vendredi 24 avril 2015

369 Syndrome idéologique de Stockholm : le besoin de croire

Le phénomène du « syndrome de Stockholm » est très connu. Des gens normaux et ordinaires pris en otages dans une banque de Stockholm et menacés par un individu dangereux et armé ne tarirent pas d'éloges envers lui après la fin de cette prise d'otages. Pourquoi cette aberration ? Parce qu'ils avaient besoin de croire à ce conte de fées plutôt que d'accepter la terrible et sinistre réalité. Ce phénomène de négation de la réalité au bénéfice d'un conte fantaisiste est en fait des plus répandus. C'est pourquoi j'en ai dérivé le concept de « syndrome idéologique de Stockholm ». Pour satisfaire le besoin de croire en quelque chose d'imaginaire la réalité évidente est simplement niée au bénéfice d'un conte.

J'en ai eu la démonstration récemment. Une amie m'avait donné rendez-vous. Je m'étais dit : « nous allons bavarder de choses insouciantes et légères... foin de discours philosophiques ! » Las ! Ce fut tout le contraire. L'amie d'emblée me déclara être en souffrance. Larguée par son petit copain, ce qui m'amena à vouloir analyser sa situation à elle.

Je lui fit remarquer que quand pour la énième fois on souffre en amour comme d'innombrables autres personnes c'est une phénomène de société. Que la constante de nos malheurs ici c'est nous-mêmes. Il est inutile et faux de passer son temps à juste incriminer la responsabilité supposée des autres. Il faut considérer d'un regard critique son propre comportement, sa façon de penser. Changer sa manière de faire pour éviter la répétition des déceptions.

Mon amie en souffrance, entendant mes propos, me déclara ne pas souhaiter modifier sa démarche habituelle et pourtant inlassablement décevante. Elle comptait en dépit de toutes ses déceptions finir par rencontrer « la bonne personne » qui existe forcément quelque part... La logique, la raison, elle n'en avait visiblement que faire. Elle avait besoin de croire : le prochain, un autre, un jour, sera le bon. Comme on dit : « un jour, mon prince viendra... »

Au bout du compte c'est moi qui à ses yeux devenait suspect. Personne n'a le droit de remettre en question la jolie fable du prince charmant ou de la princesse charmante. Et tant pis si cette quête absurde conduit chaque année des dizaines de milliers de jeunes gens et jeunes filles au désespoir, à la dépression, au suicide. Le besoin de croire prime la raison. Aux yeux de la personne concernée et consternée, l'évidence s'efface et le rêve remplace la réalité. Plutôt que chercher à améliorer concrètement le présent, elle choisit de conserver intact dans sa tête le rêve d'un futur imaginaire qui tarde à venir. Et qui peut très bien ne jamais arriver.

Ce comportement est des plus habituels. J'en ai eu la preuve à mon propos. Il y a quelques années, j'ai rédigé un texte où je disais qu'il ne faut pas faire l'amour en suivant un raisonnement, mais seulement s'il existe un désir authentique et réel. Puis, j'ai rencontré une demoiselle et tout l'entourage et nous deux avons conclu que nous formions « un couple » et devions faire l'amour ensemble. Bien qu'il n'y avait pas là de désir mais juste un raisonnement. J'ai oublié prestement et complètement ce que j'avais pensé et écrit. J'avais besoin de croire à la fable du prince charmant et de la princesse charmante. C'était si beau et je me shootais avec mes endorphines à fond les manettes ! Le Paradis auto-produit en attendant le réveil et le retour au réel, qui par contraste sera une descente aux enfers. Mon illusion dura quelques années, puis finit fatalement et inévitablement par se fracasser sur la dure réalité. Alors, mais alors seulement je me souvins qu'on ne doit pas faire l'amour pour répondre à un raisonnement intellectuel. Ça fini mal. Et un certain temps après la fin de cette histoire j'ai retrouvé et lu mon texte où j'expliquais justement ce qu'il fallait éviter. Et que je n'avais pas cherché à éviter. Mon intellect s'était en quelque sorte déconnecté face au besoin de croire une rutilante fable aujourd'hui omniprésente : un homme, une femme, s'aiment et s'entendent, se font des câlins... donc, ils doivent faire l'amour, puisque c'est « un couple »... Eh bien non.

