La plante carnavalesque a commencé à pousser par le haut sans avoir encore acquit ses racines.

A nous de les créer en créant des goguettes. Ensuite, elles seront à nouveau l'âme de la fête au Carnaval parisien et on pourra dire que celui-ci est reparu pour longtemps et solidement.

La base du Carnaval de Paris doit être la joie dans nos cœurs. Organisons-là en nous amusant ! Pour pouvoir y arriver, il a fallu retrouver la goguette et comprendre comment elle fonctionnait. Sinon, bien sûr, la question de la renaissance du Carnaval de Paris avec costumes, bals, a déjà été posée. En 1998, un bal en partie costumé s'est déroulé à la Maroquinerie, dans le cadre de la renaissance du Carnaval de Paris. Il y a eu aussi le petit atelier de costumes dans la salle au dessus d'un café de la porte des Lilas. Mais de telles initiatives n'eurent pas de suites pour ce que j'ai vu.

Sauf le groupe des Pantruches, où durant pas mal de temps nous nous demandions comment développer le carnaval. Et revenait le même propos : « il faudrait organiser un bal costumé ». Mais où, quand, comment, avec quel argent ? Et les salles à louer sont hors de prix à Paris.

Il nous manquait la réponse technique et artistique, la base : la goguette. Le jour où un certain nombre de goguettes seront à nouveau là, l'envie viendra de faire des bals costumés et on saura comment les organiser. Le Carnaval se construit à partir de la joie organisée des goguettes. Exactement comme cela se passe aujourd'hui à Dunkerque et dans les alentours. Il existe des dizaines de sociétés philanthropiques et carnavalesques qui sont les goguettes de là-bas.

Au moment du Carnaval, ces sociétés organisent leurs bals. Et avec la masse de gens qui vient, on arrive à remplir des salles de bal avec 8000 carnavaleux costumés.

Exactement comme cela se passait jadis à Paris.

A Paris, on recommencera d'abord en très petit, avec de très petits bals. Puis on grossira. Le potentiel festif de la ville est gigantesque. Auquel s'ajoutent tous les amoureux de Paris qui viennent d'ailleurs faire la fête avec nous. Notre fête deviendra immense. Car des carnavaleux dunkerquois nous l'ont dit il y a quelques années : c'est possible de les dépasser en Carnaval. Et cela arrivera.

Basile, philosophe naïf, Paris le 22 janvier 2013

lundi 21 janvier 2013

75 Du CRABE à la goguette, itinéraire d'une vie

L'art, pour bien se porter, a besoin que des artistes se regroupent. Il existe des exemples célèbres, par exemple : les poètes de la Pléiade, les peintres impressionnistes, les Surréalistes. D'autres sont moins connus, comme les Hydropathes, les Incohérents.

Né dans une famille de bohèmes, mère sculpteur, père artiste peintre, j'ai été assez tôt confronté au problème du fréquent isolement des artistes. Par exemple, sorti d'une école d'art, on se retrouve seul. J'ai tenté, dans la limite de mes modestes moyens, de remédier à cette situation.

Il y a 36 ans cette année, j'ai fondé le CRABE, c'est-à-dire le Comité pour la Réunion des Artistes Balbutiants Etc. Etc indiquait les non balbutiants. Ouvert à tous et pour la libre pratique de l'art.

Démarré en fanfare, cette aventure au bout de quelques mois se termina en eau de boudin. Il faut dire que pour aller à l'échec, j'ai été aidé efficacement.

La plus nombreuse réunion se tint chez moi. Il y eu 19 participants, soit un pour chaque mètre carré de mon habitation. Certains durent rester debout, au moins trois ou quatre qui assistèrent à notre meeting, pendant que les autres avaient réussi à trouver où s'asseoir en se serrant au maximum.

En fait, je ne l'ai réalisé que plus tard, venaient à moi des artistes demandeurs. Ils voulaient et attendaient l'un une salle pour exposer, l'autre de quoi monter un spectacle, le troisième une revue où publier qui serait ensuite diffusée par d'autres, etc. Comme ils s'aperçurent très vite que les moyens n'existaient pas, ils se volatilisèrent comme une volée de moineaux.

