Chaque bébé est unique
et différent de tous les autres. Il est et devient librement par son
changement permanent un être en devenir. Cette liberté ne va pas
durer. Il va commencer très tôt à la voir réduite et continuer à
se réduire. Déjà, qu'il fasse chaud ou non, on le forcera à se
dissimuler dans des vêtements. Ce déguisement social ira en
s'accentuant, avec l'invention de la « pudeur » qui
interdit de laisser voir de l'épiderme certaines fractions précises
et plus ou moins étendues selon les cultures. De plus, certaines
activités agréables, comme chier et pisser seront elles aussi
destinées à la dissimulation au regard d'autrui. Il sera aussi
interdit de jouer avec sa merde, même juste de la toucher.
L'activité humaine commencera à se diviser entre permis et interdit
pour des raisons mystérieuses. Le petit singe sauvage humain verra
aussi par exemple un regard réprobateur saluer son envie de se
caresser certaines parties de lui ou toucher les dites parties et
d'autres encore chez les autres. Par exemple peloter les seins des
femmes sera interdit aux petits garçons.
Le petit humain qui
existait par lui-même apprendra très tôt qu'il « est »
par exemple « Louis Dupont » ou « Madeleine
Dupuis ». Et pour l'être pleinement il lui sera nécessaire de
se plier à toutes sortes d'obligations pas forcément
compréhensibles.
Le petit humain à la
naissance est uni. Il va se retrouver désuni comme pratiquement
toutes les grandes personnes.
Au petit humain toutes
les activités dites plutôt « physiques » vont être
interdites.
Caresser, être caressé
sera interdit. Embrasser dans le sens originel, c'est-à-dire prendre
et serrer dans ses bras, sera également interdit. Danser, courir,
gesticuler sera banni. Dès qu'il court, le gamin ou la gamine se
voient critiquer : « tu vas tomber ! », « Calmes-toi
! » Faire de la peinture joyeuse sera une activité éliminée
aussi. De même que faire du dessin libre, vouloir dessiner tout ce
qu'on a envie et tout de suite, voilà qui est terminé également.
Crier, chanter, faire des discours illimités sera aussi l'objet des
persécutions des hommes et femmes adultes de l'entourage. C'est en
tous cas comme ça que les enfants le vivront. Et l'accepteront
néanmoins, pour être sûrs d'être acceptés, appréciés par les
« grandes personnes ».
En fait, tout ce qui
semble être « physique » est condamné au profit de ce
qui semble être « intellectuel ». Le dessin comme les
cris, les caresses comme les embrassements, tout est bon pour
l'élimination radicale et est éliminé. Au bout de ce sevrage du
physique on obtient des enfants lisses, atones, bien élevés,
faisant plaisir et rassurant les adultes. Ce ne sont plus des
enfants, mais des futurs petits adultes qui s'emmerdent comme leurs
prédécesseurs et dresseurs. Ils ne peignent plus, ne dessinent
plus, ne caressent et n'embrassent plus. Ils sont sages et bien
dressés.
Même la magie des mots
qui fascinaient les gosses a été encadré. Il existe des mots
interdits : les « gros mots ». Et combien de petits
poètes sont stérilisés au nom de l'orthographe ? « Avant
d'écrire quelque chose, apprends l'orthographe ! » Sa
créativité proscrite, l'enfant entre dans le monde des « adultes »
qui s'emmerdent. Combien de fois n'ai-je entendu des adultes me
dirent : « je ne sais pas dessiner » ou « je ne
sais pas chanter » ? Un enfant ne dit pas ça. Il dessine, il
chante. Mais la société va y mettre « bon ordre » et le
faire taire. Quant aux caresses, aux embrassements, c'est pour plus
tard, réservé au « sexe » et au mariage. Au point
qu'arrivé à l'âge « adulte » les humains sont des
analphabètes tactiles. Ils ne savent plus caresser, embrasser, faire
un câlin. Balourds, maladroits, hésitants, calculateurs,
intéressés, dès que l'idée leur vient de faire quelque chose de
« physique » ils trébuchent. Leur maladresse est la même
que celle du malade resté six mois allongé sur un lit et qui ne
sait plus marcher. Les « adultes » sont des enfants
domestiqués, c'est-à-dire infirmisés.
Basile, philosophe
naïf, Paris les 28 et 29 octobre 2016
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