lundi 23 février 2015

350 Quelques réflexions pour l'organisation d'une fête populaire dans la rue

J'ai 22 ans d'expérience d'organisation du Carnaval de Paris, une fête qui est la convergence d'une quantité d'associations qui défilent ensemble dans la rue chaque année. La dernière, le 15 février 2015 a rassemblé 4 à 5000 personnes. Pour une fête indépendante et populaire c'est un formidable résultat. Il n'y a ni politiques importants, ni budget derrière, rien que du cœur. Et si on me dit : « pour organiser une telle fête il faut de l'argent ! » Je réponds : « oui, le moins possible ! » Ici il faut quelques centaines d'euros, essentiellement l'abonnement Internet et au téléphone portable que j'ai pris pour le Carnaval et à mon nom et l'assurance, plus quelques timbres poste et ramettes de papier.

Une amie me disait récemment : « il faut tirer une énorme quantité de tracts ! » A quoi je répondais : « il ne faut pas se prendre pour ce qu'on est pas. Là j'en fait 1000 et puis voilà ! »

A titre d'exemple, le tract pour le Carnaval de Paris 2015 a été tiré a exactement 2810 exemplaires dont 2806 ont été distribués plus 1400 diffusés par Internet, total : 4206 exemplaires diffusés.

Chaque tract a en théorie amené un participant à la fête ! Pas mal, non ? Il faut dire que la base de la venue des festifs a été surtout le bouche à oreille, l'ancienneté et l'organisation. L'ancienneté car c'était le 18ème défilé annuel consécutif. Et aussi la confiance, car certains connaissent le Carnaval de Paris depuis des années. Et voient dans quel esprit je cherche à l'organiser en dépit de difficultés et éléments contradictoires qui ont pu des fois aller dans un sens différent.

De sympathiques amis m'ont fait part de leur projet d'organiser une fête, défilé dans la rue. Pour les aider dans leur projet j'ai rédigé ce texte. Je leur amène ici des idées et conseils, qu'ils sont libres de suivre, critiquer, améliorer.

Pour créer une fête de rue, il faut choisir très vite une date. Si possible une date qui revient : par exemple dernier dimanche d'avril, ou le dernier dimanche avant Pâques... ne pas interrompre une année, par exemple, quitte à faire même très petit cette année-là.

Rattacher la fête à une tradition lui donne beaucoup de force, le Carnaval par exemple.

Ne pas hésiter à débuter petit. En 1999, lors de la deuxième édition du Carnaval de Paris, je pouvais presque faire ensuite le relevé nominal des participants !

Quand on annonce qu'on prépare une fête, beaucoup de gens approuvent et font mine de vouloir venir et font défaut ensuite. Quand quelqu'un dit : « je vais venir » ne surtout pas penser : « il va venir », mais : « il m'a dit qu'il va venir ». Si je comptais le nombre de promesses trahies depuis le début de la renaissance du Carnaval de Paris dont j'ai pris l'initiative en 1993, et que celles-ci n'auraient pas été trahies, nous ne serions pas 4000 cette année à défiler, mais 40 000 sinon plus. Il ne faut pas grommeler à ce sujet. L'être humain est ainsi : il promet beaucoup, y compris de très bonne foi, et ensuite tient peu ses promesses. Il faut d'abord et avant tout compter sur soi.

Vouloir à tout prix faire « grand » est une illusion courante, stupide et absurde. Faire beau, agréable et authentique, même très petit, est largement positif et suffisant.

Il faut très vite fixer un parcours pour le défilé, quitte même à le modifier si nécessaire ensuite.

Prendre une assurance est indispensable. Certains assureurs sont très gourmands, d'autres refusent d'assurer une fête. L'assureur le moins gourmand que je connaisse est la MAIF.

Il faut choisir un responsable de la fête, qui peut être président d'une association déposée selon la loi de 1901. Les autorités préfèrent un président d'une telle association plutôt qu'un simple particulier. Ne pas s'obnubiler sur les vertus de l'association 1901. La seule vraie association qui fera la fête sera la volonté commune engagée de ceux qui s'impliqueront, adhérents ou non d'associations 1901.

Pour défiler dans la rue, il faut une « autorisation d'occupation de la voie publique ». A Paris elle est délivrée par un service de la Préfecture de police appelé la Direction de l'ordre public et de la circulation, qui traite présentement 5000 autorisations chaque année.

Petit rappel juridique utile : en France, le maire de la commune est Officier de police judiciaire, peut requérir la force publique, police si elle existe ou gendarmerie, et a un pouvoir sur la voie publique pour y autoriser défilés, rassemblements, etc. Seules trois villes françaises sont dotées d'un maire qui n'a aucun pouvoir sur la voie publique : Paris, Lyon et Marseille. Dans ces trois villes existe une Préfecture de police. C'est elle qui régit la voie publique. C'est au Préfet de police qu'on doit s'adresser pour demander une autorisation d'occupation de la voie publique : défilés, rassemblements, tournages de films, etc.

