Sur quelles
bases sont organisées les rapports humains dans notre société ?
Essentiellement sur deux bases possibles qui peuvent se combiner : la
base sexuelle, le mariage et ses implications familiales, et la base
économique. Force est de constater que les résultats qualitatifs
sont loin d'être satisfaisants pour nombre de gens. Quantité
d'entre eux, même mariés, ayant une bonne situation matérielle, ne
se sentent pas heureux. Ne pourrait-on pas développer une troisième
base ? Ce serait celle de la fête, des goguettes.
Sommairement, une goguette, c'est un petit groupe de personnes
qui viennent chanter ensemble. Le rôle et l'importance des
goguettes, je l'ai compris suite à mes efforts pour la renaissance
du Carnaval de Paris. Il y a 22 ans, quand j'ai pris l'initiative de
la renaissance du Carnaval de Paris, j'ai très vite réalisé que
pour exister un Carnaval avait besoin d'être organisé. Mais de
quelle organisation a besoin le Carnaval ? C'était pour moi un
mystère. Aucun livre que je consultais me l'expliquait. Et les
courriers que j'ai envoyé en 1998 à 40 sociétés
philanthropiques et carnavalesques de Dunkerque et des villes
alentours sont restés sans réponses.
J'ai
compris, au bout de 18 ans de recherches, que les goguettes
étaient la base de la fête vivante et populaire en France.
De célèbres chansons ou comptines françaises viennent des goguettes, comme : Frère
Jacques, Dansons la Capucine, Ma Normandie, Le Temps des cerises,
L'Internationale, Turlututu chapeau pointu, Fanfan la Tulipe, l'air
du Carnaval de Dunkerque. Les goguettes formaient jadis un
mouvement de masses. On en rencontrait partout. Par exemple, savez-vous qu'aux obsèques de Victor Hugo en 1884, la participation d'une goguette – celle des Béni-Bouffe-Toujours, – fut très remarquée ? Des goguettes, il y en avait des milliers – dont des
centaines à Paris, – et d'autres ailleurs, jusque dans les
petits villages. Les livres d'Histoire officielle n'en parlent pas.
Certains auteurs les mentionnent uniquement comme des lieux
d'opposition républicaine au régime royal ou impérial. En fait, la
plupart des goguettes n'avaient aucune orientation politique.
D'autres auteurs réduisent les goguettes à des préfigurations des
cafés-concerts, qui auraient pris ensuite leur place. Et beaucoup
déclarent, en niant la réalité, que les goguettes ont disparu
vers 1851 interdites sous le Second Empire. Cette fable fut inventée par des
Républicains après la chute du Second Empire. Ils le chargeaient de
tous les maux possibles. Et cherchaient ainsi à
valoriser la Troisième République.
Tout ce qui,
sous le Second Empire, avait eu un caractère ludique et populaires
de masses fut envoyé aux oubliettes par les adulateurs de la
Troisième République. En firent également les frais la musique
festive de danses de Paris et les orphéons et rassemblements
d'orphéons. Rien ne devait apparaître de positif du règne de
Napoléon III. C'est seulement très récemment que la place devant
la Gare du Nord à Paris a été baptisée en l'honneur de Napoléon
III. Les témoignages sur la persistance des goguettes sous Napoléon
III abondent. Contre l'évidence on trouve des discours insistant sur
leur liquidation par Napoléon III.
En quoi
consiste une goguette ? C'est un groupe traditionnel, convivial,
libre, bénévole, ludique et gratuit. Qui se réunit ponctuellement
pour partager des plaisirs simples. Boire, manger, rigoler, danser.
Et surtout : chanter des chansons. Il ne coûte rien financièrement.
Il peut également s'appeler autrement que goguette, par exemple :
société lyrique, société des amis réunis, société bachique
et chantante, société chansonnière, dîner chantant, société
philanthropique et carnavalesque, etc. Ce groupe doit rester
petit. Pour être viable, il doit compter au plus 19 participants.
