J'ai 22 ans d'expérience
d'organisation du Carnaval de Paris, une fête qui est la convergence
d'une quantité d'associations qui défilent ensemble dans la rue
chaque année. La dernière, le 15 février 2015 a rassemblé 4 à
5000 personnes. Pour une fête indépendante et populaire c'est un
formidable résultat. Il n'y a ni politiques importants, ni budget
derrière, rien que du cœur. Et si on me dit : « pour
organiser une telle fête il faut de l'argent ! » Je réponds :
« oui, le moins possible ! » Ici il faut quelques
centaines d'euros, essentiellement l'abonnement Internet et au
téléphone portable que j'ai pris pour le Carnaval et à mon nom et
l'assurance, plus quelques timbres poste et ramettes de papier.
Une amie me disait récemment : « il faut tirer une énorme quantité de tracts ! » A quoi je répondais : « il ne faut pas se prendre pour ce qu'on est pas. Là j'en fait 1000 et puis voilà ! »
A titre d'exemple, le
tract pour le Carnaval de Paris 2015 a été tiré a exactement 2810
exemplaires dont 2806 ont été distribués plus 1400 diffusés par
Internet, total : 4206 exemplaires diffusés.
Chaque tract a en théorie
amené un participant à la fête ! Pas mal, non ? Il faut dire que
la base de la venue des festifs a été surtout le bouche à oreille,
l'ancienneté et l'organisation. L'ancienneté car c'était le 18ème
défilé annuel consécutif. Et aussi la confiance, car certains
connaissent le Carnaval de Paris depuis des années. Et voient dans
quel esprit je cherche à l'organiser en dépit de difficultés et
éléments contradictoires qui ont pu des fois aller dans un sens
différent.
De sympathiques amis
m'ont fait part de leur projet d'organiser une fête, défilé dans
la rue. Pour les aider dans leur projet j'ai rédigé ce texte. Je
leur amène ici des idées et conseils, qu'ils sont libres de suivre,
critiquer, améliorer.
Pour créer une fête de
rue, il faut choisir très vite une date. Si possible une date qui
revient : par exemple dernier dimanche d'avril, ou le dernier
dimanche avant Pâques... ne pas interrompre une année, par exemple,
quitte à faire même très petit cette année-là.
Rattacher la fête à une
tradition lui donne beaucoup de force, le Carnaval par exemple.
Ne pas hésiter à
débuter petit. En 1999, lors de la deuxième édition du Carnaval de
Paris, je pouvais presque faire ensuite le relevé nominal des
participants !
Quand on annonce qu'on
prépare une fête, beaucoup de gens approuvent et font mine de
vouloir venir et font défaut ensuite. Quand quelqu'un dit : « je
vais venir » ne surtout pas penser : « il va venir »,
mais : « il m'a dit qu'il va venir ». Si je comptais le
nombre de promesses trahies depuis le début de la renaissance du
Carnaval de Paris dont j'ai pris l'initiative en 1993, et que
celles-ci n'auraient pas été trahies, nous ne serions pas 4000
cette année à défiler, mais 40 000 sinon plus. Il ne faut pas
grommeler à ce sujet. L'être humain est ainsi : il promet beaucoup,
y compris de très bonne foi, et ensuite tient peu ses promesses. Il
faut d'abord et avant tout compter sur soi.
Vouloir à tout prix
faire « grand » est une illusion courante, stupide et
absurde. Faire beau, agréable et authentique, même très petit, est
largement positif et suffisant.
Il faut très vite fixer
un parcours pour le défilé, quitte même à le modifier si
nécessaire ensuite.
Prendre une assurance est
indispensable. Certains assureurs sont très gourmands, d'autres
refusent d'assurer une fête. L'assureur le moins gourmand que je
connaisse est la MAIF.
Il faut choisir un
responsable de la fête, qui peut être président d'une association
déposée selon la loi de 1901. Les autorités préfèrent un
président d'une telle association plutôt qu'un simple particulier.
Ne pas s'obnubiler sur les vertus de l'association 1901. La seule
vraie association qui fera la fête sera la volonté commune engagée
de ceux qui s'impliqueront, adhérents ou non d'associations 1901.
Pour défiler dans la
rue, il faut une « autorisation d'occupation de la voie
publique ». A Paris elle est délivrée par un service de la
Préfecture de police appelé la Direction de l'ordre public et de
la circulation, qui traite présentement 5000 autorisations
chaque année.
Petit rappel juridique
utile : en France, le maire de la commune est Officier de police
judiciaire, peut requérir la force publique, police si elle
existe ou gendarmerie, et a un pouvoir sur la voie publique pour y
autoriser défilés, rassemblements, etc. Seules trois villes
françaises sont dotées d'un maire qui n'a aucun pouvoir sur la voie
publique : Paris, Lyon et Marseille. Dans ces trois villes existe une
Préfecture de police. C'est elle qui régit la voie publique. C'est
au Préfet de police qu'on doit s'adresser pour demander une
autorisation d'occupation de la voie publique : défilés,
rassemblements, tournages de films, etc.
