lundi 19 janvier 2015

334 Fragments d'élitismes

L'élitisme négateur de l'Humanité, comme bien d'autres, j'y ai été confronté. Il prend des aspects particuliers selon les groupes, les milieux. Mais il a toujours la même signification : « au fond, l'Humanité, le Genre humain n'existe pas. Il y a les vrais gens valables : nous et les autres membres de notre groupe, les autres représentants de notre milieu. Et ceux qui se prétendent des êtres humains en dehors de ce cercle étroit, ne sont en fait rien. »

Une triste et regrettable conséquence de cette situation est un catastrophique appauvrissement de l'Humanité. En effet, si vous avez une excellente idée pratique mais n'appartenez pas à la branche, au groupe concerné, il sera impossible d'en faire profiter. Si vous êtes par exemple un agriculteur et avez une idée absolument génial pour améliorer la construction des digues contre les inondations, personne ne daignera vous écouter. Et surtout pas les constructeurs de digues, et encore moins les techniciens et ingénieurs concepteurs de digues. Il n'y aura rien à faire. Et si, inversement, un ingénieur constructeur de digues fait une trouvaille absolument génial pour améliorer la culture des champs, il n'y a autant dire aucune possibilité que son invention soit mise en application. Les agriculteurs ne voudront pas l'écouter. Et tout le reste partout est ainsi fait. En tous cas chez nous, en France et à Paris, mais sans doute pas qu'en France et à Paris. L'intelligence humaine, la créativité humaine est bridée. Et, au sein de chaque groupe, il y a également une hiérarchie. Dans le milieu hospitalier soignant, par exemple, il y a en bas, les agents de services hospitaliers, puis au dessus : les aides soignants, les infirmières, les infirmières chefs, les internes, les médecins, les chefs de cliniques, les professeurs... si un membre de cette hiérarchie s'avise à empiéter sur les prérogatives de la couche supérieure, malheur à lui ! Un médecin de base qui découvre un traitement efficace mais que seuls ses « supérieurs » sont « en droit » de trouver, ne sera pas écouté. La masse de découvertes utiles dans tous les domaines qui part à la poubelle chaque année est phénoménale.

J'ai été confronté à l'élitisme des « artistes ». Fréquentant l'École des Beaux-Arts, je me souviens du mépris affiché par un élève vis-à-vis des « peintres du dimanche », qui « peignent des bouquets de fleurs ». Ce sont pourtant de vrais artistes. Mais, ceux qui fréquentent une grande école d'art, et se proclament « artistes », vont souvent témoigner d'un mépris agressif pour les artistes du dimanche. J'ai aussi vu ce mépris affiché par des enseignants de la même école.

Quand j'ai eu 33 ans, j'ai élaboré une théorie sur l'univers, fruit de vingt-six années de réflexion. Considérant cette théorie comme très valable, très intéressante et nouvelle, j'ai voulu la communiquer à des scientifiques. La soumettre à leur avis. Je ne savais pas que mon ambition était déplacée dans notre société. Quand on ne fait pas partie de la caste des scientifiques, on n'est pas en droit de prétendre émettre une théorie dont la prérogative d'émission est réservée aux « savants ».

J'ai envoyé des courriers, la plupart restèrent sans réponses, exceptées deux aimables accusés de réception. L'un venant d'Angleterre, l'autre, de la Société française d'astronomie, qui regroupe des amateurs d'astronomie. Enfin, j'arrivais à obtenir un rendez-vous. C'était avec un vulgarisateur du Palais de la Découverte. Là où il travaillait, au contact du public, il ne pouvait pas m'esquiver.

Je me rendis au rendez-vous qu'il m'avait fixé au Palais de la Découverte. Le vulgarisateur m'avait promis m'inviter ensuite à la séance du planétarium, qu'il commentait. Précieuse invitation ! Ma bourse plutôt plate me privant du plaisir de me rendre dans ce lieu très apprécié par moi. J'apportai mes trois pages de réflexions. L'homme les parcouru et me tint le discours suivant : « Vous savez, quand des scientifiques élaborent une théorie, ils réfléchissent çà la virgule près... » Sous-entendu que mon texte, très longuement travaillé, ce qui je pense, se voyait, aurait été bâclé et rédigé à la va-vite, ce qui n'était nullement le cas.