Cette question du nombre est cruciale. Si on arrive à 20, on
constate que ça ne fonctionne plus pareil. On atteint une sorte de
masse critique. Quand cette masse critique est dépassée, de
nouveaux problèmes arrivent. Et créent des dissensions parmi les
membres. C'est presque toujours l'échec assuré à moyen terme.
Ce phénomène
a causé la disparition de pratiquement toutes les goguettes. Voyons
comment ça s'est passé. En France, jadis, une loi frappait d'une
lourde amende les associations regroupant sans autorisation plus de
19 personnes. Comme on le verra, cette loi répressive,
sans que ce soit son but,
protégeait en fait les goguettes. À
Paris, pour éviter l'amende, les goguettes comptaient au plus 19
participants. En 1835, un procès fut intenté à la goguette
de l'Enfer qui
avait outrepassé le nombre de 19. Dans cette goguette parisienne,
les membres avaient pour sobriquets des noms de démons. Ce procès
fit jurisprudence. Il établit que si la
réunion avait pour seul but de « boire et chanter », le
nombre de participants autorisé pouvait dépasser 19. Alors, les
goguettes commencèrent à dépasser 19 participants. Perdirent leur
fonctionnement chaleureux, amical, fraternel, familial. Connurent des
dissensions internes, des ambitions de commandements, des parasitages
divers. Elles voulurent des moyens, de l'argent, des locaux. La
politique s'en mêla. Ce fut une fuite en avant. Les goguettes
s'affaiblirent. Reculèrent. Disparurent. Et furent oubliées. Ce
processus a pris des décennies. Seules les goguettes de Dunkerque et
des villes alentours résistèrent. Pourquoi ? Parce qu'à l'origine
Dunkerque est une ville de marins-pêcheurs allant pêcher, chaque
année, la morue au large de l'Islande et de Terre-Neuve. Cette pêche
se pratiquait avec des lougres. Qui
étaient de petits bateaux à voiles,
montés par des équipages de 12 hommes. Les goguettes de Dunkerque
et des villes alentours étaient à l'origine des goguettes de
marins-pêcheurs. Traditionnellement, elles étaient
– et sont encore aujourd'hui, sauf trois ou
quatre, – de la
taille des équipages morutiers dunkerquois. Résultat : à Dunkerque
– et dans les villes
alentours, – il y a
toujours un formidable et très chantant Carnaval. Ailleurs en
France, presque partout, les goguettes ont disparu. Et le Carnaval a
disparu.
À Paris, j'ai fait renaître le Carnaval. Et à présent, que faire pour rétablir la tradition des goguettes d'avant 1835 ? Donner l'exemple. Dans ce but – et pour s'offrir des moments festifs partagés, – depuis mars 2014, j'ai créé une nouvelle goguette parisienne. Nous sommes à présent 12 très motivés, dont un guitariste. Notre goguette n'a ni cartes d'adhérents, ni cotisations, ni bureau, ni statuts déposés. N'a même pas de nom. Elle fonctionne très bien. Se réunit une fois par mois. Et espère faire école. Nous pourrons aussi un jour nous équiper avec une percussion et des jouets rustiques : des mirlitons ou bigophones. Qui sont des sortes de mirlitons améliorés. Nous renouerons ainsi avec une grande tradition qui voyait – à partir des années 1880, et durant 60 ans, – des centaines, puis des milliers de goguettes organisées en fanfares bigophoniques dans toute la France. Et des milliers d'autres de par le monde, comme aux États-Unis, où il en existait notamment des centaines montées sur bicyclettes.
L'oubli du mouvement des goguettes à Paris rend difficile sa renaissance dans la capitale. Renaissance qui pourrait démarrer plus facilement ailleurs. Et ensuite gagner Paris, en venant de lieux où mon appel serait plus facilement entendu et suivi.