Ce besoin de croire qui anesthésie la conscience claire de la réalité explique quantité d'aberrations idéologiques. Si on considère, par exemple, un paradoxe comme : « si Dieu est tout puissant, il peut tout. Peut-il alors créer une pierre qu'il ne peut pas soulever ? » On conviendra que logiquement il existe ici une impossibilité pour la toute puissance. Ça n'empêche pas des quantités de gens à croire à cette toute puissance. Pourquoi ? Parce qu'ils ont besoin de croire...

Quand les gouvernements de 27 pays d'Europe s'obstinent à une politique de rigueur ou austérité, c'est la même chose, qui ruine tout. Peu importe qu'une quantité de gens leur démontre l'absurdité dévastatrice de leur politique. Ils veulent croire que leur politique est la bonne. Et, quand celle-ci fait augmenter, avec le sinistre Mémorandum de 40% la mortalité infantile en Grèce, ils s'obstinent. Sont-ils des monstres ces gouvernants ? Haïssent-ils les enfants grecs qu'ils font périr ainsi ? Pas du tout, ils n'ont aucune conscience de leur pouvoir destructeur en action. Une fois encore le syndrome idéologique de Stockholm fait qu'ils n'ont aucune conscience précise du mal qu'ils font.

Quand je fais revivre le Carnaval de Paris sur la seule base possible, c'est-à-dire libre, bénévole, gratuit et avec le minimum d'argent possible, j'entends fréquemment des messages parasites. Je devrais agir autrement. Chercher de l'argent, des soutiens politiques... qui entraineraient la mort rapide du Carnaval de Paris. J'ai beau l'expliquer à mes mauvais conseilleurs. Rien n'y fait. Ils ont besoin de croire à leurs recettes mortifères. D'autant plus absurdes à proposer à l'heure où des dizaines d'événements culturels disparaissent faute du renouvellement de leur subvention annuelle.

Base de la fête populaire il faut des goguettes, petites sociétés festives et chantantes de moins de vingt membres se réunissant ponctuellement et régulièrement pour passer un bon moment ensemble. Rien de plus simple à organiser qu'une goguette. Et en plus ça ne demande pas d'argent. Mais, aussi, en fait, rien de plus difficile à mettre en route. Pourquoi ? Parce que ne connaissant pas ce que c'est, les personnes auxquelles j'en parle ont besoin de penser organisation administrative, local, subventions, dépôt de statuts, investissement moral important. Elles n'arrivent pas à entendre mon message simplissime. Sauf petit à petit au bout d'un an, une dizaine de personnes qui se réunissent avec moi et forment avec moi une nouvelle goguette. Souhaitons que son exemple entraine d'autres initiatives du même ordre.

Quand la masse des gens a besoin de croire une chose qui va à l'encontre de la réalité, il lui est extrêmement difficile d'arriver à percevoir celle-ci. Et, si on tente de transmettre la conscience de celle-ci c'est pratiquement impossible. Expliquer le contraire de ce que vos interlocuteurs veulent croire, neutraliser en eux l'effet du syndrome idéologique de Stockholm, est autant dire rigoureusement impossible. Ce qui ne les empêche pas de se douter éventuellement de quelque chose d'inhabituel en voyant votre comportement. Ainsi, par exemple, tout dernièrement une grande et très belle jeune femme inconnue s'asseyait juste face à moi dans le métro. Elle n'a pas arrêté de me regarder en utilisant l'arsenal habituel féminin en usage à Paris pour regarder un homme en faisant semblant de ne pas le faire. Par exemple : le balayage, qui consiste à balayer un large champ de vision dans lequel se trouve par hasard l'homme qu'on veut regarder. Là, ce fut un festival de ces techniques, dont même un balayage que je ne connaissais pas, au lieu d'être de gauche à droite ou de droite à gauche, plus sophistiqué il fut de gauche en bas à droite en haut. Le message indirect de ce manège oculaire était : « comment se fait-il que vous ne cherchez pas à m'aborder ? » Y compris quitte à être ensuite envoyé balader. Mais là, je ne suivais pas la pensée unique et dragueuse régnante. Mon absence de tentative d'abordage de ladite belle l'a alors décontenancé. Ne pas faire « comme tout le monde » dérange y compris ceux qu'importune ce comportement de « tout le monde ». Ces comportements stéréotypés qui sont régimentés par le syndrome idéologique de Stockholm. Plutôt que me dire : « qu'ai-je à faire d'une jolie femme inconnue ? », et ne rien faire, il aurait fallu que je suive les fantasmes dominants. Et m'ennuie à tenter un abordage. Eh bien non.

Basile, philosophe naïf, Paris le 24 avril 2015

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