samedi 29 octobre 2016

678 Le problème de la liberté d'être et devenir

Chaque bébé est unique et différent de tous les autres. Il est et devient librement par son changement permanent un être en devenir. Cette liberté ne va pas durer. Il va commencer très tôt à la voir réduite et continuer à se réduire. Déjà, qu'il fasse chaud ou non, on le forcera à se dissimuler dans des vêtements. Ce déguisement social ira en s'accentuant, avec l'invention de la « pudeur » qui interdit de laisser voir de l'épiderme certaines fractions précises et plus ou moins étendues selon les cultures. De plus, certaines activités agréables, comme chier et pisser seront elles aussi destinées à la dissimulation au regard d'autrui. Il sera aussi interdit de jouer avec sa merde, même juste de la toucher. L'activité humaine commencera à se diviser entre permis et interdit pour des raisons mystérieuses. Le petit singe sauvage humain verra aussi par exemple un regard réprobateur saluer son envie de se caresser certaines parties de lui ou toucher les dites parties et d'autres encore chez les autres. Par exemple peloter les seins des femmes sera interdit aux petits garçons.

Le petit humain qui existait par lui-même apprendra très tôt qu'il « est » par exemple « Louis Dupont » ou « Madeleine Dupuis ». Et pour l'être pleinement il lui sera nécessaire de se plier à toutes sortes d'obligations pas forcément compréhensibles.

Le petit humain à la naissance est uni. Il va se retrouver désuni comme pratiquement toutes les grandes personnes.

Au petit humain toutes les activités dites plutôt « physiques » vont être interdites.

Caresser, être caressé sera interdit. Embrasser dans le sens originel, c'est-à-dire prendre et serrer dans ses bras, sera également interdit. Danser, courir, gesticuler sera banni. Dès qu'il court, le gamin ou la gamine se voient critiquer : « tu vas tomber ! », « Calmes-toi ! » Faire de la peinture joyeuse sera une activité éliminée aussi. De même que faire du dessin libre, vouloir dessiner tout ce qu'on a envie et tout de suite, voilà qui est terminé également. Crier, chanter, faire des discours illimités sera aussi l'objet des persécutions des hommes et femmes adultes de l'entourage. C'est en tous cas comme ça que les enfants le vivront. Et l'accepteront néanmoins, pour être sûrs d'être acceptés, appréciés par les « grandes personnes ».

En fait, tout ce qui semble être « physique » est condamné au profit de ce qui semble être « intellectuel ». Le dessin comme les cris, les caresses comme les embrassements, tout est bon pour l'élimination radicale et est éliminé. Au bout de ce sevrage du physique on obtient des enfants lisses, atones, bien élevés, faisant plaisir et rassurant les adultes. Ce ne sont plus des enfants, mais des futurs petits adultes qui s'emmerdent comme leurs prédécesseurs et dresseurs. Ils ne peignent plus, ne dessinent plus, ne caressent et n'embrassent plus. Ils sont sages et bien dressés.

Même la magie des mots qui fascinaient les gosses a été encadré. Il existe des mots interdits : les « gros mots ». Et combien de petits poètes sont stérilisés au nom de l'orthographe ? « Avant d'écrire quelque chose, apprends l'orthographe ! » Sa créativité proscrite, l'enfant entre dans le monde des « adultes » qui s'emmerdent. Combien de fois n'ai-je entendu des adultes me dirent : « je ne sais pas dessiner » ou « je ne sais pas chanter » ? Un enfant ne dit pas ça. Il dessine, il chante. Mais la société va y mettre « bon ordre » et le faire taire. Quant aux caresses, aux embrassements, c'est pour plus tard, réservé au « sexe » et au mariage. Au point qu'arrivé à l'âge « adulte » les humains sont des analphabètes tactiles. Ils ne savent plus caresser, embrasser, faire un câlin. Balourds, maladroits, hésitants, calculateurs, intéressés, dès que l'idée leur vient de faire quelque chose de « physique » ils trébuchent. Leur maladresse est la même que celle du malade resté six mois allongé sur un lit et qui ne sait plus marcher. Les « adultes » sont des enfants domestiqués, c'est-à-dire infirmisés.

Basile, philosophe naïf, Paris les 28 et 29 octobre 2016

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