Le phénomène du
« syndrome de Stockholm » est très connu. Des gens
normaux et ordinaires pris en otages dans une banque de Stockholm et
menacés par un individu dangereux et armé ne tarirent pas d'éloges
envers lui après la fin de cette prise d'otages. Pourquoi cette
aberration ? Parce qu'ils avaient besoin de croire à ce conte
de fées plutôt que d'accepter la terrible et sinistre réalité. Ce
phénomène de négation de la réalité au bénéfice d'un conte
fantaisiste est en fait des plus répandus. C'est pourquoi j'en ai
dérivé le concept de « syndrome idéologique de Stockholm ».
Pour satisfaire le besoin de croire en quelque chose d'imaginaire la
réalité évidente est simplement niée au bénéfice d'un conte.
J'en ai eu la
démonstration récemment. Une amie m'avait donné rendez-vous. Je
m'étais dit : « nous allons bavarder de choses insouciantes et
légères... foin de discours philosophiques ! » Las ! Ce fut
tout le contraire. L'amie d'emblée me déclara être en souffrance.
Larguée par son petit copain, ce qui m'amena à vouloir analyser sa
situation à elle.
Je lui fit remarquer que
quand pour la énième fois on souffre en amour comme d'innombrables
autres personnes c'est une phénomène de société. Que la constante
de nos malheurs ici c'est nous-mêmes. Il est inutile et faux de
passer son temps à juste incriminer la responsabilité supposée des
autres. Il faut considérer d'un regard critique son propre
comportement, sa façon de penser. Changer sa manière de faire pour
éviter la répétition des déceptions.
Mon amie en souffrance,
entendant mes propos, me déclara ne pas souhaiter modifier sa
démarche habituelle et pourtant inlassablement décevante. Elle
comptait en dépit de toutes ses déceptions finir par rencontrer
« la bonne personne » qui existe forcément quelque
part... La logique, la raison, elle n'en avait visiblement que faire.
Elle avait besoin de croire : le prochain, un autre, un jour, sera le
bon. Comme on dit : « un jour, mon prince viendra... »
Au bout du compte c'est
moi qui à ses yeux devenait suspect. Personne n'a le droit de
remettre en question la jolie fable du prince charmant ou de la
princesse charmante. Et tant pis si cette quête absurde conduit
chaque année des dizaines de milliers de jeunes gens et jeunes
filles au désespoir, à la dépression, au suicide. Le besoin de
croire prime la raison. Aux yeux de la personne concernée et
consternée, l'évidence s'efface et le rêve remplace la réalité.
Plutôt que chercher à améliorer concrètement le présent, elle
choisit de conserver intact dans sa tête le rêve d'un futur
imaginaire qui tarde à venir. Et qui peut très bien ne jamais
arriver.
Ce comportement est des
plus habituels. J'en ai eu la preuve à mon propos. Il y a quelques
années, j'ai rédigé un texte où je disais qu'il ne faut pas faire
l'amour en suivant un raisonnement, mais seulement s'il existe un
désir authentique et réel. Puis, j'ai rencontré une demoiselle et
tout l'entourage et nous deux avons conclu que nous formions « un
couple » et devions faire l'amour ensemble. Bien qu'il
n'y avait pas là de désir mais juste un raisonnement. J'ai oublié
prestement et complètement ce que j'avais pensé et écrit. J'avais
besoin de croire à la fable du prince charmant et de la princesse
charmante. C'était si beau et je me shootais avec mes endorphines à
fond les manettes ! Le Paradis auto-produit en attendant le réveil
et le retour au réel, qui par contraste sera une descente aux
enfers. Mon illusion dura quelques années, puis finit fatalement et
inévitablement par se fracasser sur la dure réalité. Alors, mais
alors seulement je me souvins qu'on ne doit pas faire l'amour pour
répondre à un raisonnement intellectuel. Ça fini mal. Et un
certain temps après la fin de cette histoire j'ai retrouvé et lu
mon texte où j'expliquais justement ce qu'il fallait éviter. Et que
je n'avais pas cherché à éviter. Mon intellect s'était en quelque
sorte déconnecté face au besoin de croire une rutilante
fable aujourd'hui omniprésente : un homme, une femme, s'aiment et
s'entendent, se font des câlins... donc, ils doivent faire
l'amour, puisque c'est « un couple »... Eh bien non.
Ce besoin de croire
qui anesthésie la conscience claire de la réalité explique
quantité d'aberrations idéologiques. Si on considère, par exemple,
un paradoxe comme : « si Dieu est tout puissant, il peut tout.