A la dernière réunion du CRABE vinrent trois personnes, moi, ma mère et une amie, Martine. J'entendis alors comme commentaire de notre réunion amaigrie : « ça, je m'y attendais ».

Entre-temps s'étaient déroulés quelques péripéties mouvementées. Trois participants politisés voulurent rejouer les grands conflits du genre de ceux qui ravagèrent le groupe surréaliste. A une réunion tenue dans le local prêté par l'École des Parents, je m'entendis reprocher d'avoir « une conception onaniste de l'Art », c'est-à-dire de trouver justifié de peindre, dessiner ou écrire pour son plaisir et pas nécessairement au service d'une cause quelconque, si valeureuse soit-elle ou non.

Je n'eus pas la présence d'esprit de rétorquer du tac au tac : « Pourquoi ? Tu es contre la masturbation ? » Ce qui m'aurait permis de ridiculiser mon interlocuteur agressif.

Enfin, quelques mois après la déconfiture du CRABE, un vacancier rencontré au camping en Bourgogne me fit ouvrir les yeux sur un point que je n'avais pas réalisé : déposée selon la loi de 1901, mon « association » m'était en fait montée à la tête. Il avait connut une histoire similaire.

On est trois. On dépose des statuts. Et on se croit alors être devenu autre chose de bien plus important que ce qu'on est réellement. La loi de 1901 devient ici un piège.

L'épisode crabique me dégoûta pour longtemps de l'idée de rassembler des gens et les associer.

Quinze ans plus tard, en 1992, l'envie de faire quelque chose pour briser l'isolement des artistes, amateurs ou non, me fit prendre une nouvelle initiative d'un genre différent.

Cette fois il s'agissait d'une pétition.

J'avais été invité à participer à l'occupation du théâtre de l'Odéon par les intermittents du spectacle. Celle-ci, à but revendicatif, devint bientôt une sorte de club, en surimpression du mouvement lui-même. Souffrant d'isolement, des comédiens ou techniciens arrivaient tous les jours pour simplement retrouver là la convivialité qui leur manquait. Ce phénomène irrita les syndicats. De mon côté, je traduisis cette aspiration à mieux être ensemble par une pétition que je lançais quelques mois après : pour la création de lieux de rencontres et paroles libres pour les artistes et leurs amis.

Je recueillis sans difficultés plusieurs centaines de signatures. Mais comment, partant de là, concrétiser le projet ?

J'étais, comme beaucoup de Français, obnubilé par l'institution municipale. Je pris donc rendez-vous à la mairie du quatorzième arrondissement de Paris. Où je vis, où je suis né. Après m'avoir écouté, Nicole Catala, adjointe au maire chargée de la culture, me répondit : « Les artistes ne veulent pas se réunir. » Ce qui revenait à m'annoncer qu'elle ne ferait rien pour m'aider à réussir.

Sur le coup, j'interprétais sa réaction comme un échappatoire pour ne rien faire. A présent, je nuancerais mon propos. Au vu de ce que personne n'a cherché à m'aider parmi les artistes signataires de ma pétition. Je pense que la phrase de Nicole Catala serait plus objective en la modifiant un peu : « Les artistes ne veulent pas du tout faire d'efforts pour se réunir. »

Si, demain, on annonce aux artistes qu'un mirifique Palais des Artistes vient d'ouvrir à Paris et qu'ils sont invités à venir y bouffer et boire gratuitement et y rencontrer le ministre de la Culture en personne et le maire de Paris, on les verra accourir. Pas tous, certains refuseront de venir. Mais un très grand nombre seront prêts à se remplir la panse, s'humecter la gorge et serrer la main des hautes personnalités. Et si on demande aux artistes d'organiser des lieux pour eux, il n'y a plus personne.

Fin septembre 1993, je pris l'initiative de la renaissance du Carnaval de Paris. Pour y arriver, je m'intéressais à savoir comment le Carnaval fonctionne là où il est vivant. Très vite, je réalisais que pour exister il devait être organisé.

Mon sentiment était aussi que l'organisation pouvait devenir un piège. J'avais connu le CRABE.