Et, s'agissant de mon argument essentiel, la réponse fut : « ça n'est pas comme ça que les scientifiques se posent la question ! » Sous-entendu : « il existe une façon de se poser la question et elle appartient aux scientifiques, pas à vous. Fermez-là ! » Voilà. A mon interrogation on me répondait en brandissant l'autorité de « ceux qui savent ». Au lieu de discuter, répondre à mon propos, on me répondait : « ta gueule ! »

Mon estime pour « les scientifiques » s'est alors effondré. Et, me quittant, le vulgarisateur, oubliant sa promesse de m'inviter au planétarium, m'a planté là. Bravo !

Exceptée une correction de mon texte qu'il m'avait indiqué, pour le reste, mon cher vulgarisateur ne m'avait pas répondu. Et m'avait en même temps donné l'explication du silence de ses chers collègues. Ils ne me répondaient pas, tout simplement parce qu'ils me crachaient dessus. Je n'étais pas un des leurs. J'ai compris aussi à cet instant-là que la théorie du « Big Bang » c'est de la merde. Et j'en suis resté depuis à cette conviction.

Je m'étais coltiné ici les physiciens, astronomes, astrophysiciens. Je devais par la suite me confronter à une autre catégorie d'élitistes méprisants : les élitistes méprisants membres du « corps médical ».

Voilà comment j'ai eu affaire à ces méprisants-là. Un jour, dans les années 1980, j'avise en occasion dans une librairie un livre au nom énigmatique : « Les microbes sont-ils nos ennemis ? » L'auteur : un certain docteur Marc Emily, que je ne connais pas. L'édition remonte à 1966. Je l'achète.

En lisant cet ouvrage j'ai eu le sentiment qu'il se composait de deux parties. Une longue introduction formée de comptes-rendus de soins médicaux utilisant un médicament particulier. Et ensuite, une longue digression ayant pour prétention de donner une preuve médicale et scientifique de l'existence de Dieu à travers la controverse entre les travaux de deux scientifiques français : Bechamp et Pasteur.

Je laisse de côté la deuxième partie du livre et m'intéresse plus à la première. Il y est question d'une substance biologique particulière extraite en 1903 du bacille de Koch par le professeur de médecine français André Jousset. Il l'a étudié durant trente années. Emily rapporte que le produit en question, que Jousset a baptisé « l'allergine », est d'un intérêt médical très grand et qu'il a cessé d'être fabriqué en 1958. Il accuse les laboratoires pharmaceutiques d'avoir été à l'origine de cette décision selon lui révoltante et totalement injustifiée. Il me semble aussi que Jousset a été un catholique extrêmement pratiquant, fait qui lui aurait valu l'hostilité de ses confrères, étendue à ses travaux de recherches.

Je ne suis ni médecin, ni pharmacien, mais cette histoire d'allergine m'a intrigué et a attiré mon attention. Par la suite, durant des années, j'ai cherché à intéresser des médecins ou pharmaciens à cette fameuse et intrigante allergine dont l'action universelle rapportée par Emily tendait à faire penser à un renforcement des défenses immunitaires du malade par un mode d'action mystérieux.

Je n'ai jamais prétendu « savoir » ce que c'était que l'allergine, mais juste voulu attirer l'attention de médecins ou chercheurs éventuels en pharmacie pour qu'ils se penchent sur ce produit oublié.

Que ce soit des inconnus, des voisins ou des proches, j'ai été systématiquement accueilli par un immense et aimable éclat de rire. Quoi ! Ce Basile, diplômé des Beaux-Arts qui prétend s'occuper de médecine ! En fait d'éclat de rire, c'était un « éclat de rire » discret. J'ai bien senti que, sans me le dire ouvertement, tous mes interlocuteurs n'avaient strictement rien à foutre de mes propos.

Je leur disais : « vous pourriez vous intéresser à cette substance ? Peut-être même pour la tester contre une maladie apparue bien après le retrait de l'allergine du codex.... » Autant pisser dans un violon.

