dimanche 30 décembre 2012

38 Essai de mythologie française contemporaine


L'homme est un singe qui « fait l'homme ». Quand on veut le faire marcher, la violence et la menace ne suffisent pas. Il faut également lui bourrer la tête pour qu'il croit que c'est inévitable et dans son intérêt de faire et accepter ce qui arrange ceux qui vivent sur son dos.

A chaque époque de chaque pays correspond une mythologie justificatrice du système économique, social, moral, culturel, religieux qui ne profite jamais qu'à une minorité au détriment de la grande masse. Quand des changements importants interviennent, cette mythologie laisse plus ou moins progressivement la place à une nouvelle mythologie. Ces mythologies ont pour bases des apparences de certitudes démontrées, des sentiments plutôt que des raisonnements, des mensonges, menaces, interdits, fables et contre-vérités assenés avec tant d'assurance qu'on hésite à aller à leur encontre. Ainsi, par exemple, le monument aux morts du quatorzième arrondissement de Paris, érigé il y a peu de dizaines d'années, s'orne d'une inscription : « C'est du dernier souffle de nos héros expirants qu'est fait le souffle éternel de la Patrie ». Très jolie phrase, dont on accuserait le détracteur éventuel de ne pas aimer « la Patrie ». Cependant, l'irréfutable vérité est que « la Patrie » dont il est question ici, c'est-à-dire la France, n'a pas toujours existé et donc son caractère « éternel » peut aussi être mis en doute. C'est là un aspect de la mythologie dominante : faire de « la France » une sorte de réalité intangible et sans âge. Quand on prend un dictionnaire, à l'article « France » on trouvera décrite la France en des temps où son nom-même n'existait pas. Qu'à cela ne tienne ! Elle existait quand-même au temps des dinosaures ? Avant que la Terre ne se solidifie, quand elle n'était jadis qu'un nuage de gaz ? Le caractère absurde de la mythologie n'empêche pas quantité de personnes d'y croire.

L'établissement d'une mythologie peut coûter très cher. Ainsi, la France fut proclamée jadis « fille aînée de l'Église ». Il s'agissait bien sûr de l'église catholique. Or, à diverses époques surgirent chez nous d'importants groupes qui ne suivaient pas le catholicisme. Que de misères ne leur fit-on ? On persécuta et massacra Cathares, Vaudois et Protestants. On pourchassa toutes les « déviations ». Y compris la Fête des fous qui se déroulait à Notre-Dame-de-Paris.

La Monarchie française avait partie liée avec l'Église. Le roi de France était « Roi par la grâce de Dieu ». Il était sacré dans la cathédrale de Reims. Il était le « père du peuple ». L'historien Maurice Dommanget raconte en 1971 que lors de la Grande Jacquerie de 1358 les paysans soulevés brulaient les demeures nobiliaires, et, par égard pour la personne du roi de France, épargnaient les châteaux royaux. Le roi était sensé même par attouchements guérir des écrouelles. La figure du roi était jadis centrale et sacrée. Certains royalistes ont parlé des « cent rois qui ont fait la France ».

A partir de 1516 le roi de France obtint même du pape le pouvoir de nommer des abbés commendataires qui géraient des monastères.

La mythologie monarchique et religieuse du céder la place à une nouvelle mythologie quand ses bénéficiaires, roi, noblesse d'épée, noblesse de robe, durent laisser la place aux nouveaux profiteurs du système, commerçants, aventuriers, industriels et bureaucrates, lors de la période qu'on convient de nommer « la Révolution française ».

A cette époque remonte l'invention de l'antagonisme : gauche – droite. Les partisans de la gauche étant sensés défendre des « valeurs de gauche », et les partisans de la droite des « valeurs de droite ». En fait, plus d'une fois, les partisans de la gauche et de la droite se retrouvent parfaitement d'accord sur des sujets essentiels. Ainsi, en 1914, pour entamer joyeusement la grande boucherie de 1914-1918, en 1945, pour  la répression du soulèvement de Sétif et Guelma en Algérie, qui fit 45 000 victimes, ou bien en 1956 pour voter les pleins pouvoirs au président du Conseil socialiste Guy Mollet pour la guerre d'Algérie. Les mêmes gauche et droite sont très majoritairement d'accord aujourd'hui pour que nous subissions les effets délétères de l'Europe, du moment que les décisions d'asservissement au pouvoir européen non élu sont votées par leurs députés.