Peut-il alors créer une pierre qu'il ne peut pas soulever ? » On
conviendra que logiquement il existe ici une impossibilité pour la
toute puissance. Ça n'empêche pas des quantités de gens à croire
à cette toute puissance. Pourquoi ? Parce qu'ils ont besoin de
croire...
Quand les gouvernements
de 27 pays d'Europe s'obstinent à une politique de rigueur ou
austérité, c'est la même chose, qui ruine tout. Peu importe qu'une
quantité de gens leur démontre l'absurdité dévastatrice de leur
politique. Ils veulent croire que leur politique est la bonne. Et,
quand celle-ci fait augmenter, avec le sinistre Mémorandum de
40% la mortalité infantile en Grèce, ils s'obstinent. Sont-ils des
monstres ces gouvernants ? Haïssent-ils les enfants grecs qu'ils
font périr ainsi ? Pas du tout, ils n'ont aucune conscience de leur
pouvoir destructeur en action. Une fois encore le syndrome
idéologique de Stockholm fait qu'ils n'ont aucune conscience précise
du mal qu'ils font.
Quand je fais revivre le
Carnaval de Paris sur la seule base possible, c'est-à-dire libre,
bénévole, gratuit et avec le minimum d'argent possible, j'entends
fréquemment des messages parasites. Je devrais agir autrement.
Chercher de l'argent, des soutiens politiques... qui entraineraient
la mort rapide du Carnaval de Paris. J'ai beau l'expliquer à mes
mauvais conseilleurs. Rien n'y fait. Ils ont besoin de croire
à leurs recettes mortifères. D'autant plus absurdes à proposer à
l'heure où des dizaines d'événements culturels disparaissent faute
du renouvellement de leur subvention annuelle.
Base de la fête
populaire il faut des goguettes, petites sociétés festives et
chantantes de moins de vingt membres se réunissant ponctuellement et
régulièrement pour passer un bon moment ensemble. Rien de plus
simple à organiser qu'une goguette. Et en plus ça ne demande pas
d'argent. Mais, aussi, en fait, rien de plus difficile à mettre en
route. Pourquoi ? Parce que ne connaissant pas ce que c'est, les
personnes auxquelles j'en parle ont besoin de penser organisation
administrative, local, subventions, dépôt de statuts,
investissement moral important. Elles n'arrivent pas à entendre mon
message simplissime. Sauf petit à petit au bout d'un an, une dizaine
de personnes qui se réunissent avec moi et forment avec moi une
nouvelle goguette. Souhaitons que son exemple entraine d'autres
initiatives du même ordre.
Quand la masse des gens a
besoin de croire une chose qui va à l'encontre de la réalité, il
lui est extrêmement difficile d'arriver à percevoir celle-ci. Et,
si on tente de transmettre la conscience de celle-ci c'est
pratiquement impossible. Expliquer le contraire de ce que vos
interlocuteurs veulent croire, neutraliser en eux l'effet du syndrome
idéologique de Stockholm, est autant dire rigoureusement impossible.
Ce qui ne les empêche pas de se douter éventuellement de quelque
chose d'inhabituel en voyant votre comportement. Ainsi, par exemple,
tout dernièrement une grande et très belle jeune femme inconnue
s'asseyait juste face à moi dans le métro. Elle n'a pas arrêté de
me regarder en utilisant l'arsenal habituel féminin en usage à
Paris pour regarder un homme en faisant semblant de ne pas le faire.
Par exemple : le balayage, qui consiste à balayer un large champ de
vision dans lequel se trouve par hasard l'homme qu'on veut regarder.
Là, ce fut un festival de ces techniques, dont même un balayage que
je ne connaissais pas, au lieu d'être de gauche à droite ou de
droite à gauche, plus sophistiqué il fut de gauche en bas à droite
en haut. Le message indirect de ce manège oculaire était :
« comment se fait-il que vous ne cherchez pas à m'aborder ? »
Y compris quitte à être ensuite envoyé balader. Mais là, je ne
suivais pas la pensée unique et dragueuse régnante. Mon absence de
tentative d'abordage de ladite belle l'a alors décontenancé. Ne pas
faire « comme tout le monde » dérange y compris ceux
qu'importune ce comportement de « tout le monde ». Ces
comportements stéréotypés qui sont régimentés par le syndrome
idéologique de Stockholm. Plutôt que me dire : « qu'ai-je à
faire d'une jolie femme inconnue ? », et ne rien faire, il
aurait fallu que je suive les fantasmes dominants. Et m'ennuie à
tenter un abordage. Eh bien non.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 24 avril 2015
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