Je sorti le premier document en faveur du Carnaval de Paris. C'était un tract appelant à s'organiser carnavalesquement. Il était rédigé volontairement dans un style qui ne se voulait pas trop sérieux, institutionnel. Je distribuais ce tract tout en évitant de me relancer dans l'aventure associative.

Puis, un jeune Breton rencontré à Paris en 1994 me convainquit que le premier pas pour la renaissance du Carnaval de Paris était de faire défiler à nouveau le cortège du Bœuf Gras : « Les Parisiens verront ça. Ils se demanderont ce que c'est. Et tout le reste reviendra avec. »

Je m'attelais donc à cette tache, délaissant pour le moment celle de créer quelque chose d'organisé pour le Carnaval. Je dus cependant créer une association pour demander l'autorisation de défiler.

Le cortège de renaissance du Bœuf Gras était prêt à sortir en février 1995. Il fut empêché par l'interdiction de défiler. Confiant d'y arriver quand-même assez vite, je sorti un second tract proposant la naissance de groupes de carnaval : les Chaussettes, ou Schtrümpfe (en allemand).

Ce tract n'eut pas de suites pratiques. Car j'eus ailleurs à m'occuper. Les obstacles firent que je mis en tout cinq ans pour réussir à faire reparaître le célèbre défilé parisien du Bœuf Gras.

En octobre 1997, alors que mes efforts acharnés n'avaient pas abouti, je rencontrais l'homme qui allait débloquer la situation et obtenir l'autorisation nécessaire pour défiler.

Alain Riou disposait d'une association qu'il avait créé le 3 avril 1967, jour de mon anniversaire. Il la présidait. Elle s'appelait « Droit à la Culture ».

Vu ce qu'il faisait pour le Carnaval de Paris, je me sentis obligé d'y adhérer. Et au mois de décembre 1997, participais à l'assemblée générale de l'association.

Dans le cadre de celle-ci je proposais la création d'un groupe chantant. Quelques personnes présentes se rallièrent à moi. Et me voilà parti pour organiser quelque chose.

Mon manque d'expérience et le manque de motivations des autres eurent bientôt raison de mon initiative chansonnière.

Il fallait se réunir à la porte des Lilas et j'habitais le quatorzième arrondissement, à une heure de là. Se réunir devint vite pour moi une corvée. Surtout que, fatale erreur, j'avais fixé la périodicité de nos réunions à une par semaine. C'est beaucoup trop.

A mon grand soulagement, le groupe chantant se défit tout seul et disparu. Mais restait la question d'organiser quelque chose pour faire vivre le Carnaval de Paris.

Durant des années, j'avais remis à plus tard mes efforts d'organisation carnavalesque de base, donnant la priorité à la renaissance du cortège du Bœuf Gras. Là, c'était sûr : il allait reparaître fin septembre 1998. J'étais donc, pour la première fois depuis cinq ans, délivré de la tache de faire renaître la fête. Elle arrivait. L'heure était enfin venue d'organiser, mais quoi ?

J'avais rédigé un délire d'une page manuscrite et photocopiée appelant à la création de la très festive « Internationale Bovine ». « C'est ce qu'il nous faut » me dit mon ami Bernard. Et nous voilà, lui, moi et deux autres réunis un soir de juillet 1998. But : créer quelque chose pour le Carnaval.

J'avais amené avec moi deux listes : celle des sociétés philanthropiques et carnavalesques de Dunkerque et sa région en 1997 et celle des sociétés bachiques et chantantes de la banlieue de Paris en 1830. J'ignorais alors absolument que ces dernières étaient des goguettes et ne connaissais rien de précis à leur propos.

Je lis les deux listes à la petite assistance. Puis on se trouva d'évidence appelé à créer quelque chose. Pour le créer, il fallait un nom. On se mit à le chercher.

Je rappelais alors que les sociétés festives de jeunes nobles qui organisaient le Carnaval de Venise au quinzième siècle portaient le nom de « Compagnie della Calza », ce qui signifie : « Compagnies de la Chaussette ». Ce nom m'avait déjà inspiré pour baptiser des groupes projetés en 1995.

