mercredi 19 décembre 2012

31 A propos de l'école


Je n'ai pas été à l'école. La première fois que j'ai été dans une salle de cours j'avais 19 ans. Et c'est après l'âge de 30 ans que j'ai parcouru pour la première fois le couloir d'un lycée en activité. Il s'agissait du lycée Victor Duruy, dans le 7ème arrondissement de Paris. En parcourant ce couloir, j'ai été subitement saisi par une impression horrible : à travers une baie vitrée donnant sur le couloir je voyais des dizaines de jeunes qui m'ont apparu morts ! Ils ne bougeaient pas, ne disaient rien, assis à leur pupitre le regard fixe. Puis, l'instant d'après j'ai réalisé que devant moi se trouvait une personne qui bougeait et me tournait le dos. C'était un professeur qui donnait son cours à cette classe silencieuse et figée. Je n'avais jusqu'alors jamais vu des jeunes autrement que dans la rue, criant, courant, s'agitant. Cette agitation m'était apparue indissociable d'eux jusqu'à ce jour-là.

Durant toute mon enfance, ignorant l'école, je n'ignorais pas pour autant les grandes affiches apparaissant vers le début septembre sur les murs de Paris. On y voyait des enfants joyeux accompagnés par cette inscription : « Vive la Rentrée ! »

J'ai cru alors que la rentrée était un moment de grande joie inconnue pour moi, qui touchait tous les autres enfants. C'est seulement vers l'âge de trente ans que j'ai parlé pour la première fois avec un enfant d'environ huit ans qui m'a témoigné de sa tristesse de voir arriver la rentrée et finir la période des vacances scolaires. J'ai compris alors que j'avais été abusé par les publicités de marchands de fournitures scolaires et vêtements pour enfants. Non, tous les enfants ne sont pas heureux de rentrer à l'école ! Je connais même deux adultes qui m'ont confié qu'elle a toujours été une torture pour eux.

Depuis quelques semaines je fais du soutien scolaire bénévole dans un centre d'animation de quartier. Je rencontre ainsi des enfants qui fréquentent l'école et viennent le soir pour l'aide aux devoirs. Ils sont surpris et émerveillés d'apprendre que je n'ai pas été comme eux à l'école.

Avec eux, j'ai appris des choses sur l'école, ce lieu où ils travaillent jusqu'à 7 heures par jour.

Les enfants sont concurrentialisés, culpabilisés, intellectualisés furieusement. On les habitue à faire des choses qu'ils n'aiment pas. Et l'école se dresse devant eux telle un monstre en béton armé :

On leur donne des ordres : vous devez aller à l'école, parce que c'est obligatoire. Vous n'avez pas votre avis à donner. L'école, c'est une chance. C'est bien. Ça vous enchante. Vous devez être d'accord que c'est bien, indispensable, une chance pour vous. Vous devez travailler... même si vous ne comprenez pas pourquoi, que ça vous paraît absurde, sinon, c'est la honte, l'échec scolaire.

Et quand l'élève décroche, c'est son échec, ce n'est jamais... l'échec de l'école.

Et puis à l'école, diront certains thuriféraires de cette institution, il y a les petits camarades... mais si on oblige les enfants à y aller, ce n'est pas difficile de pouvoir les y retrouver. Si les enfants sont visibles et abordables à l'école, ce n'est pas grâce à l'école. L'école n'existerait pas, on les rencontrerait quand même ailleurs. Que des enfants contraints de se retrouver quelque part ensemble se parlent, jouent et se font des amis, c'est parce qu'ils sont des enfants, pas parce qu'ils sont à l'école. L'école et ses obligations n'ont aucun mérite là-dedans. Prétendre qu'on se fait des amis grâce à elle, c'est de la pure démagogie pour mieux faire avaler la pilule scolaire.

S'agissant de la transmission du savoir je pense que réunir des classes de 35 élèves enfants en fait des garderies-dressages. Une classe doit réunir au maximum neuf élèves, encadrés par au minimum deux enseignants, une femme et un homme, l'un des deux vieux, l'autre jeune.

Basile, philosophe naïf, Paris le 19 décembre 2012

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