Il faut faire cette
demande de préférence au moins deux mois avant la date fixée,
sinon même encore avant.
Certains endroits précis
ne dépendent pas à Paris de la Préfecture de police, j'en connais
au moins trois : l'espace sous les arcades de la place des Vosges
appartient aux propriétaires riverains, l'espace sous la tour Eiffel
appartient à la société de la tour Eiffel, l'esplanade devant
l'Hôtel de ville de Paris dépend de la Mairie de Paris. Ayant
souhaité accéder à cette dernière, le Carnaval de Paris et le
Carnaval des Femmes ont essuyé ces dernières années plusieurs
refus de la Mairie de Paris.
La demande faite au
Préfet de police de Paris est ensuite transmise aux services
préfectoraux compétents qui se chargent de traiter le dossier.
La Préfecture peut
demander la modification du parcours, par exemple s'il doit démarrer
près d'un hôpital, et que le cortège prévu est musical et
bruyant. D'une manière générale la police n'est pas hostile aux
fêtes. Ceux qui, en revanche, peuvent y être opposés sont des
intérêts privés (commerçants, par exemple) ou des élus
politiques. J'en ai connu des exemples. Il est souhaitable d'être
appuyé par un élu qui écrit au Préfet de police une lettre de
soutien au projet festif.
Une fête doit être
libre, bénévole, gratuite et autogérée.
Autogérée, ça signifie
que chaque groupe participant gère sa participation et se place
selon son initiative dans le cortège. Il s'agit d'une fête, pas
d'un défilé officiel !
A partir de 500
participants prévu, la manifestation doit se doter d'un service
d'ordre en plus de la police qui escortera le cortège.
En France un festival
ambulant est tenu aussi d'avoir en escorte un Poste de secours mobile
(PSM), c'est-à-dire deux ambulances et cinq secouristes. Ce qui
coute mille euros aujourd'hui. En revanche, une manifestation
n'est pas tenue d'avoir cette escorte. C'est une question de but
déclaré. Ainsi, la Gay Pride, qui
est une manifestation, n'a pas de PSM, la Techno Parade,
qui est un festival, en a un.
La participation au
défilé doit être ouverte à tous.
Il faut se méfier du
danger des subventions. Elles sont très difficiles à avoir, sont
conditionnelles, imposent des obligations, attirent de faux amis,
dénaturent l'esprit festif. Et quand elles ne sont pas reconduites
coulent l'événement. Le nombre de fêtes liquidées ainsi est
impressionnant. Faire sans subventions est de très loin préférable
au fait de faire avec, et compter dessus.
Les politiques français, à part
de rarissimes exceptions, ne savent pas ce que c'est qu'une vraie
fête. Ils en ont même souvent peur. Elle les dérange.
Les journalistes sont
rarement consciencieux avec la fête et traitent souvent celle-ci
négligemment
Pour réussir la fête
l'influence de la presse est quasi nulle et le bouche à oreille est
essentiel.
A la base de la fête on
trouve des organisations.
Quelle date choisir pour
la fête ? Éviter dans les grandes villes l'été.
Quel parcours ? Un
parcours populaire
Quel but ? Être heureux
: ni politique, ni religieux, ni commercial, ni humanitaire, s'amuser
et faire de jolies choses.
Le principe du gâteau est un principe fondamentale
pour organiser une fête : si un gâteau
qu'on prépare est bon, crue sa pâte est bonne au goût. Cuite, elle
est encore meilleure. Préparer une fête doit être une occupation
agréable. Si cette occupation est dans un de ses aspects
désagréables, il n'a pas à être poursuivi. Il faut faire des
choses agréables pour préparer la fête.
Elles peuvent parfois
être juste un petit peu désagréable, mais si c'est trop, il faut
arrêter immédiatement d'aller dans cette fausse direction.
Parmi les dangers
menaçants la fête :
Le danger des
« efficaces » : des personnes qui prônent
« l'efficacité », prétendent en être les champions. Et
sont souvent des parasites inverses qui mettent en danger la fête.
Quand on organise quelque
chose, on rencontre des critiques vides, des appropriations du
travail d'autrui. Et il n'y a pas de reconnaissances à attendre.
Quand on organise une
fête on rencontre beaucoup d'abandons de personnes qui commencent
quelque chose et arrêtent tout ensuite. S'y attendre et ne pas s'en
formaliser.
Il faut faire avec ce
qu'on a.
Que faire des
professionnels dans une fête bénévole ? Ne pas leur cacher le mode
d'organisation. Les remercier et décliner aimablement leurs
propositions payantes.
Les « chars »
et géants sont très jolis, impressionnants. Vus les frais à
engager pour les construire, il vaut mieux s'en passer sans
problèmes. Quantité de très beaux Carnavals s'en passent
parfaitement.
Pour une fête réussie,
on fait main bricolé plutôt que « luxe ». Et la foule peut
suivre et rejoindre à tous moments le défilé. Sinon, ça n'est pas
un vrai Carnaval.
Les échanges entre
vraies fêtes sont enrichissants et instructifs pour les réussir au
mieux possible.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 23 février 2015
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