On adopta comme nom : « Les Chaussettes de Paris ». Pour faire plus joli et pittoresque, on choisi de le mettre en argot, ce qui donna : « Les Fumantes de Pantruche ».

Quand on se sépara, j'eus le sentiment qu'il venait de se passer quelque chose.

En septembre, je revis mes Fumantes, grossies de deux nouvelles recrues. On réalisa très vite des costumes, aidé par mon ami Rafael, qui les avait imaginé.

Le cortège de renaissance du Bœuf Gras s'ornait en tête de la présence de six Fumantes costumées et deux amies venues « en civil ». Sous la pluie battante qui n'arrêtait pas de tomber, nous avions fière allure. Ensuite, le deuxième cortège était annoncé pour septembre 1999, d'ici-là que faire ?

Nos costumes avaient bien souffert de la pluie qui avait en particulier détruit nos grands chapeaux cylindriques en carton. Il en fallait de nouveaux. Un rendez-vous d'après carnaval eu lieu dans un café. Pas longtemps après je proposais aux Fumantes de s'atteler à faire de nouveaux costumes.

Je crus alors avoir trouvé la clé de l'organisation carnavalesque : l'activité pratique.

En effet, cela fonctionna bien tout l'hiver 1998-1999 avec notre petit groupe. Mais ensuite, les costumes une fois réalisés, qu'allions-nous faire ensemble comme activités hors Carnaval ?

Une nouvelle perspective apparut : celle de faire des repas chansong, réunions mensuelles dans la salle du sous-sol du restaurant « Le petit bonheur » près de la rue Mouffetard. Ça devint notre nouvelle activité de groupe, alternée avec de vraies petites répétitions. Nous avions pour ce faire et animer nos soirées deux adhérents musiciens et passionnés par la chanson : Nicole et Jean-Pierre.

En fait, sans le réaliser, nous allions droit dans le mur. Une règle essentielle pour la réussite du groupe de Carnaval et du groupe festif en général est de rester impérativement très petit. Au delà de douze, c'est risqué, après dix-neuf, c'est la catastrophe assurée. C'est ce qui arriva.

Nous atteignîmes trente-six à nos repas chansons. Venaient du tout venant, profiter d'une soirée repas avec animation gratuite, et bien décidés à ne rien faire pour nous aider à réussir le Carnaval. Sous la pression de leurs engagements, nos deux animateurs chansons étaient débordés.

Notre apparente prospérité n'allait pas durer. A sa vue, en 2001, quelques adhérents crurent que nous étions l'élite du Carnaval de Paris. D'autant que nous étions la Première Compagnie Carnavalière Parisienne. Ils se virent appelés à un destin parisien grandiose. Le pouvoir dans le groupe fut leur motivation. Crise classique dans des structures qui comptent plus de douze adhérents. La guerre interne fut féroce. Ils perdirent. Puis, par la suite, les deux animateurs chansons eurent ras-le-bol de leur pesante fonction et partirent. « Le petit bonheur » lieu de nos agapes changea de propriétaire, nous privant de notre lieu de réunion. Et l'activité organisée des Fumantes de Pantruche s'affaiblit.

Le costume de la troupe fut en partie remis en question par une adhérente, Catherine, qui proposait la réalisation d'autres, très jolis, très différents, et à titre onéreux, payés à elle. Je n'ai pas réalisé alors qu'un groupe de Carnaval, si libre soit-il, se doit d'avoir au moins un costume caractéristique commun. Dans un cortège costumé il se signale toujours par une identité bien visible.

Le groupe vit son activité se réduire. Ce n'est pas faute d'avoir consacré du temps pour qu'il fonctionne ! J'ai passé sans compter d'innombrables heures à m'en occuper. Aujourd'hui il n'apparaît plus de manière visible et costumée au Carnaval.

Le recul des Pantruches a laissé la question posée : comment et quoi faire pour le Carnaval et entre deux Carnavals ? Le cortège du Bœuf Gras a lieu tous les ans avec un succès certain. Mais le Carnaval préparé, chanté et commenté toute l'année, vivant dans nos cœurs, où est-il à Paris ?