Il faut faire cette demande de préférence au moins deux mois avant la date fixée, sinon même encore avant.

Certains endroits précis ne dépendent pas à Paris de la Préfecture de police, j'en connais au moins trois : l'espace sous les arcades de la place des Vosges appartient aux propriétaires riverains, l'espace sous la tour Eiffel appartient à la société de la tour Eiffel, l'esplanade devant l'Hôtel de ville de Paris dépend de la Mairie de Paris. Ayant souhaité accéder à cette dernière, le Carnaval de Paris et le Carnaval des Femmes ont essuyé ces dernières années plusieurs refus de la Mairie de Paris.

La demande faite au Préfet de police de Paris est ensuite transmise aux services préfectoraux compétents qui se chargent de traiter le dossier.

La Préfecture peut demander la modification du parcours, par exemple s'il doit démarrer près d'un hôpital, et que le cortège prévu est musical et bruyant. D'une manière générale la police n'est pas hostile aux fêtes. Ceux qui, en revanche, peuvent y être opposés sont des intérêts privés (commerçants, par exemple) ou des élus politiques. J'en ai connu des exemples. Il est souhaitable d'être appuyé par un élu qui écrit au Préfet de police une lettre de soutien au projet festif.

Une fête doit être libre, bénévole, gratuite et autogérée.

Autogérée, ça signifie que chaque groupe participant gère sa participation et se place selon son initiative dans le cortège. Il s'agit d'une fête, pas d'un défilé officiel !

A partir de 500 participants prévu, la manifestation doit se doter d'un service d'ordre en plus de la police qui escortera le cortège.

En France un festival ambulant est tenu aussi d'avoir en escorte un Poste de secours mobile (PSM), c'est-à-dire deux ambulances et cinq secouristes. Ce qui coute mille euros aujourd'hui. En revanche, une manifestation n'est pas tenue d'avoir cette escorte. C'est une question de but déclaré. Ainsi, la Gay Pride, qui est une manifestation, n'a pas de PSM, la Techno Parade, qui est un festival, en a un.

La participation au défilé doit être ouverte à tous.

Il faut se méfier du danger des subventions. Elles sont très difficiles à avoir, sont conditionnelles, imposent des obligations, attirent de faux amis, dénaturent l'esprit festif. Et quand elles ne sont pas reconduites coulent l'événement. Le nombre de fêtes liquidées ainsi est impressionnant. Faire sans subventions est de très loin préférable au fait de faire avec, et compter dessus.

Les politiques français, à part de rarissimes exceptions, ne savent pas ce que c'est qu'une vraie fête. Ils en ont même souvent peur. Elle les dérange.

Les journalistes sont rarement consciencieux avec la fête et traitent souvent celle-ci négligemment

Pour réussir la fête l'influence de la presse est quasi nulle et le bouche à oreille est essentiel.

A la base de la fête on trouve des organisations.

Quelle date choisir pour la fête ? Éviter dans les grandes villes l'été.

Quel parcours ? Un parcours populaire

Quel but ? Être heureux : ni politique, ni religieux, ni commercial, ni humanitaire, s'amuser et faire de jolies choses.

Le principe du gâteau est un principe fondamentale pour organiser une fête : si un gâteau qu'on prépare est bon, crue sa pâte est bonne au goût. Cuite, elle est encore meilleure. Préparer une fête doit être une occupation agréable. Si cette occupation est dans un de ses aspects désagréables, il n'a pas à être poursuivi. Il faut faire des choses agréables pour préparer la fête.

Elles peuvent parfois être juste un petit peu désagréable, mais si c'est trop, il faut arrêter immédiatement d'aller dans cette fausse direction.

Parmi les dangers menaçants la fête :

Le danger des « efficaces » : des personnes qui prônent « l'efficacité », prétendent en être les champions. Et sont souvent des parasites inverses qui mettent en danger la fête.

Quand on organise quelque chose, on rencontre des critiques vides, des appropriations du travail d'autrui. Et il n'y a pas de reconnaissances à attendre.

Quand on organise une fête on rencontre beaucoup d'abandons de personnes qui commencent quelque chose et arrêtent tout ensuite. S'y attendre et ne pas s'en formaliser.

Il faut faire avec ce qu'on a.

Que faire des professionnels dans une fête bénévole ? Ne pas leur cacher le mode d'organisation. Les remercier et décliner aimablement leurs propositions payantes.

Les « chars » et géants sont très jolis, impressionnants. Vus les frais à engager pour les construire, il vaut mieux s'en passer sans problèmes. Quantité de très beaux Carnavals s'en passent parfaitement.

Pour une fête réussie, on fait main bricolé plutôt que « luxe ». Et la foule peut suivre et rejoindre à tous moments le défilé. Sinon, ça n'est pas un vrai Carnaval.

Les échanges entre vraies fêtes sont enrichissants et instructifs pour les réussir au mieux possible.

Basile, philosophe naïf, Paris le 23 février 2015

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