L'inconnu quel qu'il soit
fait peur aux humains. Y compris s'il s'agit d'une chose extrêmement
positive, ou totalement secondaire, anodine, inoffensive.
J'ai pu le voir et le
vivre au début des années 1960 à Paris. La mode des cheveux longs
a été lancée pour les garçons. Quand un de mes deux frères a,
visiblement, voulut laisser pousser ses cheveux. Que ceux-ci
commençaient à devenir plus longs qu'une coupe de garçons
classique de l'époque, ce fut un drame dans la famille. Une
catastrophe ! Pourquoi ? Parce que c'était une petite entrée dans
l'inconnu. Une société où les garçons ont des cheveux longs.
Évoquer à l'époque que déjà il y a des siècles les garçons
portaient des cheveux longs n'y changeait rien. C'était un drame !
Quand j'ai commencé à
parler en 1994 de mon projet de renaissance du Carnaval de Paris,
initié en 1993, je me suis heurté à une forte opposition.
Pourtant, il s'agissait juste de faire défiler en musique avec des
costumes une vache dans les rues de Paris. Un tel projet ne
dérangeait pas en théorie, il arrangeait même. Mais, s'il
dérangeait et se heurtait à une telle opposition, c'est parce que
il ouvrait une perspective sur l'inconnu. Paris en Carnaval étant
une époque oubliée, devenait de ce fait cause de peur pour une
quantité de gens. A présent que ça fait dix-neuf ans que le
cortège du Bœuf Gras défile, il est de nouveau connu. Ce n'est
plus l'inconnu. Il ne fait plus peur.
Mais quand aujourd'hui je
propose la création de petits groupes chantants, qui ne demande ni
efforts particuliers ni mise de fond, j'ai du mal à faire passer le
message. Que de fois on m'oppose l'argument faux et stupide : « je
n'ai pas le temps ». Pourquoi renouer avec la tradition des
goguettes est si difficile ? Une fois de plus pour la même raison.
Les goguettes étant une tradition oubliée représente l'inconnu. Et
l'inconnu fait peur.
Dans le domaine de
l'amour il serait si simple et facile de sortir de la calamiteuse
situation actuelle. Mais pour rien au monde la plupart du temps qui
que ce soit veut faire changer l'état des choses. Pourquoi ? Parce
qu'en refusant le fonctionnement actuel et cherchant autre chose, on
entre dans l'inconnu.
Dans le domaine
politique, la peur de l'inconnu est également présente. Habitués à
l'euro et à l'Europe quantité de gens ont peur d'en sortir. Parce
que cette sortie c'est l'inconnu. On peut leur démontrer que leur
peur est absurde. Elle reste vivace. A la fin du XVIIIème siècle en
France on avait également peur de changer de régime politique. Le
roi était le connu, l'inconnu c'était un pays sans roi.
La peur de l'inconnu
explique que n'importe quelle chose nouvelle a généralement du mal
à s'imposer d'emblée, quelles que soient ses qualités.
La peur a sa logique. Il
n'est pas forcément logique d'avoir peur. Ça peut y compris être
totalement absurde. Ne pas créer des goguettes est absurde. Refuser
durant des années et empêcher de sortir le cortège du Bœuf Gras à
Paris était absurde aussi.
Quantité de femmes
s'interrogent aujourd'hui pour savoir pourquoi elles ont souvent
beaucoup de difficultés à dénoncer les violences qui leurs sont
faites. La réponse est là aussi la peur de l'inconnu. Une société
où les femmes défendent systématiquement leur dignité, on n'a pas
encore vu ça. Alors, y parvenir, chercher à y parvenir, fait peur.
Pourtant c'est le maintien du statut quo violent actuel qui devrait
plutôt faire peur. Aujourd'hui, qu'un garçon veuille avoir les
cheveux longs ne fait plus peur. Demain, le fait de se défendre ne
fera plus peur aux femmes.
Basile, philosophe
naïf, Paris le 9 mai 2016
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