J'ai enfin découvert, il y a deux ans la base de la fête : la goguette. Et mis deux années pour approfondir la connaissance de celle-ci. Dans quelques mois, la question posée en 1993 : « comment préparer, organiser et vivre le Carnaval à Paris ? » trouvera sa réponse vivante.

D'autres textes de ce blog explique ce que c'est que la goguette. Ils sont le fruit de vingt années de recherches pour la fête et la joie partagées. Demain, avec costumes d'Île-de-France, bigophones, chansons, rubans et insignes, nous écrirons une nouvelle, grande et belle page de la vie parisienne.

Basile, philosophe naïf, Paris le 21 janvier 2013

dimanche 20 janvier 2013

74 La merveilleuse année 1818


En lisant quantité d''auteurs qui parle du dix-neuvième siècle, on apprend que la population française fut « Prise en étau entre le souvenir de l'épopée révolutionnaire et impériale et le présent beaucoup plus terne de la Restauration ». Et que dans les années 1820 elle regrettait amèrement ce brillant et mouvementé proche passé. Cette « kolossale » ânerie est proférée de bonne foi par des auteurs consciencieux qui la répètent sans se poser de questions.

Certes, il y eu certainement des Français pour regretter une époque tragique qu'ils avaient vécus parce que c'était simplement celle de leur jeunesse, et d'autres aussi qui y restaient attachés pour d'autres motifs. Mais qu'en fut-il exactement pour le plus grand nombre ?

Depuis 1792 jusqu'à 1815 la France connut vingt-trois années de guerres étrangères. Et aussi de conflits internes, telle que la guerre civile en Vendée et Bretagne, ainsi que toutes sortes d'autres épisodes répressifs sanglants dont le plus connu est la Terreur. Ces bouleversements coûtèrent à notre pays la vie de centaines de milliers de personnes. On estime à six millions les pertes totales en vies humaines engendrées par la folie guerrière de Napoléon 1er et ceux qui s'affrontèrent à lui.

Que de vies bouleversées et de destructions ! Après la déroute de la Grande Armée en Russie, durant l'hiver 1812, vint le printemps 1813 et le dégel. Les militaires vaincus avaient laissé sur la terre russe les dépouilles d'innombrables chevaux qui se mirent alors à pourrir. Le spectacle fut si impressionnant que le mot « chval », du français « cheval », est resté depuis dans la langue russe avec le sens de « charogne ».

Mon père eut en Russie dans les années 1910 un précepteur russe du nom de Courvoisier, qui descendait d'un soldat français de Napoléon 1er resté en Russie après la défaite napoléonienne.

Après la bataille de Waterloo, la France fut occupée jusqu'en 1818.

Les derniers occupants quittèrent le sol français au mois de novembre. Et alors la France, pour la première fois depuis presque trente ans se retrouva en paix.

Contrairement aux boniments des nostalgiques d'épopées sanglantes qu'ils vantent, assis confortablement à leur bureau, le peuple français fut immensément heureux d'avoir enfin vu clore un épisode guerrier qui avait duré vingt-six très longues et très meurtrières années.

L'année 1818 est marquée en France par la naissance d'une multitude de joyeuses sociétés chantantes : les goguettes. La paix retrouvée amène la fête, le rire, la poésie et la chanson.

Le peuple n'est pas le produit des historiens. Les mensonges sur son histoire, oui.

Nous pouvons célébrer à notre tour la merveilleuse année 1818, ou plus exactement son souvenir.

Je propose que les quatre chiffres « 1818 » deviennent un motif décoratif dans le mouvement de renaissance des goguettes dont j'ai pris l'initiative il y a environ deux ans.

Sur nos costumes, objets souvenirs, peintures, sculptures, emblèmes, bannières, n'oublions pas 1818. L'année merveilleuse où le peuple de France, enfin délivré de la guerre, se lança dans la poésie et la joie des goguettes. Oui, célébrons et honorons le souvenir de l'année où il a posé le fusil pour le remplacer par la plume et où le bruit du canon a laissé la place à la chanson.

Basile, philosophe naïf, Paris le 20 janvier 2013