Les phénomènes classés
comme des « agressions sexuelles » ont très fréquemment
des conséquences étranges :
Une agression même
d'apparence légère peut conduire à des souffrances intenses et
durant des dizaines d’années.
Alors que la victime a
été agressée, paradoxalement, elle se sent coupable.
Elle est très souvent
incapable de se plaindre, dénoncer son agression et son ou ses
auteurs.
Le souvenir chez
l'agressé est modifié. Alors qu'il continue à souffrir de
l'agression, en quelque sorte le souvenir de celle-ci est effacé de
sa mémoire « consciente » ou est modifié. Il se
rappelle de l'agression, mais comme un fait sans conséquences. Alors
qu'il souffre de ces conséquences.
Il existe diverses
explications de cette situation. Il me semble que celles-ci sont
trompeuses. Pour se détromper, j'avance ici une explication :
la théorie des trois rages intérieures.
Quand l'être humain
naît, c'est un petit singe sauvage. S'il rampe vers le sein de sa
mère, le nouveau-né humain n'est pas guidé par la culture humaine,
mais par l'instinct pur.
Cet instinct domine ses
premières années de vie. En particulier il est alors caressé de
partout. Il ressent y compris comme des caresses des gestes qui n'en
sont pas. Par exemple être lavé avec un gant de toilette tiède.
Cette situation va très brutalement changer. Vers l'âge de quatre
ans environ interviendra le sevrage tactile. Celui-ci
sera d'une violence inouïe, mais une violence spéciale : une
violence « par omission ». Elle ne consistera pas à
faire subir des coups, mais faire subir l'arrêt des caresses, ou
tout au moins de la plupart d'entre elles. On apprendra par exemple à
l'enfant à dormir ou se laver seul, c'est-à-dire sans la présence
et le contact de l'autre. L'enfant sera formé à la solitude.
Certains d'entre eux au début hurleront de terreur seuls dans leur
lit dans une pièce séparée de celle des parents. Ce moment,
qualifié d'« étape indispensable » du « développement »
de l'enfant, servira essentiellement à rendre aux parents l'intimité
nocturne permettant au mari de profiter sexuellement de son épouse.
La violence du sevrage
tactile est phénoménale. Le petit humain ne dispose pas d'éléments
d'analyse et d'une vision globale de ce qui lui arrive. C'est
incompréhensible, troublant, inanalysable. Il ne connaît pas grand
chose du monde. Et voilà qu'on lui retire une part essentielle de
son confort et sa perception.
Quelquefois les choses se
passent différemment. Mais pour la grande masse des humains c'est un
choc qui sera intériorisé. Ce sera la première « rage
intérieure ». Elle restera tapie dans le petit humain et
bondira de son coin sombre le moment venu.
La seconde rage
intérieure est le produit d'une chose cachée et rejetée dans
l'ombre avant même que le petit humain ait pu en jouir. Il s'agit
de la toilette originelle.
Chez diverses espèces
animales, au nombre desquelles les singes ou les chats par exemple,
la toilette est une activité naturelle et essentielle. Elle ignore
l'usage des éponges, des gants de toilette, de l'eau ou du savon.
Elle s'effectue avec la langue et la salive. Depuis des dizaines de
milliers d'années la toilette du singe ne fait plus partie de la
civilisation humaine. On ne se lèche pas le plus souvent pour se
laver. On ne lèche pas les autres non plus. Mais cette toilette
fait partie de notre conscience originelle, intérieure, intacte à la
naissance.
Une expérience facile à
tenter consistera à surmonter notre dégoût culturel de la bave. Si
nous salivons abondamment dans une de nos mains et la passons sur un
endroit quelconque de notre peau, nous constaterons alors que ce
contact est très agréable. Bien sûr, nous n'allons pas prôner ici
la toilette à la salive, mais ferons le constat de ce qu'elle vit
toujours au fond de notre conscience. Son rejet culturel en a fait un
acte sensuel dédié à « la sexualité », alors qu'elle
n'est en rien « sexuelle ».
La troisième rage
intérieure sera formée d'une quantité de contrariétés
culturelles. Des interdits qui viendront nous perturber, enfant,
venant des « grandes personnes », et seront d'origine
culturelle. Les interdits verbaux, gestuels, vestimentaires,
alimentaires, etc. qui ne trouveront pas d'explications logiques mais
auront pour seule justificatif d'émaner des « grandes
personnes ». Ne pas mettre la main là où ça brûle est
logique. Ne pas devoir prononcer un mot parce que c'est « un
gros mot » n'a aucune justification logique.
Le problème des rages
intérieures est qu'elles se manifesteront à la faveur d'événements
entrant en écho avec elles. Privé de câlins par le sevrage
tactile, le petit humain va se demander ce qu'il a pu mal faire pour
y arriver. Il n'osera pas en parler. Il oubliera apparemment le
sevrage tactile.
Et quand surgira un
événement proche de ce dont il est privé par le sevrage tactile,
toute la souffrance de celle-ci se réveillera, en quelque sorte
camouflée derrière l'événement réveilleur.
Ce sera tout
particulièrement vrai s'agissant du viol et des agressions qui lui
sont apparentées. En apparence la victime souffrira d'une agression.
Mais « derrière celle-ci » ce sera le souvenir de la
violence passée du sevrage tactile qui se réveillera. Un peu comme
une vieille blessure mal refermée qui se réveille sous un choc
nouveau.
Si on veut soigner la
victime, il faut soigner la vieille blessure. Comment ? Par la
caresse à visée thérapeutique et apaisante. Qui renouera avec la
tiédeur oubliée de l'enfance.
Ces caresses devront
porter sur des zones et dans des conditions qui les mettront hors du
théâtre organisé de la sexualité humaine. Par exemple on évitera
le tête-à-tête soignant-soigné, la nudité, etc. Tout ce qui
pourrait rappeler la « sexualité » au patient ou à son
thérapeute. La chose est possible, organisable. Pour l'instant en
France notre culture n'est pas prête de l'accepter. Peut-être dans
d'autres pays cette expérience est possible.
En tous les cas, à
défaut de pouvoir la mettre en pratique, j'ai fait ici tout ce que
je pouvais déjà faire, qui était d’exprimer ma pensée.
Ce qui différencie les
humains des autres espèces animales, c'est la large absence de
caresses. Cette absence les rend à l'occasion stupides, égoïstes,
violents. Elle rend aussi très souvent les hommes harceleurs,
dominateurs et violents avec les femmes. S'il y avait plus de câlins
dans ce monde, il serait beaucoup plus doux, respectueux et tolérant.
On sera bien obligé d'y revenir un jour. Car jadis, il y a très
longtemps, les humains vivaient en accord avec leur nature et la
Nature en général. J'ai réalisé le poids moral de la première
rage intérieure quand récemment j'écrivais le récit de mes
retrouvailles avec le toucher à la faveur d'un stage de massages en
1986. Au début j'avais écrit : « j'ai découvert le
toucher » à cette occasion. Puis, j'ai rapproché cet
événement de ma réflexion sur le sevrage tactile et en ai conclut
que je ne pouvais pas avoir « découvert » le toucher à
cette occasion, mais l'avais forcément « redécouvert ».
Comment n'avais-je pas jusqu'ici vu la chose ainsi ? Parce que
le souvenir de ce sevrage était en quelque sorte « effacé ».
Il avait été trop violent pour être supportable. La violence
inouïe du sevrage tactile est un aspect fondamental de celui-ci.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 11 février 2017
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