Le culte de la démocratie, c'est-à-dire du respect religieux du pouvoir des élus, fait partie de la mythologie française contemporaine. Le dépôt de bulletins dans l'urne le jour du vote revêt un caractère magique, car il est sensé donner la bonne solution. Or, rien n'empêche une majorité de gens de se tromper, être manipulée, face à une minorité qui a raison. Si nous donnons le droit de vote aux Égyptiens, ils donnent la majorité à des religieux partisans de la charia. On peut ne pas être d'accord avec la charia. Dans ces conditions, la logique est que l'on doit aussi s'opposer à la démocratie. En 1933, les nazis obtinrent aux élections en Allemagne la majorité relative. Le président Paul von Hindenburg en conséquence et dans le plus parfait respect de la démocratie appela au pouvoir en qualité de chancelier un certain monstre nommé Adolf Hitler... Être contre la prise du pouvoir par les nazis implique également ici d'être contre le respect de la démocratie.

En France, contrairement aux mensonges de certains, l'instauration du suffrage universel remonte à 1944. Auparavant, seule une partie de la population adulte et toujours moins de la moitié de celle-ci pouvait voter à partir du moment où des élections commencèrent à être organisées en France. En 1944, plus de la moitié de la population adulte obtint enfin le droit de vote. Il s'agissait des femmes.

La période dite de la Révolution française ne donna jamais le pouvoir au peuple. Le pouvoir, par définition, appartient à une minorité qui décide pour tous. Nous le rappelle la loi Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791, qui proscrit les organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage. Cette loi suit de très près le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791, tant dans ses objectifs que par leur proximité historique. Elle interdit de fait les grèves et la constitution des syndicats au cours du siècle suivant, mais aussi certaines formes d'entreprises non lucratives comme les mutuelles. Elle ne vise ni les clubs patronaux, ni les trusts et ententes monopolistiques qui ne seront jamais inquiétés. Cette législation servira durant des décennies à réprimer grèves et syndicats.

Le mythe du pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple s'incarne à merveille dans l'icône de la République. Ce régime soi-disant conditionne la société moderne. Cette remarquable farce ne résiste pas une seconde à un esprit critique un tant soi peu éveillé. La monarchie existe bel et bien aux Pays-Bas, en Belgique, Grande-Bretagne, Suède, Norvège, Danemark, Espagne. Le Liechtenstein est un Grand Duché, Andorre et Monaco des principautés. Le Japon possède un empereur qui se réclame de la descendance de la déesse Amaterasu. Tous ces pays ne sont pas particulièrement des cités du cauchemar. La soi-disant fondamentalité de la République est une tarte à la crème bicentenaire. Le culte de la République, incarnée par l'image d'une jeune dame affublée d'un bonnet phrygien assez ridicule, est manigancé avec constance depuis bien longtemps. Benito Mussolini décida que toutes les villes petites et grandes d'Italie devait posséder une « rue de Rome ». Dans un esprit très proche, des législateurs anonymes décidèrent de pourvoir toutes les villes de France, petites ou grandes, d'au moins une rue, place, ou avenue « de la République ». Ce mot-fétiche est tellement bien enfoncé dans la tête des Français, qu'ils croient qu'il est synonyme de bien vivre et en liberté. Un tas de partis politiques des plus différents s'en réclame. Ce culte absurde de « la République » partagé par des personnes d'opinions diverses, explique une large partie de l'incohérence politique que nous connaissons en France aujourd'hui. Si on s'attache à un mot en dix lettres pour en faire une idole, on perd de vue la réalité. C'est ce qui arrive à nombre de leaders politiques qui pédalent dans la semoule idéologique alors qu'ils sont remplis de bonne volonté. Et ce ne sont pas les royalistes qui les mettront sur le bon chemin, prisonniers qu'ils sont de la nécessité de dénigrer la République qui en fait imite sur bien des points la Royauté dont ils rêvent.

Basile, philosophe naïf, Paris le 30 décembre 2012

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