À Paris, j'ai fait renaître le Carnaval. Et à présent, que faire pour rétablir la tradition des goguettes d'avant 1835 ? Donner l'exemple. Dans ce but – et pour s'offrir des moments festifs partagés, – depuis mars 2014, j'ai créé une nouvelle goguette parisienne. Nous sommes à présent 12 très motivés, dont un guitariste. Notre goguette n'a ni cartes d'adhérents, ni cotisations, ni bureau, ni statuts déposés. N'a même pas de nom. Elle fonctionne très bien. Se réunit une fois par mois. Et espère faire école. Nous pourrons aussi un jour nous équiper avec une percussion et des jouets rustiques : des mirlitons ou bigophones. Qui sont des sortes de mirlitons améliorés. Nous renouerons ainsi avec une grande tradition qui voyait – à partir des années 1880, et durant 60 ans, – des centaines, puis des milliers de goguettes organisées en fanfares bigophoniques dans toute la France. Et des milliers d'autres de par le monde, comme aux États-Unis, où il en existait notamment des centaines montées sur bicyclettes.
L'oubli du mouvement des goguettes à Paris rend difficile sa renaissance dans la capitale. Renaissance qui pourrait démarrer plus facilement ailleurs. Et ensuite gagner Paris, en venant de lieux où mon appel serait plus facilement entendu et suivi.
En faisant goguette – tout en nous amusant, – nous faisons reculer un des plus grands fléaux de notre temps : le sentiment de solitude. Dont souffre un grand nombre de gens – de tous les âges, et toutes les conditions sociales, – habitants aussi bien en ville qu'à la campagne. Nous pouvons également suggérer à des enfants de créer leurs goguettes. Qui les fera grandir, créer et s'amuser. Je suis prêt à apporter bénévolement mon aide à tous ceux qui souhaiteraient créer des goguettes. Pour vivre heureux, il nous faut beaucoup de goguettes. Je rêve qu'il y ait un jour des millions de goguettes dans le monde. Et qu'il soit réorganisé sur une base festive. Mon amie Alexandra – qui en 2011 à Asnières-sur-Seine avait créé une goguette, – me disait : « avant de faire une chose, il faut commencer par la rêver. »
La presse
nationale française est remplie de nouvelles négatives : conflits divers, guerres, crises économiques. Mais, si nous parvenons à
résoudre tous ces problèmes, pour autant, résoudrons-nous
automatiquement ainsi aussi le problème du sentiment de solitude
dont souffrent des dizaines de millions de gens ? Est-ce que par
exemple les veuves seront à l'abri de la solitude si elles ne se
conforment pas à l'ultimatum de « retrouver quelqu'un »
? Non, bien sûr, pas plus que les dizaines de millions d'autres
personnes qui souffrent du sentiment de solitude. Que ce sentiment
corresponde à une solitude effective ou non. Notre société
favorise ce sentiment car elle pose pour principes que les relations
sociales connaissent une base soit sexuelle soit économique, soit
combinée des deux. En promouvant une troisième base : la base
festive des goguettes, on peut sortir de cette alternative
démoralisante. Sans que cette base soit en opposition avec quoi que
ce soit de positif. Elle est et reste simplement libre, désintéressée
et indépendante. La fête a des fois été niée comme phénomène
positif. Au nom du fait que des malheurs existent. On ne voit pas en
quoi renoncer à s'amuser mettrait un terme à nos malheurs. Renoncer
ne ferait que rendre la vie plus triste. En 1919, une campagne
d'affiches à Dunkerque dénonçait le Carnaval au nom des deuils de
la Grande Guerre qui venait de finir. Un ami me rapportait il y a
quelques années que quelqu'un lui reprochait d'organiser le Carnaval
à Cherbourg-Octeville alors que le chômage y sévit. Renoncer à la
fête ne ressuscite pas les morts; Et ne fait pas disparaître le
chômage. Quoi qu'il arrive nous avons besoin de la fête.
Basile,
philosophe naïf, Paris le 9 juin 2015
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