Une blague qu'on raconte,
celle du saucisson. Un couple marié depuis longtemps se retrouve à
table tous les soirs. Et, tous les soirs, l'homme sort un saucisson
et demande à sa femme : « tu veux du saucisson ? »
« Oui », réponds la femme. L'homme coupe alors du
saucisson qu'il donne à sa femme, qui le mange. Un soir, au bout de
bien des années, l'homme demande à sa femme : « au fait, tu aimes
le saucisson ? » « Non », réponds la femme.
« Mais, pourquoi alors acceptes-tu que je t'en offre ? »
« Parce que je croyais te faire plaisir en acceptant ».
La même blague existe en Afrique. Sauf que le saucisson laisse la
place à du poulet. Sinon, l'histoire est la même.
Il n'y a pas qu'avec le
saucisson que l'histoire est possible. C'est exactement ce qui m'est
arrivé durant plusieurs années avec la femme que j'aimais et dont
je partageais la vie. Je pensais que, forcément, elle avait envie de
« faire l'amour » avec moi. Elle pensait que, forcément,
j'avais envie de « faire l'amour » avec elle. Alors,
comme deux vaillants « petits soldats » nous avons
cherché à « mettre le couvert » des dizaines de fois.
Alors que nous nous aimions, nous entendions à merveille, mais
n'avons jamais eu envie, ni l'un, ni l'autre, de « faire
l'amour » ensemble. Et alors ? Où était le problème ? Dans
notre tête. Et, bien sûr, à force de tenter une chose qui n'avait
pas lieu d'être et qui n'est pas anodine, ni la sexualité ne
fonctionnait, ni, finalement, notre relation en général. Cette
« sexualité » copié collé de la mythologie sexuelle :
« un homme et une femme qui s'aiment doivent forcément faire
l'amour » a rongé notre relation et l'a détruite. Nous avons
eu du mal à restaurer ensuite, fort heureusement, une bonne amitié
entre nous.
La mythologie sexuelle
régnante prétend qu'il faut faire l'amour. Que c'est forcément le
summum du plaisir. Que l'homme éjaculant et l'homme jouissant c'est
la même chose. Or, on peut avoir mal en éjaculant, voire ne pas
ressentir grand chose. Mais déclarer ça va à l'encontre des
stéréotypes : l'homme, soi-disant, connait une jouissance facile et
automatique qui en fait une « bête sexuelle » supérieure
à la femme. Cette affirmation est une totale et parfaite ânerie.
Quand on demande trop, et
mal, on s'empêche de recevoir. Si on n'arrive pas à recevoir, on se
crée un cordon sanitaire autour de soi qui nous enferme dans un
désert affectif.
L'homme fréquemment
souffre de trois problèmes :
D'abord, une approche
obsessionnelle de son excitation génitale humide, son érection et
son éjaculation. Ensuite, comme il fait fuir les femmes, il fini par
attacher une importance démesurée à leur apparence morphologique.
Comme c'est la seule chose dont elles le laissent « jouir ».
Si à ses yeux, une femme est « très belle », il veut
généralement lui courir après. Ou, inversement, il a peur d'elle.
Enfin, comme son comportement l'amène à être gravement rationné
affectivement, il est terriblement affamé. Ce qui fait que quand il
a réussi malgré tout à approcher une femme, il développe souvent
une jalousie morbide.
Tous ces troubles sont
issues de sa morale de saucisson. Il croit que la femme n'a qu'une
envie : « absolument faire l'amour avec l'homme qu'elle
apprécie ». Cette appréciation étant baptisée
« séduction ». Or, les femmes ne sont pas des « machines
à baiser ». C'est pourtant ainsi que nombre d'hommes, y
compris apparemment sérieux, lucides et intelligents les
considèrent. J'ai vu un jour, dans une sorte de camp de vacances
arriver une jeune fille genre mannequin. Il fallait voir l'affolement
d'un petit troupeau d'imbéciles qui, sans se demander qui elle
était, sans chercher même à faire sa connaissance, n'avait plus
qu'une idée en tête : la baiser. Ce n'était plus une femme, un
être humain, mais un trou accessoirement pourvu d'une identité. La
mythologie sexuelle, la morale du saucisson est ainsi. J'ai réussi à
m'en débarrasser. Mais ce fut un très long travail à faire sur
moi.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 3 février 2015
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