En désespoir de causes, après bien des années, je me suis dis : « Bon, je ne suis ni médecin, ni pharmacien.... mais comme les médecins ou pharmaciens ou étudiants en pharmacie auxquels je me suis adressé n'en ont rien à foutre, je vais aller faire mes recherches quand-même et moi-même ! »

Je me suis rendu à la bibliothèque de la faculté de pharmacie de Paris V. J'ai reçu l'accueil le plus aimable possible. C'était en 1997. J'ai cherché des écrits sur l'allergine. J'en ai trouvé et photocopié. Par la suite, j'ai envoyé ce dossier à diverses personnes. Ça n'a servi à strictement rien.

Cette allergine présente-t-elle de l'intérêt ? Nous ne le saurons que le jour où une personne habilitée à en parler en fera un sujet d'études. Pour l'instant, en tant qu'artiste peintre et poète, j'ai compris qu'il ne me reste plus qu'à fermer ma gueule. En attendant qu'un autre peut-être découvre un usage curatif intéressant pour l'allergine.

Comme me le disait il y a des années mon médecin traitant de l'époque : « en France, quand quelqu'un dit quelque chose, on ne s'intéresse pas d'abord à ce qu'il dit, mais à savoir qui il est. S'il n'est pas considéré comme une voix légitime pour s'intéresser au sujet dont il parle, on n'attache aucune importance à son propos. Quel que soit l'intérêt de celui-ci. C'est différent aux États-Unis et au Canada. »

J'ai ainsi été confronté avec l'allergine à l'élitisme médical. Une autre variété d'élitisme est celui du milieu de la presse. Et précisément des journalistes, dont certains « se la pète », comme on dit vulgairement.

C'était en 1994. Je commençais à peine à rendre public mon initiative pour la renaissance du Carnaval de Paris. Je souhaitais faire connaître non moi, mais le projet. Par la presse notamment, et c'est pourquoi je me suis rendu au siège d'un grand journal quotidien. Là, je sympathise avec le planton au rez-de-chaussée. Nous avons presque travaillé avec le même supérieur. Lui comme garde républicain, moi comme civil employé au nettoyage d'une caserne de la garde républicaine. Le planton apprenant ma démarche cherche à m'aider. Il appelle de son poste un journaliste et me passe le combiné. Là, c'est la déception. Alors que je suis venu parler du Carnaval de Paris, de sa renaissance, mon interlocuteur me prend de très haut. Je sens que pour lui je suis quelqu'un qui l'implore de bien vouloir parler de moi et lui il refuse. Dialogue de sourds, où le journaliste joue à la vedette sollicitée par un admirateur importun. C'est fini. Il n'y a rien à obtenir pour le Carnaval de Paris. Je termine la conversation. Ça n'est pas aujourd'hui que ce journal va parler de la renaissance du Carnaval de Paris.

M'occupant toujours et à la même époque du développement du projet de renaissance du Carnaval de Paris dont j'avais pris l'initiative, j'ai été confronté à un autre élitisme : celui des politiques.

Toujours en 1994, j'écris un courrier assez volumineux à l'adjointe au maire de Paris chargée de la Culture. Comme je n'ai pas le sou, plutôt qu'acheter des timbres, je prends la grande enveloppe et la porte à l'Hôtel de ville. J'arrive jusqu'à l'entrée du secrétariat de la dame en question. J'aperçois là un couloir derrière une paroi vitrée où s'ouvre une porte vitrée également. Mais, il y a visiblement plusieurs bureaux. Auquel remettre ma missive ? Pas de problème ! Il y a deux dames qui conversent sur le pas de porte de la porte vitrée. Je leur demande où porter le courrier. Elles me l'indiquent. Mais j'ai aussi perçu dans leur regard, leur ton, le plus parfait mépris envers moi. Pourquoi ? Parce que, avec mon enveloppe à la main, je leur faisais penser à un simple coursier. Autant dire rien. C'est ainsi partout, le mépris est redondant. Comment voulez-vous envisager une société juste, harmonieuse, égalitaire, quand partout on rencontre de tels comportements ? C'est impossible tant que ça durera. Et ça paraît plutôt parti pour durer encore très longtemps.

Basile, philosophe naïf, Paris le 19 janvier 2015

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