Dans le système de la
« non pensée » existe une forme de non pensée
apparentée à l'anathème des religieux de jadis, ou à la fatwa de
certains religieux d'aujourd'hui. Quand on a affaire à quelqu'un
auquel on reproche un certain nombre d'actes ou de choses en général,
il peut arriver qu'à un moment-donné on fasse appel à un
qualificatif « définitif ». Hier, c'était :
« infidèle », « mécréant », « hérétique.
De nos jours ça pourra être, par exemple : « salaud »,
« crapule », « connasse », « putain »,
« fasciste », « raciste », « sexiste »,
« homophobe », « homosexuel »,
« hétérosexuel », « bisexuel », « escroc »,
« catholique », « Juif », « Arabe »,
« islamiste », « intégriste », « nazi »,
« provocateur », « assassin »,
« communiste », « terroriste »,
« pédophile », etc. A partir du moment où le
qualificatif est utilisé, l'interlocuteur ou le qualifié ainsi non
interlocuteur passe du statut d'être humain à celui de démon. Il
n'est plus question d'échanger une parole avec lui, d'attendre de
lui quoi que ce soit de bon ou d'honnête. Il est défini comme
intrinsèquement, définitivement, totalement et irréversiblement
mauvais. Il n'y a plus qu'à le détruire. Et, à défaut, à
l'effacer de nos relations.
Ce mode de non pensée,
je l'ai utilisé. Ainsi, devant un certain degré et type d'ignominie
politique, me venait à l'égard de l'auteur de l'ignominie en
question le qualificatif : « fasciste ! » Aux États-Unis,
le qualificatif « communiste ! » a servi à un emploi
similaire au moins durant les années 1917-1989. Bien sûr, pas pour
qualifier les mêmes agissements, mais l'usage était identique.
Je me suis rendu compte
de l'étendu de la non pensée en réfléchissant au qualificatif :
« fasciste ». On raisonne sur quelqu'un. Et, à un
moment-donné, on cesse de raisonner, de le considérer comme un être
humain dans toute sa complexité et son évolution. Il est marqué du
sceau infamant et... on ne réfléchit plus. Et on ne parle plus
avec. Et on ne raisonne plus sur ses agissements. Il est « mort ».
On se fait plaisir : on a
« détruit » en paroles et en pensées celui qui nous
posait problème. Seul hic : il existe toujours.
En politique, on utilise
aussi les anathèmes suivants : « voleur », « fraudeur »
et « menteur ». A partir du moment où on qualifie un
politique de « menteur », tout ce qu'il dit est réputé
faux. Et si on le qualifie de « voleur », son seul et
unique but dans l'existence devient le vol. Alors qu'un humain est
bien plus complexe que ces simples qualificatifs. Et que tous les
humains ont été, sont ou seront un jour au moins un peu voleur,
fraudeur et – ou – menteur... Qu'à cela ne tienne ! Le
politique une fois qualifié de voleur, fraudeur et – ou –
menteur n'existe plus. Il est désintégré à la manière du vampire
touché par un rayon de soleil ! Il tombe en poussières. Pourtant,
il existe toujours. La non pensée triomphe. Le politique est
remplacé à nos yeux par une figure abstraite, un totem, un fétiche,
une poupée rituelle baptisée « voleur », « fraudeur »
ou « menteur ». La pureté morale absolue dont on ne
ressent pas la nécessité pour soi-même, est exigée des
politiques. Ce ne sont pas des hommes, ça doit être des dieux ! Et
si ce ne sont pas des dieux, ce sont des démons.
La pensée papou, avec un
os dans le nez, triomphe. Vous me direz qu'elle est parfois
objective, car quelqu'un qui commet tel ou tel acte est résolument
infréquentable ? Certes, mais le terme en question est extensible à
quantité de gens qui n'y corresponde pas forcément. J'ai vu ainsi
un jour des jeunes filles ayant dépassé la majorité sexuelle mais
pas encore atteint la majorité civile me dire qu'elles étaient
« des enfants ». Sous d'autres cieux et dans d'autres
sociétés, elles seraient déjà mariées et mères de famille.
Mais, le discours général de la non pensée les faisaient
m'affirmer qu'elles étaient « des enfants ». Et qu'un
homme qui s'intéresserait à elle comme à des femmes serait un
agresseur d'enfants. C'était en vérité de drôles d'enfants, faits
femmes et très intéressés par le sexe. Pour lesquels il n'était
pas temps certes, de fonder une famille. Anathématiser est si
facile. Combien de fois voit-on traiter de « fascistes »
ou « communistes » des gens qui ne le sont pas ?
Basile, philosophe
naïf, Paris le 23 novembre 2014
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